mardi, 12 février 2013
Le polar enfantin
Séries noires, souris noires
Où comment les grands noms du polar français ont tenté d'effrayer les enfants...
Histoire de la Série noire
Inspirés par les auteurs de roman policier américains (Dashiell Hammett, etc), des écrivains français créent, en 1947 au lendemain de la seconde guerre mondiale, une collection destinée au roman noir, au sein des editions Gallimard. C'est la première fois qu'une telle collection existe en France.
C'est Jacques Prévert qui trouve l'expression "série noire".
Autour de cette série une nébuleuse d'écrivains se forme. Si les institutions littéraires conservatrices continuent de mépriser le polar, ce genre obtient un succès d'estime, comme une forme à la fois plaisante et rebelle d'art (comme le cinéma, le rock...)
Histoire de la Souris noire
Un de ces écrivains de Série noire, Joseph Périgot, est appelé par les éditions Syros, pour créer une collection de romans policiers pour les enfants.
Joseph Périgot a toute latitude pour inventer cette série, il use de cette liberté en décidant qu'il n'ira pas chercher les auteurs de la collection dans le monde de la littérature enfantine, mais dans le monde du polar. Ainsi, ce sera du vrai polar, brut.
Périgot choisit le titre de Souris noire pour la collection, en référence à la série noire des adultes.
Les graphistes et illustrateurs sont choisis avec soin, là encore pas forcément dans le monde de l'illustration enfantine.
Le but est de conserver l'aspect sombre et puissant du polar. Un directeur artistique est nommé : Gérard Lo Monaco.
Ce type de collection pour enfants en choque certains. Ne plongeons pas nos chérubins dans le monde perverti des rues de nuit, des hommes troubles, des femmes perdues ! Le public enfantin des débuts de la Souris Noire restait un public d'initiés, dont les familles et le milieu sont particulièrement ouverts. Mais, la dégradation des moeurs, ma bonne dame, alliée à la déflagration de la liberté de pensée, chers concitoyens, ont quelque peu amolli l'aspect polardesque du polar pour chiards en couches-culottes.
Il n'empêche que l'émergence de Souris noire fait date dans l'édition jeunesse : c'est une expérience de mariage entre deux paralittératures (enfantine et polar), qui a contribué à démontrer aux écrivains de littérature générale qu'écrire pour le public enfantin peut être une expérience littéraire passionnante et artistique.
Par ailleurs, Souris noire a contribué à prouver que les enfants pouvaient lire autre chose que des contes ou des albums illustrés "sages".
Esthétique
La collection souris noire accorde beaucoup d'importance à l'esthétique de ses livres et à l'unité graphique des illustrations.
Depuis sa création, Souris noire a subi deux évolutions.
Evolution du graphisme de la Souris noire
Première période :
Deuxième période :
Troisième période :
Les titres
Sèvres-Babylone
Yacoub le fou
La nuit du voleur
L'assassin habite à côté
Albums illustrés
Nous présentons des albums des années 1990, qui, dans le domaine de "l'édition jeunesse", font déjà figure de classiques.
La reine des fourmis, de Fred Bernard et François Roca
DUO
Le duo Bernard-Roca a réalisé de nombreux albums illustrés.
Fred Bernard et François Roca
QUELQUES ALBUMS
STYLES
Le style, très littéraire, de Bernard, met une belle langue française au service des enfants.
Des trois niveaux de langues que j'appris à distinguer en cours de français, le langage soutenu, le langage courant, le langage familier, Fred Bernard reste toujours dans le langage soutenu.
STYLE OU PLAGIAT ?
François Roca est passionné par la peinture américaine du XX°siècle, qu'il a contribué à faire connaître auprès d'un large public en France, car ses propres images contiennent souvent des citations de peintures américaines.
Les peintres dont il fait des citations : Hopper, Remington, Waterhouse, Wyeth.
D'où l'accusation de plagiat. Je n'ai pas bien suivi l'histoire, et demeure partagé. Je ne comprends pas qu'une oeuvre soit aussi remplie de citations, cela me parait louche. En même temps, je ris (ah ah ah ah ah !) devant l'inculture totale des accusateurs, qui ont vu passer, placidement, durant de nombreuses années, les albums de Roca en y voyant que du feu. Il a fallu leur mettre le pot aux roses sous ne nez pour qu'ils tombent des nues !
LA REINE DES FOURMIS
Je n'ai quoi qu'il en soit pas trouvé de copie dans la Reine des fourmis. Cet album intéressant propose une enquête policière, mais l'univers de noirceur du polar n'est pas là.
L'histoire est la suivant : la reine des fourmis a disparu. Deux fourmis sont mandatées pour mener l'enquête. Elles partent de leur forêt tropicale et entament un long voyage qui les mènera jusqu'au Muséum d'Histoire naturelle de Paris, où elle pourront libérer leur reine et la ramener dans leur lointain pays.
