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dimanche, 16 octobre 2011

Fort Independencia

Il y a quelques cent ans, John-Antoine Nau hantait ce monde et écrivait des romans. Voici un extrait des Trois amours de Benigno Reyes :

"Ses quelques amis buvaient parfois chez lui de la bière « hambourgeoise » fabriquée à New-York et y fumaient aux grands jours des puros de La Havane importés de Huanuco. On avait vu sur sa table, un soir de réveillon, ces choses invraisemblables : une boîte de galantine, la seule qui fût jamais parvenue jusqu’aux rivages de Tarapaca (sans doute à la suite d’une erreur), des fruits confits et une douzaine de harengs saurs !

Aussi Benigno Reyes prenait-il, de coutume, la vie comme elle venait, — sinon très joyeux, du moins insensible aux horreurs ambiantes : n’avait-il pas conquis une « situation » inespérée ? Sa minuscule tire-lire s’était muée en coffre-fort de taille moyenne et, s’il pouvait un jour « faire rentrer » ce qu’on lui devait, ne lui deviendrait-il pas loisible de regagner son archipel dans une bonne cabine de paquebot, d’aller redorer la vieillesse de ses parents et s’installer dans une petite finca payée de ses cuartos, à l’ombre des dattiers et des pêchers-durazneros ?

Mais ce matin-là il venait de se rappeler qu’il avait atteint ses quarante ans dans la nuit, « en tenant compte de la différence des longitudes » (il était l’un des rares Canariens qui sussent le jour et l’heure de leur naissance). — Et tout à coup il était pris d’une colère froide mais féroce contre sa destinée : avait-il jamais vraiment joui d’un seul des rares bonheurs de la vie ?"