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samedi, 19 avril 2014

Charte du Mandé, Discours de Seattle, pièce de la mort d'Athahualpa : des "faux"

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Comment prouver la supériorité morale des victimes

La charte du Mandé

En 1970, des chercheurs africains "découvrent" La Charte du Mandé", censée dater du XIII° siècle et préfigurer la déclaration des droits de l'Homme. Cette charte aurait été transmise oralement, mais, selon wikipedia, son existence "n'est pas sérieusement mise en doute". Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'est pas non plus sérieusement prouvée. J'ai cherché des éléments pour donner foi à ce beau texte, qui parle si bien à nos cœurs, mais il semble que, quelle soit la splendeur et l'ancienneté de la civilisation malienne, rien ne nous permet d'affirmer que cette charte ait existé avant les années 1970.

« Une vie n’est pas plus ancienne ni plus respectable qu’une autre vie, de même qu’une autre vie n’est pas supérieure à une autre vie  ...La guerre ne détruira plus jamais de village pour y prélever des esclaves; c’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable pour aller le vendre; personne ne sera non plus battu au Mandé, a fortiori mis à mort, parce qu’il est fils d’esclave... Chacun est libre de ses actes, dans le respect des interdits des lois de sa Patrie

Le texte de Seattle

À la même époque, un beau texte "amérindien" tire les larmes des cœurs bons : ...Cependant, nous allons considérer votre offre, car nous savons que si nous ne vendons pas, l'homme blanc va venir avec ses fusils et va prendre notre terre. 
Mais peut-on acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? Étrange idée pour nous ! 
Si nous ne sommes pas propriétaires de la fraîcheur de l'air, ni du miroitement de l'eau, comment pouvez-vous nous l'acheter ? ...

Ce magnifique texte qui nous rappelle la beauté du monde indien et la méchanceté du nôtre, est un faux, établi par un universitaire Nord-américain.

La mort d'Atahuallpa

Enfin, dans la Vision des vaincus, qui relate comment la conquête espagnole fut vécue par les indigènes du Pérou et de Bolivie, l'universitaire Nathan Wachtel fonde toute son argumentation sur une pièce de théâtre écrite par un Inca. Hélas, ce texte anachronique, qui date des années 60, a été écrit par un militant communiste. César Itier l'a démontré dans son texte : Vision de los vencidos o fascificasion ? Datacion y autoria de la Tragedia de la muerte de Atahualpa. (Vision des vaincus ou falsification? ? Datation et autorité du drame La mort d'Atahualpa).

(Résumé de l'article de César Itier : À travers une analyse philologique et textuelle, cet article montre que la Tragédie de la mort d’Atahuallpa, oeuvre dramatique quechua publiée par l’écrivain bolivien Jesús Lara en 1957, n’a pas été composée par un indigène au XVIe siècle, comme l’affirmait Lara et comme l’ont cru quelques auteurs après lui, mais qu’elle a été entièrement écrite par Lara lui-même qui voulait prouver que les Incas avaient développé une grande littérature, dont l’héritage subsistaiten Bolivie. Sont identifiées ici les principales sources utilisées par l’auteur pour forger sa fausse tragédie incaïque).

Trois textes douteux, trois causes justes

Ces textes visent à prouver que les populations opprimées par des Européens qui les trouvaient primitives étaient en fait plus élevées et développées qu'eux.

Or, est-il besoin d'exhiber du néant de telles "preuves" dont l'évidence s'effrite dès lors qu'on tente de les appréhender ? La violence de ces Européens en Afrique noire, en Amérique du Nord et du Sud, suffit à démontrer qu'ils étaient des barbares, des destructeurs de civilisations.

C'est être encore imbibé de "valeurs occidentales" que de créer de toutes pièces des preuves visant à établir la supériorité des vaincus selon les critères des vainqueurs ! Et, comme chaque fois que l'on tente de se mettre au niveau de celui qui nous écrase, au lieu de prouver notre valeur (pourtant bien réelle), on se ridiculise.

L'interminable libération intellectuelle

L'Afrique du Songhaï n'a pas besoin de tenter de prouver que "la charte du Mandé" est antérieure à la "Magna Carta" anglaise, pour qu'éclate la beauté de sa civilisation, la cruauté de ceux (Marocains et Européens) qui l'ont fracassée.

Les Indiens de l'actuelle Bolivie n'ont pas besoin d'une pièce de théâtre soi-disant inca, en fait d'inspiration communiste du XX°siècle, pour qu'éclatent le savoir-faire inca (les ponts incas portent aujourd'hui des camions et tiennent mieux que ceux que construisent des ingénieurs du XX°siècle), la grandeur de cette civilisation, de sa langue, de ses rites.

Les amérindiens du Nord n'ont certainement pas besoin de beaux poèmes "néo-indiens" écrit par un WASP pour que retentissent les larmes de leurs ancêtres immenses et la honte des exterminateurs encore en place sur leurs terres.

Et s'il est une colonisation réussie,

Et s'il est une colonisation réussie, c'est bien la colonisation intellectuelle qui a instauré dans les cerveaux du monde entier que l'écrit est supérieur à l'oral, que la déclaration des droits de l'homme est ce que l'esprit humain peut produire de plus grand...