Le Muséum d'histoire naturelle est admirablement décrit ! Le dessinateur y a passé des heures, et tous les lieux et les animaux empaillés sont parfaitement représentés.
Cette description réaliste du Muséum participe du genre du roman policier, souvent soucieux de détails, décrivant des lieux des villes avec précision.
Quelques images :
Yvan Pommaux :
une nuit, un chat et la série des Chatterton
Une nuit, un chat : le polar au biberon
Les Chatterton, d'Yvan Pommaux
Yvan Pommaux a la particularité de s'adresser aux très jeunes enfants. "Dès 3 ans", indique l'éditeur. Pommaux relève le défi incroyable de faire une oeuvre d'art, pleine de recul et d'humour, tout en y instaurant assez de poésie et de douceur pour faire rêver les petits enfants.
Le style graphique
Pommaux opère une stylisation à l'extrême de tout l'univers du polar. Description visuelle de la ville, de ses trottoirs sales, de ses bas-fonds. Pour montrer la foule bigarrée des villes, les différences d'univers, il utilise l'anthropomorphisme : ses personnages sont des animaux et des hommes mélangés.
Quant au personnage du détective, il est lui aussi stylisé à l'extrême : un condensé de clichés fait exprès.
Les citations
La série des Chatterton fait appel aux vieux contes de Perrault. Pommaux réutilise les contes du XVII°siècle, mais les transforme en polar.
Pommaux fait passer également, à travers les dialogues et les images, des références au roman policier américain des années 40-50, au cinéma, à l'art classique et moderne (peintures, sculptures)
L'atmosphère des mégalopoles de nuit, leurs grands squares qui se transforment en terrains de jeu pour une faune bien différente de celle des nourrices et des zenfants qui les hante le jour...
Tout cela procure aux enfants une initiation à la sombreur du monde parallèle. Les contes de fées reprennent leur force vitale de prévention contre le crime, parfois, peut-être, d'incitation dissimulée à la transgression.
Lilas
Yvan Pommaux s'attache à décrire les aspects oubliés de la ville Gouttières, poubelles, les portes du monde des déchets se révèlent à nos yeux qui cherchent d'habitude à les éviter. Cela permet au lecteur de petite taille ou promené dans une poussette de voir dans son livre le monde tel qu'il le voit, lui qui a encore les yeux au ras du sol.
Notons la foule bigarrée qui hante les albums chattertoniens. Chiens, chats, humains, tigres hantent la même ville, s'observent, se confrontent, et, parfois, oublient les convenances pour vivre une belle histoire d'amour...
Maestria
Pommaux a réalisé une oeuvre aussi exceptionnelle qu'elle a l'air facile d'accès. Tout est facile, très lisible, les images semblent lisses... Derrière cette simplicité, un immense travail est dissimulé.
Son plus grand succès est de faire cohabiter l'univers très noir du polar et du suspense, et l'illustration pour les tout-petits.
Sarah Moon et le chaperon rouge
Née en 1941 en France et exilée en Angleterre à cause de la guerre, la photographe Sarah Moon mène une carrière franco-anglo-américaine.
Elle a publié aux éditions Grasset, en 1986, Le petit chaperon rouge, une illustration photographique du Conte de Perrault.
CONTE CRUEL
Loin de l'aseptisation du texte à laquelle nous avait habitué Walt Disney, Sarah Moon illustre l'histoire à la lumière de la psychanalyse et de l'étude des contes.
Si elle garde le texte de Perrault tel quel, Sarah Moon photographie dans la ville. Ainsi, on lit "elle se promenait dans les bois" et on la voit marcher dans les rues d'une ville, longeant les immeubles.
Ce n'est pas un loup que la fillette rencontre, mais un homme...qui se transforme en loup dans une chambre à coucher.
POLAR
Toute l'atmosphère est celle d'un polar, d'un film noir.
CLASSEMENT IMPOSSIBLE
Le petit chaperon rouge de Sarah Moon n'a pas de place dans les librairies. On le trouve parfois en "littérature enfantine", parfois en "bande dessinée", parfois dans les rayons d'art photographique.
QUELQUES IMAGES
Le petit chaperon rouge :
La rencontre avec le loup :
L'agression :
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jeudi, 17 janvier 2013
Qu'est-ce que le polar ? - Paralittératures
Photos de H.L.
Né à l'aube du XX°siècle, le polar a connu un grand essor depuis.
Un jour, nous étudierons la définition de polar, ou roman noir ; ainsi que l'expression "paralittérature".
Nous parlerons de Paul d'Ivoi, à cheval entre le roman d'aventure et le roman policier ; Gaston Leroux, précurseur à la fois du roman policier français et du roman d'horreur et de fantastique ; Maurice Leblanc et son frère-ennemi, sa créature Arsène Lupin.
