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dimanche, 14 avril 2013

Ethel dans la ville

 Ethel, vie monacale, amharique, chroniques éthiopiennes, hébreu biblique, genèse, grec biblique, évangile, dictionnaire, grammaire, ancien français, arabe, poèmes

 

Éthel à neuf heures s'installe à sa table de travail, devant la fenêtre derrière laquelle les toits de Paris se déploient jusqu'à la lointaine banlieue où de hautes cheminées fument loin au-dessus des arbres. Le ciel est traversé de pigeons et d'avions à réaction. Elle ouvre son évangile grec, son dictionnaire du grec biblique, sa grammaire.

 

Lundi, elle travaille ainsi à mieux comprendre l'évangile dans le texte.

 

Mardi, à la même heure, elle s'attelle aux chroniques éthiopiennes écrites en langue amharique.

 

Mercredi, elle étudie de vieux poèmes arabes et des manuscrits de Tombouctou.

 

Jeudi, elle déchiffre la genèse en hébreu.

 

Vendredi est consacré à l'ancien français.

 

Samedi, assise à la même table, elle déchiffre des partitions musicales mentalement.

 

A onze heures, elle ferme ses livres et se met au piano ou à la guitare, à l'oud arménien ou à la flûte et elle laisse ses doigts rêver sur l'instrument, une heure durant. Lorsque les dernières notes meurent sur les rives de la Faim, Éthel s'en va dans habiter sa joyeuse petite cuisine. Elle y prépare un déjeuner, pour elle seule ou pour l'invité du jour.

 

A 14h, elle prend un café seule, sur son hamac, en écoutant de la musique, ce qu'elle préfère. Certains jours elle choisit de se balancer dans le silence.

 

Une promenade suit souvent ce moment de détente. Puis Éthel rentre et se met à son ordinateur, où elle écrit deux heures. En ce moment, elle travaille sur une série de dessin animé consacrée à l'histoire des rois de la Bretagne. Lorsque ces deux heures de travail sont terminées, elle s'offre une nouvelle promenade, fait des courses ou prépare un plat long et compliqué.

 

Le soir, seule ou avec quelques proches, elle dîne aux chandelles. Dans la pénombre où flottent quelques lueurs de feu, la cire fond lentement, les conversations se succèdent, calmes ou agitées, on met un disque ou on fait quelques pas sur la terrasse pour apercevoir la lune à travers les nuages de pollution et les lumières artificielles.

 

Autrui part tôt car la solitude est chère à Éthel. Quand elle n'est pas subie, mais choisie, elle lui ouvre les portes de la prière et de la pensée. Éthel prie dans la pénombre, de longs moments, que son cœur soit sec ou spirituel elle prie.

 

Si elle entre dans son lit avant onze heures, elle lit quelques temps avant d'éteindre et de chercher le sommeil. S'il est onze heures ou plus tard, pas de lecture.

 

Au bout de la nuit, elle s'éveille vers sept heures et peu à peu émerge d'un lointain monde nocturne. Après la douche, le petit-déjeuner, elle prie.

 

Puis elle attend dans son lit ou fait une promenade avant de se mettre, à neuf heures, à sa table de travail, sous la fenêtre par laquelle Paris se dévoile, toujours plus beau, saison après saison.

 

Elle ouvre son dictionnaire d'amharique, ses grammaires et ses chroniques, car on est mardi.

 

De temps en temps, dans la semaine, elle se rend à une réunion dans une institution, un déjeuner d'affaire ou un dîner en ville. Mais cela ne trouble pas longtemps le rythme de sa vie, né de l'habitude, de l'expérience et de l'inspiration.

 

Sébastien Ithiopia, 10 avril 2013, près d'une fenêtre sombre l'après-midi

samedi, 26 février 2011

Microsillon... Vivaldi : Les Concertos pour mandolines

 

Assemblée Nationale

 

Recopier les textes des pochettes de disques vinyles des années 60 et 70... C'est une des activités de Jean Bouchenoire, Nadège Steene, David Nathanaël Steene, Édith de Cornulier-Lucinière depuis quelques mois.

Ces textes de qualité, nous les relisions en réécoutant ces disques passés de mode ; nous nous sommes dit qu'il faudrait pouvoir les conserver, y revenir à souhait car ils structurent et éclairent l'histoire discographique.

