Réponse à une question de Tieri (mardi, 28 février 2012)

 

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Tieri : La photo de toi avec une valise qui t'en va vers la mer. Cette photo me fait peur. Est-ce que ça va, Edith, est-ce que ta vie ressemble à tes rêves ?

Édith : Dans la valise dorment de vieux souvenirs. Comme ils sont vieux ! Comme ils pèsent lourds ! Ils t’ont fait peur ; ils m’avaient fait peur à moi aussi auparavant. Ils font peur à tout le monde.

Un matin, je me suis éveillée avec une idée nouvelle. J’ai bu un café plus chaud que d’habitude, puis je suis allée marcher sur les quais des gares perdues. De vieux hangars proposaient des caisses emplies de vêtements. J’ai pu ainsi me procurer le complet veston ayant appartenu à un vendeur de mangoustes au XIXème siècle.

Il ne me manquait plus que la valise. J’ai flâné à travers les vieilles usines, dont les portes de verre ébréché, habitées de toiles d’araignées, laissaient passer des rayons de soleil luisants. A travers poussières et vieux objets, mon œil chercha. Je la vis, mince, élégante, oubliée sur une table. Une vieille liseuse de cartes m’expliqua qu’elle avait contenu des lettres d’héritage au temps où elle appartenait à un notaire. Je la ramassai : elle serait ma valise.

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Quelques heures plus tard, je rencontrai enfin l’endroit idéal, non loin du phare, à l’endroit où finit la promenade de la côte. « C’est là », pensais-je avec certitude.

Je descendis sur la plage. J’ouvris la valise ; de vieilles odeurs se répandirent dans le vent et le sable. Je la laissai respirer à l’air libre. Cela me prit plusieurs heures de rassembler tous mes vieux souvenirs. Lorsque enfin ils furent tous transvasés dans la valise, je versai quelques larmes, pour les habituer au sel. Puis je refermai le linceul.

Quelques pas suffirent pour chasser la nostalgie. Comme la mer était belle ! La matinée tirait sur sa fin, mais midi m’attendait au loin, à l’horizon. A mesure que je m’enfonçai dans la mer, le soleil versait de nouvelles idées dans ce drôle de labyrinthe-ver de terre qu’on appelle cerveau. A midi, j’atteignis l’horizon : il ne restait plus rien de mon ancienne identité et de mon ancienne vie : j’avais tout oublié. Tout, sauf cette promenade qui durait depuis l’aube. Je laissai la valise aux hautes vagues du zénith et me noyai.

J’eus des difficultés à ouvrir les yeux, car le sel avait collé le sable aux paupières. Une mouette tournait au-dessus de moi en hurlant. J’étais échoué à l’extrême sud de la plage. Plus rien n’était semblable à ce que j’avais été avant : neuf était mon cœur, neuve était ma mémoire, avec des images et des mots qui venaient d’ailleurs. Déboussolée, je dus faire plusieurs signes de croix pour retrouver les points cardinaux. Après quoi je sus qu’il fallait que je tourne vers la gauche pour rejoindre le chemin des corps perdus. En fin d’après-midi, je retrouvai mon studio. La cafetière contenait le reste du café du matin.

Je suis heureuse avec mes nouveaux souvenirs. Je les décrypte, quand je n’ai rien à faire. Je m’amuse à reconstituer cette vie inconnue que le soleil m’offrit, légère, lointaine, ésotérique. Ma nouvelle mémoire est infinie.

Quelques points de cette histoire restent obscurs. Qui a pris la photographie troublante ? Une dame, sans doute, avec un cœur de mère et un chagrin de sœur. J’ai voulu retourner vers les quais des gares perdues. Ils avaient disparu. Sans doute les nouveaux carrefours des routes avaient brouillé les repères anciens. Qu’importe ! Nos vies passent comme des papillons. Les morts se succèdent : il reste une ombre, notre ombre qui marche dans l’Instant présent.

 

édith de CL

ADDENDUM

Depuis cet échange, qui eut lieu en mars 2010, Orso est né !

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