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dimanche, 30 août 2020

Une langue qui sauve, un arbre qui calme

Nous sommes sortis le 11 mai du confinement, mais nous ne sommes pas sortis de l'étrange. Nos cerveaux confus s'affolent face à la toute puissance des politiques et à notre propre impuissance. Nous n'avons plus grand chose qui tienne debout dans notre psychisme même si notre pays ressemble encore à un pays riche.

Et c'est pourquoi je m'envole dans le seul espace où la vie semble possible. Et c'est pourquoi je rêve. Je rêve des Vosges (pourquoi ? Pourquoi pas ?) Les Vosges lorraines. Plombières les bains. Le cœur fidèle et la plainte touchante des vaincus. Les épicéas. J'ai soif ! Soif ! Soif d'épicéas.

Les chants inuits s'échappent de mon ordinateur, je ferme les yeux et je vois des épicéas.

L'inuktitut est une langue qui sauve, l'épicéa, un arbre qui calme.

Ce bal masqué sanitaire et politique ressemble au manège de la folie. Demain reviendra-t-il ?

vendredi, 10 novembre 2017

La messe du voisin acnéique

Je t’ai rencontré dans l’escalier, jeune homme, ton visage est devenu cramoisi lorsque je t’ai demandé où tu en étais de tes remix de Vivaldi. J’ai réussi à t’apprivoiser, au bout des cinq minutes qu’a duré notre conversation, tu tremblais moins, tu souriais presque. Tu as dix-sept ans. Tu as peur. Tu as mal. Ton acné défigure ta face. Tes épaules tombent, tes jambes sont trop grandes. Les romans du XIXème siècle que tu as avalés, enfant, dans le grenier de tes grands-parents, t’ont promis un monde qui n’existe plus. Tu voulais protéger les femmes et les enfants, les femmes t’agressent et te demandent de les laisser co-dominer la société sans exercer ta masculinité. Tu as peur que l’une d’elle, un jour, te vole ton enfant, qu’elle l’emporte au loin dès lors que tu l’auras conçu. Même ta peur est indicible. Tu n’as pas le niveau scolaire d’accomplir les études qui mènent aux métiers qui te plairaient, ceux dont tu rêves n’existent plus. Plus de chevaliers, plus d’explorateurs. Je t’ai demandé où tu en étais de tes remix de Vivaldi et t’ai rassuré : j’aime entendre de loin les courbes et les déliés des paysages sonores que tu composes sur ta technoplatine. Je t’ai parlé de la Messe de l’homme armé, tu ouvrais de grands yeux étonnés. Je t’ai dit qu’elle avait été composée par Guillaume Dufay au XVème siècle, qu’elle était belle et qu’à ma connaissance personne encore ne l’avait remixée. Tu m’as fait répété : Dufay ? C’est D.U.F.A.Y ? Messe de l’homme… l’homme armé ?

Oui, c’est la messe de l’homme armé.

Maintenant j’entends deux choses, à onze heures cinquante trois du matin dans cette rue de novembre : le tambour de ma machine à laver, son haï, et depuis la fenêtre entrouverte de ta chambre du quatrième étage, la messe de l’homme armé. Avec des éléments rythmiques que tu cherches dans ton placard virtuel de sons et que tu incorpores à la messe médiévale.

Tu m’as écoutée, jeune homme perdu, j’ai réussi à te toucher.

La messe de l’homme armée, la seule qui pourra sauver les jeunes hommes français du XXIème siècle, ceux dont on castre l’âme avec la crème chantilly de l’égalité, de la scolarité et de la tolérance. Ni votre couleur de peau – trop pâle – ni votre sexe – trop dur – ni l’histoire de votre patrie – trop méchante n’ont de place dans le monde parfait qui se crée tous les jours sous nos yeux. Il ne vous reste que la messe, enfants qui n’avez pas connu le baptême, il ne vous reste que la messe de l’homme armé.

mardi, 28 février 2012

Réponse à une question de Tieri

 

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Tieri : La photo de toi avec une valise qui t'en va vers la mer. Cette photo me fait peur. Est-ce que ça va, Edith, est-ce que ta vie ressemble à tes rêves ?