 

Voici le texte de la pochette des Concertos pour mandolines dirigés par Claudio Scimone. On y apprend que les musicologues ont longtemps bêtement confondu la trompette marine (long violon utilisé dans les couvents féminins allemands et a eu les faveurs de quelques compositeurs français) et la trompette tout court, instrument à vent n'ayant rien à voir avec le premier. Vivaldi était ainsi bien mécompris, méconnu, maljoué et il est bien heureux que l'on soit revenu à une compréhension plus fidèle de son œuvre.

 

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Vivaldi, les concertos pour mandolines

Concerto pour violon discordato i solisti veneti

Direction Claudio Simone

Stereo Erato. Éditions Costallat. Paris.

Prise de son : Peter Willemoes.

Pas de date sur le disque...

 

Guitare, luth, mandoline, théorbe... ces instruments à cordes pincées évoquent pour le mélomane moderne des images bien lointaines, sans vie réelle, liées tout au plus au monde de la musique dite « légère ». Au sein du grand orchestre d'aujourd'hui, le seul élément qui subsiste encore de cette pittoresque famille est la harpe. Il en était bien autrement au dix-huitième siècle, et, notamment à Venise au temps d'Antonio Vivaldi : toute formation instrumentale d'une certaine classe comprenait alors – en plus d'un ou de deux clavecins – au moins un théorbe destiné à compléter la « basse continue », accompagnement que les compositeurs négligeaient d'écrire note par note, se fiant selon les circonstances, à un nombre variable de musiciens qui improvisaient d'après les chiffres servant de base harmonique. Peu à peu l'un ou plusieurs de ces instruments se joignirent à l'ensemble en qualité de soliste et l'importance de cette famille instrumentale sans cesse croissante donnait à l'orchestre du dix-huitième siècle une sonorité particulière, claire, délicate et extrêmement limpide qu'il est fort difficile d'imaginer de nos jours.

 

La mandoline, traditionnellement liée, dans l'imagination populaire, à la chanson napolitaine, fut bien négligée par les compositeurs de toutes les époques, peut-être à cause de sa sonorité métallique et un peu sèche, et son rôle dans le domaine de la musique classique se limite à quelques apparitions épisodiques dans le répertoire lyrique, comme accompagnement d'une sérénade ou d'une romance. Parmi les grands génies de musique instrumentale, seuls Beethoven et Mahler ont fait place dans leur production à cet instrument qui apparaît aussi – toutefois en tant qu'allusion folklorique – dans quelques oeuvres de Respighi. Dans la tradition théâtrale vénitienne, la mandoline avait fait son apparition, avant Vivaldi, comme instrument «obligé » au sein de l'orchestre : Marc Pincherle cite l'emploi de cet instrument entre 1704 et 1707 dans ces compositions de Bononcini, Ariosti et Conti.

 

Au cours des longues années de son infatigable activité de compositeur lyrique, de pédagogue et de « Maître de concerts », des orphelines adoptées par l'Hôpital de la Piété, à Venise, le « Prêtre Roux », Antonio Vivaldi (1678-1741) n'a cessé d'explorer avec une imagination inépuisable, les ressources nouvelles de timbres et de coloris instrumentaux, obtenant des résultats d'une richesse et d'une variété qui ont laissé une trace unique pour toutes les époques suivantes. Certes, il a créé à l'infini des combinaisons et des fusions instrumentales entièrement nouvelles, révélant ainsi des possibilités insoupçonnées au sein de la formation la pus simple, celle de l'orchestre à cordes ; mais il n'a cessé, d'autre part, de « travailler » sur les timbres de chaque instrument en particulier, mettant en valeur certains d'entre eux qui, avant lui, étaient condamnés à un simple rôle de toile de fond, leur rendant toute leur dignité d'instruments soliste grâce à une littérature aussi riche qu'admirable (citons seulement, en exemples, le basson et le violoncelle). Les trois concerti qui composent la présente « intégrale » forment un répertoire pour mandoline solo unique dans l'histoire de la musique, car seul Vivaldi a eu le mérite d'avoir deviné les possibilités de cet instrument et d'avoir su l'utiliser pour composer des œuvres admirables.

