vendredi, 01 janvier 2010
La guerre Civile, Scène VI
Caton, Brutus.
Brutus, entrant.
Tu ne dors pas ?
Caton
Le malheur de mon pays m'empêche de dormir.
Brutus
Dans la nuit, je viens de croiser deux ombres...
Caton
Le Meurtre et le Suicide, qui se promènent sans cesse parmi nous, et quelquefois, au passage, nous serrent doucement le bout des doigts.
Brutus
Non, Pompée et Lentulus, sur le seuil du prétoire. La nuit et des baraquements les ont empêchés de me reconnaître. Pompée disait : "L'attaque de demain est une absurdité. Nos recrues sont des civils déguisés en militaires". Lentulus lui a demandé : "Alors, pourquoi cette attaque ?" Pompée a répondu, avec son à-propos habituel : "Il faut bien faire quelque chose". LE concert des grenouilles a couvert la suite.
Caton
Ne dis cela à personne, et surtout à personne du commandement.
Brutus
J'ai voulu t'avertir : il vaut mieux être prévenu.
Caton
Mais enfin, que pense-t-il de la situation ? Avec lui on ne sait jamais rien.
Brutus
C'est qu'il ne pense rien. Il fait celui qui pense, et ne pense pas. Il attend l'événement, et se décide au hasard. On parle de sa politique. Sa politique est n'importe quoi. Il nous a fallu trente-cinq ans pour découvrir cela, et pour en découvrir la cause : c'est qu'il n'est pas intelligent.
Caton
Lent, secret et perfide comme ces lagunes de Dyrrachium, où bouge un imperceptible courant, venu d'une mer immobile.
Brutus
À propos de nos lagunes, si la fièvre de Pompée est une blague, la mienne est une réalité. N'attends pas de moi que je me couvre de gloire demain.
Caton
Tout t'est permis, nous savons cela. Profites-en, mon cher Brutus. Quant à moi, je n'ai pas la fièvre.
Brutus
Tant mieux pour toi. Salut. Bon sommeil, quand même.
Caton
Et ton abrégé de l'Histoire de Polybe ?
Brutus
J'y ai travaillé toute la journée.
Caton
La veille d'une bataille.
Brutus
Délit caractérisé de liberté d'esprit !
Henry de Montherlant
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