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lundi, 07 septembre 2015

Un vieux poème twitté

Mémoires de tweets lancés dans la marée cageuse twitosphère au mois de mars 2012 par @EdithdeCL

 

Je vous salue du fond du cœur et de ma cour de Montparnasse...

Poussière et silence s'enlacent au creux de l'aube ; une machine à écrire gît sous le lit. Le café fume ses odeurs noires et douces.

La journée fuit, le soir descend. Violon oriental et harpe celtique en songeant à celle qui dort là-bas. Qui sait encore écrire une lettre ?

Je ne radote pas. Passe la porte du rêve-réel et vois comme la lumière est puissante et délicate. L’insolation, même l’hiver ! par le rêve..

Hector, qui es-tu ? Je ne suis pas Hécube. Nul ne t'a connu. Nul ne t'oubliera. Les fulgurances de ton existence dissolvent les horizons.

Hector nous oublie. Il s'en va vivre une autre vie, au large des rives du temps. Moi, je bois un café noir et j'attends le vent.

Je suis restée près de toi une heure, devant ton visage immobile, qui mouvait autrefois, la nuit, entre deux insomnies…

...quand tu fumais la nuit dans l’entresol entre la cuisine et la cour. Le hamac se balançait dehors. Un verre du soir traînait encore.

La syrah et les roses parfumaient l'air, les cigales s’étaient tues. Ton visage avait gardé quelque chose de l’enfance et tu me fascinais.

La pluie et le sommeil entrecoupaient les conversations silencieuses.

Le fil des jours se dévidait mêlant coulisses et mélancolie dans une histoire qu’on a défait depuis.

Je ne sais même plus parler le wolof et toi tu as oublié le patois vendéen. Mais j’ai gardé ta succulente recette du Sam-à-Dieppe.

Dylan, tu nous donnais la rousseur des soleils, la douceur des enfances.

Dehors la rivière clapotait. Tu faisais la sieste. Dans la pièce à côté j’écoutais Anouar Brahem et son Astrakhan en buvant un café brûlant.

Était-ce à Brétignolles sur Mer ? Tu as vu la mer pour la première fois. Toi, le fils de la vague et le pupille de la nation.

Avec Emmanuelle de Pierre Bachelet, tu apprenais la musique du désir. Et tu te mettais au piano et à la harpe celtique pour chanter les baleines.

Ton verre de jus de pomme, mon verre de Rasteau, Crin Blanc à l’écran. Tu rêvais de chevaux sauvages et je rêvais d’enfances lointaines.

Il pleut des enfants dans le cœur des grands. Je te donne cette force que tu me prêtes, je te prends cette innocence que je te prête.

La rage invaincue reflue parfois en vague ravageuse, mais je reste ancrée au monde. Peut-être grâce à toi ?

Je cherche mon rêve à travers les doigts écartés de mes mains. Je cherche mon rêve tout le long du jour.

J'avais promis de te suivre au jusqu'au bout de ton enfance.

Je te lisais Kropotkine et Swedenborg à voix haute pendant que tu dormais. Les chiens somnolaient dans ta chambre d'enfant.

La dernière brume flotte encore, les gouttes de pluie ne fondent plus. L'aube exige un deuxième tweet.

Le soleil éclaire ta moitié de rue. La mienne boit vos ombres, à toi et tes frères.

La rousseur des soleils, la douceur des enfances, la journée qui m’attend derrière la porte.

C'était le dernier matin glacé avant les torpeurs : une écoute de rock, le café fumant, l'hiver par la fenêtre.

Alors à l’orale heure des aurores l’on oyait ora et labora

 

lundi, 12 mai 2014

Quatuor d'un monde en chantier

Suprême puissance silencieuse - Beauté démente - Libertravail - Méprison

 

Suprême puissance silencieuse

J'observe des journalistes qui parlent, qui parlent, et des ministres qui bougent, qui bougent, et des artistes qui brillent, qui brillent, et j'interroge ma vision : transforment-ils le monde, avec tous leurs cris, leurs gestes, leurs actions incessantes ?