 

Il est presque certain que Vivaldi composait pour la mandoline dite « napolitaine », munie de huit cordes couplées deux par deux et accordées comme les quatre cordes d'un violon ; et c'est ce qui explique comment Vivaldi, violoniste remarquable, a pu traiter la mandoline avec une maîtrise si extraordinaire.

 

Cette maîtrise s'affirme déjà totalement dans le concerto en ut majeur pour mandoline dans laquelle, selon une concession de l'auteur, la partie des instruments à cordes peut être exécutée en « pizzicato » - nous avons toutefois suivi, pour cet enregistrement, la première des deux indications originales, mettant ainsi davantage en évidence l'opposition des timbres entre le soliste et les cordes qui l'accompagnent. Ce Concerto fut probablement composé pour le marquis Guido Bentivoglio di Ferrara, ami et protecteur de Vivaldi et qui, comme le mentionne une lettre de 1736, jouait de la mandoline pour son plaisir. La partie de mandoline, dans le premier mouvement, s'oppose nettement aux Tutti, sugérant des motifs d'une grâce et d'une élégance rares, s'isole dans une broderie en arpège au cours du second mouvement dont la symétrie géométrique évoquerait certaines œuvres de Jean-Sébastien Bach s'il n'y avait là toute la légèreté et la luminosité typiquement vénitienne – puis se fond, en revanche avec les cordes dans le dernier mouvement, reprenant le motif des Tutti et le développant pour son propre compte jusqu'à la soyeuse et brillante conclusion.

 

Le Concerto en sol majeur pour deux mandolines, œuvre bien plus complexe et importante, est également beaucoup plus populaire. Le thème du premier mouvement est infiniment plus riche, opposant ombres et lumières dans les divers dessins mélodiques. Le second mouvement constitue l'une de ces pages typiquement vivaldiennes, construites sur une mélodie si caractéristique et pleine de charme, qui se dessine, en couleurs doucement automnales, dans une atmosphère de mélancolie qui, jamais, ne devient de la tristesse. Le chant des deux solistes se développe dans une liberté totale, soutenu par les seuls « pizzicati » des violons : cette fois encore, nous demeurons émerveillés de la richesse poétique que le Prêtre Roux réussit à obtenir de ces instruments rigides et insolites. Le Finale, riche en traits de virtuosité, est très brillant.

 

Mais le Concerto le plus intéressant, le plus beau de cette « intégrale », l'exemple le plus spectaculaire des possibilités sonores qu'offrait aux compositeurs du XVIIIème siècle cette formation orchestrale – aujourd'hui inusitée – est le concerto p.16, composé par Vivaldi à l'occasion d'un concert donné en 1740 par les « Filles du Pieux Hôpital de la Piété » à Frédéric Christian, Prince de Pologne et Électeur de Saxe, et dont une copie manuscrite se trouve à la Landesbibliotek de Dreste. Ce Concerto, l'une des pierres angulaires de l'histoire de la musique, l'un des documents les plus expressifs de la sensibilité musicale de tous les temps, apparaît ici pour la première fois dans ses habits d'origine, c'est-à-dire que les effets de timbres voulus par l'auteur ont été respectés.

 

L'instrumentation de ce concerto est d'une variété rare non seulement pour l'époque mais également en regard de l'ensemble de l'œuvre de Vivaldi lui-même, comprenant, selon le titre du manuscrit original : « 2 flauti, 2 teorbi, 2 mandolini, 2 salmoe, 2 violini in tromba marina e un violoncello » en plus, bien entendu, de l'orchestre à cordes et du « continuo » de rigueur.

 

Les théorbes étaient des instruments à cordes pincées de la famille du luth qui, au temps de Vivaldi, avaient, tout comme la mandoline des cordes couplées deux par deux, avec cette différence, très caractéristique, que les cordes du théorbe, fort nombreuses, étaient fixées sur deux manches. Celles qui partaient du manche le plus long (les plus graves) étaient accordées suivant la tonalité du morceau à jouer et étaient toujours pincées « à vide », c'est-à-dire sans la moindre intervention de la main gauche (il n'était donc possible de jouer qu'une seule note par corde). Ceci contribuait à donner à cet instrument une couleur ronde et riche, très séduisante, particulièrement adaptée à son rôle habituel dans la basse continue.

