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mercredi, 21 novembre 2012

Fragment de Nietzsche

 La philosophie à l'époque tragique des Grecs, Friedrich Nietzsche, Thalès, Anaximandre, Héraclite, Parménide, Anaxagore, Empédocle, Démocrite, Socrate

« Tous les peuples se couvrent de honte lorsqu'on se réfère à une société de philosophes si merveilleusement exemplaire : celle des premiers maîtres en Grèce, Thalès, Anaximandre, Héraclite, Parménide, Anaxagore, Empédocle, Démocrite et Socrate. Tous ces hommes sont taillés tout d'une pièce et dans le même roc. Une stricte nécessité régit le lien qui unit leur pensée et leur caractère. Toute convention leur est étrangère, car la classe des philosophes et des savants n'existaient pas à l'époque. Ils sont tous, dans leur grandiose solitude, les seuls qui, en ce temps-là, aient vécu pour la seule connaissance. Tous possèdent cette vigoureuse énergie des Anciens par quoi ils surpassent toute leur postérité, l'énergie de trouver leur forme propre, et d'en poursuivre, grâce à la métamorphose, l'avènement dans son plus infime détail et dans son ampleur la plus grande. Aucune mode en effet n'est venue leur prêter main-forte et leur faciliter les choses. Ils forment ainsi, à eux tous, ce que Schopenhauer, par opposition à la République des savants, a appelé une République des génies. Les géants s'interpellent à travers les intervalles désertiques de l'histoire et, sans qu'il soit troublés par les nains insouciants et bruyants qui continuent à ramper au-dessous d'eux, leur sublime dialogue entre esprits se poursuit ».

Friedrich Nietzsche

La philosophie à l'époque tragique des Grecs (vers 18701-73)

Chapitre premier

Traduction J-L Backe, M Haar & B de Launay

 

lundi, 01 mars 2010

René Lalou : les témoignages sur la Guerre V

 

 

J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946, L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages. 
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".


Le chapitre « les témoignages sur la guerre » est émouvant, guirlande des traumatisés de 14-18 (cette guerre votée par des députés qui ne la firent point, mais continuèrent leur tranquille vie tandis que la jeunesse masculine française était envoyée à la boucherie).
Des soldats revenants, beaucoup écrirent, sans espoir.

 

La guerre de 14-18 a brisé beaucoup d’œuvres de jeunes écrivains qui commençaient, comme Alain-Fournier et son Grand Meaulnes ; elle a ensuite donné des raisons d’écrire à ceux qui n’en auraient pas eu l’idée sans elle.

Fragments précédents :

sam et marin tesson.jpg
Photo Sara "le monde vu à travers un tesson de bouteille"

 

 

 

V Fin des témoignages des garçons sacrifiés

« Cette guerre a tué le romantisme de la guerre ».

 

Un moment arriva pourtant où il fut admis par la majorité des éditeurs que le public ne s’intéressait plus aux ouvrages sur la guerre.  La riposte fut le prodigieux succès, en 1929, de la traduction du livre de Remarque, À l’Ouest rien de nouveau.



Vers le même temps Norton Cru provoquait un scandale en publiant ses Témoins : les âpres reproches qu’il adressait aux auteurs de livres de guerre étaient souvent justifiés ; mais il méconnaissait le droit qu’a l’artiste de faire des peintures, non des photographies et il refusait d’admettre que le vrai n’est pas toujours vraisemblable. Parmi les livres qui échappaient à ses critiques citons les Carnets d’un fantassin, de Charles Delvert, l’un des défenseurs du fort de Vaux.



Sous le bombardement Delvert écrivait : « cette guerre a tué le romantisme de la guerre ». La phrase pourrait servir d’épitaphe aux trois témoignages parus en 1930 : l’inexorable Ce qui fut sera d’Henri Barbusse, épilogue et synthèse du Feu ; la Peur, de Gabriel Chevallier où l’accumulation des « petits faits vrais », jugés par un disciple de Stendhal, aboutissait au plus cruel réquisitoire ; les tragiques « prises de vue » qui font ressembler le Noir et Or d’André Thérive au film de Pabst, Quatre de l’Infanterie, et laissent la même impression d’une atroce épreuve subie par les hommes mais reniée par l’esprit.
« Le Feu, c’est un beau bouquin. Il est presque vrai. Y a qu’une chose, c’est trop romantique, trop en théâtre » : ainsi parle un des personnages d’Henry Poulaille dans l’hallucinante et minutieuse reconstitution du Pain de Soldat (1937). En nous livrant, la même année, ses Souvenirs de Guerre, le philosophe Alain affirme que ces expériences renforcèrent sa conviction que la tâche la plus urgente était, selon les exemples de Socrate et Descartes, de « massacrer d’abord les lieux communs ».

 


Assurément tous les anciens combattants n’exprimeraient point aujourd’hui le sentiment d’une gigantesque duperie avec la verdeur rabelaisienne que déploie Jolinon dans Fesse-Mathieu et l’Anonyme (1936). Mais on ne saurait étudier la littérature des années 1920-35 sans tenir compte de ces deux faits : elle est pour la plus grande partie d’hommes qui ont connu les souffrances de la guerre ; l’immense majorité de ces hommes est arrivée tôt ou tard à la conclusion que leurs souffrances auraient pu être évitées et qu’elle n’avaient même pas assuré le triomphe des idées pour lesquelles ils avaient lutté.



René Lalou

 

 

 

Fragments précédents du même chapitre du livre de René Lalou :