Nous mentionnerons l'existence de la collection, chez Gallimard, de la Série noire, pour s'introduire dans les arcanes de la collection enfantine de mini-polars Souris noire.
Un soir, nous relirons ensemble plusieurs albums illustrés directement inspirés du polar : La reine des fourmis a disparu, de Roca et Bernard ;
La série des Chatterton, d'Yvan Pommaux ;
Et le scandaleux Petit chaperon rouge, de Sarah Moon.
Qu'est-ce que le polar ?
Le mot polar correspond au mot anglais "thriller".
Avant "thriller", on disait, en anglais, "detective novel".
Pour traduire "detective novel" en français, les Français ont d'abord hésité entre "roman policier" et "roman judiciaire". Selon le Dictionnaire historique de la langue française, l'expression "roman policier" date de 1908.
Peu à peu, "roman policier" s'est imposé, on a cessé de dire "roman judiciaire".
Et puis, pour parler plus vite, on dit, "un policier" pour désigner un roman policier.
Enfin, de façon argotique, "policier" est devenu "polar".
Selon le Dictionnaire historique de la langue française, le mot "polar" date de 1970.
ROMAN NOIR
Une autre expression est employée en français pour parler du polar, c'est le "roman noir". Noir, parce que l'univers de cette littérature est sombre. Les événements s'y déroulent souvent la nuit, dans les quartiers laissés à l'abandon, dans des zones oubliées par la société. Ce qui est blanc est assimilé à la lumière, ce qui est noir à la nuit. De plus, à l'instar du polar américain, le polar a souvent une connotation sociale : on y dévoile les aspects les moins reluisants de la société, on y dénonce la corruption.
Le monde du polar est le monde du sombre, du caché, du ténébreux, l'inframonde, celui que les "gens normaux" ne voient pas ou ne veulent pas voir.
ESTHETIQUE
Enfin, sur le plan éditorial, le polar est lié à une certaine esthérique, noire et blanche avec un peu de rouge, pour le sang. L'identité visuelle du polar est présente dès la couverture du roman. Souvent, les auteurs jouent avec cette identité, s'habillant en noir, ayant des airs de personnages de leurs romans.
FESTIVAL
Il existe plusieurs Salon du polar en France. Le plus connu est celui qui a lieu dans la ville de Cognac, en Charente.
La ville de Cognac :
La boisson "Cognac" :
Paralittératures
Qu'est-ce que la paralittérature ?
Le mot désigne les littératures populaires, celles qui ne sont pas considérées par les "élites" comme de la vraie littérature.
Un prestige est attaché à la littérature. Aussi, tout ce qui est écriture mais n'accède pas à ce prestige est taxé de paralittérature.
Ce mot a été inventé pour désigner le roman populaire, celui qui connait des tirages de masses, un grand succès populaire, écrit par des auteurs dénués d'élitisme.
Exemples au XIX°siècle : Alexandre Dumas, Eugène Sue. Eux, ont fini par être reconnus comme des écrivains à part entière.
Exemples de paralittératures :
Littérature pour les enfants
Roman noir (ou polar)
Science-fiction
Fantastique (fantasy)
Littérature érotique
Roman photo
Bande dessinée
Roman historique
Bien que la poésie ne soit pas vraiment de la littérature, on ne la classe pas dans les "paralittératures", car elle a un grand prestige.
ROMANS DE GARE
Pour cette littérature dite facile (facile à lire, soi-disant facile à faire !), on emploie aussi l'expression "romans de gare" : les romans qu'on achète dans une gare pour se distraire lors d'un voyage en train.
Faciles à lire, ce sont, soit des romans policiers, soit des histoires d'amour à l'eau de rose (sirupeuses).
Exemple : Les écrivains Guy des Cars et Jean des Cars, auteurs très populaires, méprisés par les élites, étaient souvent appelés par les critiques "Guy des Gares" et Jean des Gares, pour souligner qu'ils ne faisaient pas de la vraie littérature, mais des romans de gare.
Le cinéaste Claude Lelouch a tourné un film intitulé Roman de gare... Qui raconte l'histoire d'une écrivain de romans policiers.
En bref, le mot paralittérature a d'abord servi pour décrire tout ce qui, dans le domaine littéraire, recevait le mépris des universitaires.
Puis, peu à peu, un intérêt s'est accru pour les littératures populaires. Alors le mot paralittérature a pris le sens de "littératures marginales".
Mais, bientôt, avec Internet, l'affluence des oeuvres multimédia, il y aura certainement moins besoin de séparer radicalement la "littérature noble et pure" des autres littératures.
Alors, comment fera-t-on pour établir une différence entre l'art des élites, respectable, et l'art des masses, pitoyable ? Bah, on inventera autre chose !
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