À mes yeux, la puissance suprême serait celle d'un être humain né dans un milieu ni riche, ni pauvre, dans une ville quelconque, et qui deviendrait, sans le moindre brio apparent au cours de sa jeunesse, un mathématicien parmi d'autres ; il vivrait dans un deux ou trois pièces et ressemblerait à tant d'autres hommes, qui achètent un nouveau téléphone portable, courent au bord de la rivière le dimanche et cherche sur internet la recette d'une tarte aux tomates et aux olives pour les copains qui viennent ce soir. Jour après jour, mois après mois, année après année, il réfléchirait sur le thème qui l'obsède et finalement, un jour qui ressemblerait à un autre jour, il trouverait la solution à un problème que l'humanité poursuit depuis deux mille ans, ou bien poserait une question que personne ne s'est posée et qui révolutionnerait entièrement l'univers mental et matériel dans lequel nous vivons. Cet homme continuerait par la suite sa vie normale et ses recherches obsédées, entre l'ascenseur parfois en panne, le marché bio et le bar du coin, et il aurait transformé le monde, dans la plus parfaite discrétion.

 

Beauté démente

Nous parlions de censure, nous entendions parler de ces gens qu'on fait taire parce que la liberté qu'ils osent dérange un pouvoir tentaculaire, nous discutions de ces œuvres qui font scandale en atteignant aux mœurs et aux codes spontanément répandus à travers la société, et soudain dans l'affre d'un silence je me demandais s'il existe des personnes qui se censurent elles-mêmes parce qu'elles savent que leur style, leur conte, leur vision, atteint de tels sommets de beauté que les autres ne les supporteraient pas. Alors ils exercent un travail de sape sur leur œuvre afin qu'elle ne surplombe pas de trop celle des autres et être ainsi admis dans la foule d'élite des artistes d'un temps donné.

 

Libertravail

Et je réfléchis à ces emplois rémunérés qui diffusent de la monnaie virtuelle sur nos comptes en banque et permettent que nos cartes visa ne gémissent pas quand nous tapons leurs codes après un bon repas au restaurant ou lors de l'achat du jean idéal avec lequel nous surfons sur les trottoirs avec une grâce insaisissable. Je scrute l'atmosphère de ces nombreuses boites qui logent en leur sein, de nombreuses heures par jour, des travailleurs dont un temps considérable se passe à faire des choses qu'il pourraient faire tout aussi efficacement chez eux. Dès lors, la présence physique imposée par l'employeur, et parfois recherchée par l'employé, ne relève pas d'une nécessité liée à l'efficacité du travail des uns et des autres, mais au désir d'agglutinement, qui procure au premier un contrôle mental sur ceux qu'il dirigent, et au second une surveillance qui les force à se mettre au travail. Un homme, rencontré récemment, me racontait qu'il avait accepté, comme on saute dans le vide, que le responsable de son site internet et de la communication en ligne, parte vivre en Bretagne et reçoive le même salaire pour un jour de présence par semaine et une réunion téléphonique quotidienne. Eh bien, sans qu'il sache le moins du monde le temps passé par son télésalarié à travailler, ni les heures auxquelles il agit, l'homme m'affirma qu'un résultat extrêmement satisfaisant était au rendez-vous. Tout est accompli en temps et en heure, comme on peut le souhaiter d'un type très professionnel. Dès lors, qu'il y passe trois heures par nuit, en caleçon et en écoutant sa musique préférée ultraringarde, quelle importance ?

 

Méprison

Durant un trajet de train Paris-Beaune, il y a quelques années, je téléchargeais sur mon téléphone portable deux ouvrages à disposition gratuite : le bar du subjonctif,  d'Alain Bouissière, et la morale anarchiste de Piotr Kropotkine. Plongée dans la fabuleuse conjugaison française d'abord, puis promenade dans les idées intéressante du russe anar à propos de la morale réelle, commune aux hommes et à toutes les autres espèces du règne animal. Je lisais, passionnée, quand j'entendis un couple assis en face de moi se murmurer à voix basse que décidément, les jeunes adultes, braqués sur leur téléphone portable, n'étaient que des décervelés incapable de lire un livre ou de réfléchir avec suite et concentration. Ils parlaient de moi. Lui, lisait un roman vendu à plus de cent mille exemplaires cet année là, et elle, une revue hebdomadaire paraissant le jeudi.