 

Le Salmoe est un instrument à vent, n'existant plus de nos jours, dont les caractéristique font l'objet de nombreuses discussions. Pour nous, nous partageons pleinement l'opinion des musicologues – dont Marc Pincherle – qui le considèrent comme un instrument « à anche simple », c'est-à-dire un ancêtre de la clarinette. À notre avis, cette hypothèse se trouve corroborée par le fait que Vivaldi n'utilisait cet instrument que lorsqu'il désirait une sonorité exceptionnellement délicate : dans le « Concerto funèbre », par exemple, où le salmoé sert de basse aux « soli » du hautbois en sourdine (alors que le salmoé ne porte pas de sourdine), où dans le présent Concerto qui se caractérise par la sonorité ténue de tous les instruments solistes. Pour cette raison, et pour d'autres motifs qu'il serait trop long d'énumérer, nous avons réalisé les parties de salmoé, instrument aujourd'hui disparu, avec des clarinettes à l'octave supérieure.

 

Autre curiosité dans cette œuvre insolite : les « violini in tromba marina », littéralement violons imitant la trompette marine, instrument très rare à effet de roulis caractéristique, au timbre ténu, légèrement nasal. Il est évident que cet effet de roulis sur la table d'harmonie et cette modification de la couleur étaient obtenus par l'adjonction d'une sourdine spéciale. Toutefois nous sommes en plein mystère quant à la réalisation de cette sourdine et nous avons dû nous livrer à de longues recherches pour mettre au point un accessoire analogue, non sans d'ailleurs mettre à profit certaines expériences sonores de quelques compositeurs d'avant-garde qui ont pu ainsi constater qu'il n'est rien de nouveau sous le soleil...

 

Flûtes, salmoé, mandolines, théorbes, violons à sourdine spéciale : nous avons là un ensemble de timbres légers, lumineux, brillants, aux possibilités sonores d'une richesse infinie, dont l'agilité et la virtuosité sont mises constamment en valeur. Soutenus par le « continuo », ce sont les quatre instruments à cordes pincées qui dominent dans les Tutti, conférant ainsi à l'ouvrage une sonorité unique dans l'histoire de la musique. Dans les « soli » ressortent plus particulièrement les couples d'instruments : en allusions spirituelles bien caractéristiques de son style, Vivaldi se plaît à mettre en lumière, aux points-clés du discours musical (les soli au début des deux mouvements rapides et le dernier et étincelant solo du Finale) les deux instruments à cordes unissant la solennité des trompettes à la virtuosité typiquement violonistique qui se déploie en arpèges brillants et en doubles-cordes. Mais, même dans les vigoureux tutti, chaque instrument garde sa propre individualité : ce que ce Concerto apporte de plus nouveau, c'est bien le fait qu'au sein de la masse sonore ne se crée plus un amalgame de timbres, mais que chaque couleur particulière demeure distinctement perceptible dans une trame délicate et transparente.

 

Dans l'admirable mouvement médian, les violons, avec un phrasé typiquement vivaldien, chantent une ample mélodie de barcarolle, que doublent seules, à l'unisson, les deux mandolines. C'est là une des pages les plus « vénitiennes » de Vivaldi, où, dans une simplicité extrême et avec une tendresse infinie et extatique, la mélodie se déploie librement et sans interruption aucune, atteignant les régions les plus élevées de l'émotion artistique.

 

Nous avons déjà dit que, dans le présent enregistrement le Concerto a été réalisé, autant que posible avec les timbres originaux voulus par le compositeur. C'est également ce qu'on peut lire en tête de la transcription faite par deux éminents musiciens italiens – sur laquelle se sont basés, tant pour le concert que pour le disque, des exécutants très célèbres – et qui comprend, entre autres, pour la réalisation des parties de « violon en trompette marine » deux véritables trompette ! Cette énorme... et assourdissante erreur, qui a fait loi jusqu'à présent, est désormais condamnée sans rémission par le respect du texte vivaldien, sur le plan technique comme sur celui du bon goût. Sur le plan technique, les parties de violon « en trompette marine » sont sans le moindre doute possible une partie violinistique, avec intervalles, traits, doubles cordes, insistances caractéristiques sur les corde à vide et en particulier sur la corde de sol qui constitue la limite grave du registre de cet instrument. En fait, les compositeurs dont nous parlons ont dû se livrer à d'incroyables acrobaties pour transformer cet authentique violon en fausse trompette, effaçant les doubles notes, répartissant et divisant les traits d'une façon plutôt fantaisiste (ce sont les violons de l'orchestre qui sont obligés, par exemple, de jouer des « cordes à vide » seules au milieu de longs silences), pour finalement obtenir deux parties de trompettes horriblement difficiles, anti-naturelles et parfaitement injouables.