La décolonisation mentale devrait commencer par renoncer à ressembler à celui qui nous a violé.

vendredi, 22 octobre 2010

Où étaient les enfants ?

 

Crapaud_0862.JPG

Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva

 

Extrait de Philippe Ariès :

 

« L’art médiéval, jusqu’au XIIème siècle environ, ne connaissait pas l’enfance ou ne tentait pas de la représenter ; on a peine à croire que cette absence était due à la gaucherie ou à l’impuissance. On pensera plutôt qu’il n’y avait pas de place pour l’enfance dans ce monde. Une miniature ottonienne du XIème siècle (Evangéliaire d’Otton III, Munich), nous donne une idée impressionnante de la déformation que l’artiste faisait alors subir aux corps d’enfants dans un sens qui nous parait s’éloigner de notre sentiment et de notre vision. Le sujet est la scène de l’Evangile où Jésus demande qu’on laisse venir à lui les petits enfants, le texte latin est clair : parvuli. Or le miniaturiste groupe autour de Jésus huit véritables hommes sans aucun des traits de l’enfance : ils sont simplement reproduits à une échelle plus petite. Seule, leur taille les distingue des adultes. Sur une miniature française de la fin du XIème siècle (Vie et miracle de Saint Nicolas, Bibliothèque nationale), les trois enfants que Saint Nicolas ressuscite sont aussi ramenés à une échelle plus réduite que les adultes, sans autre différence d’expression ni de traits. Le peintre n’hésitera pas à donner à la nudité de l’enfant, dans les très rares cas où elle est exposée, la musculature de l’adulte : ainsi, dans le psautier de Saint Louis de Leyde, daté de la fin du XIIème siècle ou du début du XIIIème siècle, Ismaël, peu après sa naissance a les abdominaux et les pectoraux d’un homme. Malgré plus de sentiment dans la mise en scène de l’enfance, le XIIIème siècle restera fidèle à ce procédé. Dans la Bible moralisée de saint Louis, les représentations d’enfants deviennent plus fréquentes, mais ceux-ci ne sont pas caractérisés autrement que par leur taille. Un épisode de la vie de Jacob : Isaac est assis entouré de ses deux femmes et d’une quinzaine de petits hommes qui arrivent à la taille des grandes personnes, ce sont leurs enfants. Job est récompensé pour sa foi, il redevient riche et l’enlumineur évoque sa fortune en plaçant Job entre un bétail à gauche, et des enfants à droite, également nombreux : image traditionnelle de la fécondité inséparable de la richesse. Sur une autre illustration du livre de Job, des enfants sont échelonnés, par ordre de taille.

 

Ailleurs encore, dans l’Evangéliaire de la Sainte-Chapelle du XIIIème siècle, au moment de la multiplication des pains, le Christ et un apôtre encadrent un petit homme qui leur arrive à la taille : sans doute l’enfant qui portait les poissons. Dans le monde des formules romanes, et jusqu’à la fin du XIIIème siècle, il n’y a pas d’enfants, caractérisés par une expression particulière, mais des hommes de taille plus réduite. Ce refus d’accepter dans l’art la morphologie enfantine se retrouve d’ailleurs dans la plupart des civilisations archaïques. Un beau bronze sarde du IXème siècle avant Jésus-Christ (vu à la Bibliothèque nationale dans l’exposition des bronzes sardes en 1954), représente une sorte de Piéta : une mère tenant dans ses bras le corps assez grand de son fils. Mais il s’agit peut-être d’un enfant, remarque la notice du catalogue : « la petite figure masculine pourrait être aussi bien un enfant qui, selon la formule adoptée à l’époque archaïque par d’autres peuples, serait représenté comme un adulte ». Tout se passe en effet comme si la représentation réaliste de l’enfant, ou l’idéalisation de l’enfance, de sa grâce, de sa rondeur, étaient propres à l’art grec.
Les petits Eros prolifèrent avec exubérance à l’époque hellénistique. L’enfance disparaît de l’iconographie avec les autres thèmes hellénistiques, et le roman revint à ce refus des traits spécifiques de l’enfance qui caractérisait déjà les époques archaïques, antérieures à l’hellénisme. Il y a là autre chose qu’une simple coïncidence. Nous partons d’un monde de représentation où l’enfance est inconnue : les historiens de la littérature (Mgr Calvé) ont fait la même remarque à propos de l’épopée, où des enfants prodiges se conduisent avec la bravoure et la force physique des preux. Cela signifie sans aucun doute que les hommes des X-XIèmes siècles ne s’attardaient pas à l’image de l’enfance, que celle-ci n’avait pour eux ni intérêt, ni même réalité. Cela laisse à penser aussi que dans le domaine des mœurs vécues, et non plus seulement dans celui d’une transposition esthétique, l’enfance était un temps de transition, vite passé, et dont on perdait aussi vite le souvenir.

 

Tel est notre point de départ. Comment de là, arrive-t-on aux marmousets de Versailles, aux photos d’enfants de tous les âges de nos albums de famille ? »

 

Philippe Ariès

 

Lire L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, dont est extrait ce passage.

Lire aussi, de Shulamith Firestone et en cliquant sur le lien : Pour l’abolition de l’enfance, aux éditions Tahin Party