Édith : Dans la valise dorment de vieux souvenirs. Comme ils sont vieux ! Comme ils pèsent lourds ! Ils t’ont fait peur ; ils m’avaient fait peur à moi aussi auparavant. Ils font peur à tout le monde.

Un matin, je me suis éveillée avec une idée nouvelle. J’ai bu un café plus chaud que d’habitude, puis je suis allée marcher sur les quais des gares perdues. De vieux hangars proposaient des caisses emplies de vêtements. J’ai pu ainsi me procurer le complet veston ayant appartenu à un vendeur de mangoustes au XIXème siècle.

Il ne me manquait plus que la valise. J’ai flâné à travers les vieilles usines, dont les portes de verre ébréché, habitées de toiles d’araignées, laissaient passer des rayons de soleil luisants. A travers poussières et vieux objets, mon œil chercha. Je la vis, mince, élégante, oubliée sur une table. Une vieille liseuse de cartes m’expliqua qu’elle avait contenu des lettres d’héritage au temps où elle appartenait à un notaire. Je la ramassai : elle serait ma valise.

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Quelques heures plus tard, je rencontrai enfin l’endroit idéal, non loin du phare, à l’endroit où finit la promenade de la côte. « C’est là », pensais-je avec certitude.

Je descendis sur la plage. J’ouvris la valise ; de vieilles odeurs se répandirent dans le vent et le sable. Je la laissai respirer à l’air libre. Cela me prit plusieurs heures de rassembler tous mes vieux souvenirs. Lorsque enfin ils furent tous transvasés dans la valise, je versai quelques larmes, pour les habituer au sel. Puis je refermai le linceul.

Quelques pas suffirent pour chasser la nostalgie. Comme la mer était belle ! La matinée tirait sur sa fin, mais midi m’attendait au loin, à l’horizon. A mesure que je m’enfonçai dans la mer, le soleil versait de nouvelles idées dans ce drôle de labyrinthe-ver de terre qu’on appelle cerveau. A midi, j’atteignis l’horizon : il ne restait plus rien de mon ancienne identité et de mon ancienne vie : j’avais tout oublié. Tout, sauf cette promenade qui durait depuis l’aube. Je laissai la valise aux hautes vagues du zénith et me noyai.

J’eus des difficultés à ouvrir les yeux, car le sel avait collé le sable aux paupières. Une mouette tournait au-dessus de moi en hurlant. J’étais échoué à l’extrême sud de la plage. Plus rien n’était semblable à ce que j’avais été avant : neuf était mon cœur, neuve était ma mémoire, avec des images et des mots qui venaient d’ailleurs. Déboussolée, je dus faire plusieurs signes de croix pour retrouver les points cardinaux. Après quoi je sus qu’il fallait que je tourne vers la gauche pour rejoindre le chemin des corps perdus. En fin d’après-midi, je retrouvai mon studio. La cafetière contenait le reste du café du matin.

Je suis heureuse avec mes nouveaux souvenirs. Je les décrypte, quand je n’ai rien à faire. Je m’amuse à reconstituer cette vie inconnue que le soleil m’offrit, légère, lointaine, ésotérique. Ma nouvelle mémoire est infinie.

Quelques points de cette histoire restent obscurs. Qui a pris la photographie troublante ? Une dame, sans doute, avec un cœur de mère et un chagrin de sœur. J’ai voulu retourner vers les quais des gares perdues. Ils avaient disparu. Sans doute les nouveaux carrefours des routes avaient brouillé les repères anciens. Qu’importe ! Nos vies passent comme des papillons. Les morts se succèdent : il reste une ombre, notre ombre qui marche dans l’Instant présent.

 

édith de CL

ADDENDUM

Depuis cet échange, qui eut lieu en mars 2010, Orso est né !