 

Du point de vue du bon goût artistique, l'édition comportant ces deux trompettes est une négation totale de la géniale intuition vivaldienne quant à la combinaison des timbres, qui est à la base de ce chef-d'œuvre. La sonorité éclatante et écrasante des trompettes « tue » l'ensemble des autres instruments, détruisant le délicat, l'aérien, l'admirable équilibre : les fragiles cordes pincées disparaissent totalement tandis que les autres instruments passent au second plan – bien que les exécutions inspirées de telles « révisions » prévoient des instruments aux sonorités moins fines, plus lourdes tels que la petite harpe (à la place du téorbe!) le basson, le cor anglais etc.

 

L'origine de cette absurdité est la suivante : le copiste de Dresde, interprétant sans doute une abréviation de Vivaldi (peut-être le compositeur avait-il simplement inscrit les lettres « Tr. » pour distinguer les violons « in tromba marina » des autres violons de l'orchestre à cordes) a écrit le mot « Tromba » au début de la partition. Les musicologues que nous mentionnons ont pris cette indication à la lettre, oubliant que le titre de la partition porte l'indication exacte de « violoni in tromba marina » et qu'il n'y est pas question de la moindre trompette ! Assez comiquement, l'un d'eux, partant de cette énorme confusion, observe dans une note éditée que « les violons en trompette marine ne figurent pas parmi les instruments mentionnés dans la partition ». Il aurait d'ailleurs dû lui suffire de lire attentivement cette partition car un musicien peut se tromper devant des mots, mais pas en face de notes ! La modestie et l'amour auraient dû lui rappeler que Vivaldi était peut-être le plus grand connaisseur de timbres et d'instruments de toute l'histoire de la musique, qu'il savait, mieux que ses « réviseurs » que la trompette, elle, ne donne qu'une seule note à la fois et qu'il en connaissait parfaitement l'étendue et les caractéristiques !

 

Écoutons-le donc, ce Concerto, tel qu'il fut autrefois. Cette audition fera revivre à nos oreilles un joyau sans pareil qui, jusqu'à ce jour, avait été entièrement défiguré. Nous goûterons ainsi l'une des plus splendides créations de l'esprit humain, où la clarté, la simplicité, la luminosité et la grâce aérienne de l'art vénitien atteignent les dimensions d'un message universel.

 

Ce disque est complété par le Concerto en si bémol « a due cori von violano discordato », l'une des œuvres où souffle le plus largement l'esprit du Prêtre Roux : l'usage de l'écriture « à deux chœurs » remonte aux origines de l'école musicale vénitienne, tradition dûe à la disposition de la Basilique Saint-Marc, dont les deux orgues se faisaient face : les compositeurs réunissaient voix et instruments autour de chacun de ces orgues dans une alternance et un dialogue constant des deux masses sonores. Pour employer un terme moderne, c'était là déjà la musique « stéréophonique ». Nombreuses sont les œuvres du Prêtre Roux écrites selon cette tradition et où se répondent et s'unissent deux orchestres à cordes. Le violon solo est « désaccordé » ou plutôt accordé de façon inhabituelle : pratique cependant fréquente dans l'école vénitienne qui, tout en modifiant les possibilités techniques de l'instrument en variait également le timbre, selon les différentes façons d'accorder. Dans le Concerto qui nous intéresse, la note quatrième est montée d'une tierce mineure, donnant ainsi un si bémol. La couleur de l'instrument acquiert plus de douceur. Sur le plan technique, ce système augmente les possibilités de garder le si bémol comme pédale pour les traits et les arpèges.

 

Parmi les plus beaux passages de ce Concerto, citons la passacaille du second mouvement où les instruments de l'orchestre répètent constamment les sept mêmes battues tandis que le soliste donne libre cours à une invention toujours nouvelle dans la variété et la richesse de la fantaisie. Il est à remarquer que la Cadence, à la fin du dernier mouvement, est l'une des rares pages de ce genre écrite entièrement de la main même de Vivaldi.

 

Claudio Scimone

Traduction : F . Knaeps