jeudi, 08 juillet 2010
Les stations-service
Voulez-vous lire un extrait du Paysan de Paris, de Louis Aragon ?
Ce livre surréaliste exalte évidemment le progrès, et particulièrement le progrès du béton sur la forêt, le progrès du citadin sur l'homme de la terre, ce qui peut faire froid dans le dos, certes, aux frères des animaux, des arbres et de l'enfance va-nu-pieds. N'en admirons pas moins le style, la pensée, la poésie.
Admirons aussi la mystique presque médiévale du bâtisseur inconnu...
Enfin, admirons la naïveté d'un communiste pratiquant, c'est à dire adepte d'une religion sans dieu qui fit des millions de morts, face aux terribles moeurs des lointains peuples "primitifs".
Les stations service, donc. Voilà comme il les décrit - en 1926 :
"Ce sont de grands dieux rouges, de grands dieux jaunes, de grands dieux verts, fichés sur le bord des pistes spéculatives que l'esprit emprunte d'un sentiment à l'autre, d'une idée à sa conséquence dans sa course à l'accomplissement. Une étrange statuaire préside à la naissance de ces simulacres. Presque jamais les hommes ne s'étaient complus à un aspect aussi barbare de la destinée et de la force. Les sculpteurs sans nom qui ont élevé ces fantômes métalliques ignoraient se plier à une tradition aussi vivre que celle qui traçait les églises en croix. Ces idoles ont entre elles une parenté qui les rend redoutables. Bariolés de mots anglais et de mots de création nouvelle, avec un seul bras long et souple, une tête lumineuse sans visage, le pied unique et le ventre à la roue chiffrée, les distributeurs d'essence ont parfois l'allure des divinités de l'Egypte ou de celles des peuplades anthropophages qui n'adorent que la guerre. Ô Texaco motor oil, Eco, Shell, grandes inscriptions du potentiel humain ! bientôt nous nous signerons devant vos fontaines, et les plus jeunes d'entre nous périront d'avoir considéré leurs nymphes dans le naphte".
Louis Aragon, le Paysan de Paris, 1926
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