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dimanche, 24 janvier 2010

René Lalou : les témoignages sur la Guerre

 

J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946, L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages. 
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".

Le chapitre « les témoignages sur la guerre » est émouvant, guirlande des traumatisés de 14-18 (cette guerre votée par des députés qui ne la firent point, mais continuèrent leur tranquille vie tandis que la jeunesse masculine française était envoyée à la boucherie).
Des soldats revenants, beaucoup écrirent, sans espoir.

 

La guerre de 14-18 a brisé beaucoup d’œuvres de jeunes écrivains qui commençaient, comme Alain-Fournier et son Grand Meaulnes ; elle a ensuite donné des raisons d’écrire à ceux qui n’en auraient pas eu l’idée sans elle.


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phot Sara



I Le Feu, d’Henri Barbusse. 

 

(NOTE d'AlmaSoror : Comment un homme traumatisé par les millions de morts de 14-18 peut militer pour une cause qui fera des millions de morts, le Communisme ? Mystère, mystère…)

 

« …des choses épouvantables faites par 30 millions d’hommes qui ne les veulent pas ».

 

L’œuvre « militariste » de Péguy et de Psichari n’était point inhumaine mais évoquait avec gravité des problèmes urgents. De même, le roman de guerre ne fut point, dans l’ensemble, belliqueux. Il aurait fallu être aveugle à la durée et à l’immensité du carnage pour oser s’en réjouir. Les livres qui, de 1914 à 1918, connurent la faveur du public montrent assez bien les fluctuations de l’opinion durant cette période : aucun d’eux n’est coupable de sacrilège envers l’humanité.
Gaspard ne dépasse pas la facilité superficielle qui caractérise toutes les autres productions de René Benjamin : tout y est conventionnel : la guerre et ses à-côtés, les combattants et leurs infirmières. Mais le caractère de Gaspard, marchand d’escargots rue de la Gaïté, Parigot blagueur et héroïque, est de ceux auxquels, depuis Gavroche toutes les sympathies sont acquises. En 1915, on réclamait une détente : on la trouva dans ce journalisme sans prétention.


En 1916 parut le livre qui fut le plus grand succès de librairie de notre temps : le Feu, d’Henri Barbusse. Vingt ans avant, Barbusse avait débuté avec un recueil de poèmes, les Pleureuses, où se manifestait une sensibilité prompte à s’émouvoir devant les nuances les plus fugitives de la réalité moderne, mais qui ne parvenait point à les traduire sous une forme définitive. Le poème La Lettre, si proche encore dHenry Bataille :


Je t’écris et la lampe écoute.
L’horloge attend à petits coups
Je vais fermer les yeux sans doute
Et je vais m’endormir de nous…


montre assez clairement les bornes de ce lyrisme familier. Dans L’Enfer, Barbusse se posait en successeur de Zola, et ce roman renfermait de vigoureuses descriptions. Mais l’écrivain avait en même temps cédé au désir d’y dresser une espèce de somme philosophique de son époque. C’était là de sa part un contre-sens sur son propre talent : s’il existe des esprits pour qui les idées ne comptent que selon leur valeur abstraite, Barbusse représentait l’autre extrême. Il appréhende des idées leur rayonnement sentimental ; en face d’une notion intellectuelle, il déploiera toutes les notions d’un cœur généreux, jamais il ne la peindra dans son impartiale nudité. La pensée de l’auteur de l’Enfer égalait en simplicité celle de la Couturière qu’il a chantée :


Elle croit à la beauté,
Elle croit à l’harmonie,
Elle se sent infinie,
Les lèvres dans la clarté.



Nous avons rappelé l’énorme succès du Feu : peut-être le dut-il d’abord à son extraordinaire accent de sincérité ; pour la première fois un écrivain apportait à ses lecteurs, sans aucune interposition littéraire, la vérité, une description exacte de la vie dans les tranchées. Mais cette popularité ne fut point un triomphe de surprise : le Feu réunit en effet toutes les qualités du réalisme humanitaire de Barbusse. Dans ce « journal d’une escouade », il s’est presque toujours interdit de dépasser son expérience personnelle et le point de vue du simple soldat ; de là, l’intensité des pages où, racontant une journée sans incident, une corvée ou une attaque, il évoque avec le relief de leur précision concrète la durée, la boue, les instincts élémentaires. Son émotion, assez vibrante pour dédaigner tout artifice, ressuscite, avec une sympathie virile ou un humour attendri, ses compagnons de combat qui ne furent point des héros, mais, plus glorieusement, des hommes. Même l’âpre satire qui stigmatise la division de la patrie en « deux pays étrangers, l’avant et l’arrière », n’est point une opposition factice : elle naît de cent petits faits qui gardent leur force. Surtout elle est dominée par le sentiment poignant que, si les civils oublieront vite ce qu’on souffert pour eux les combattants, ces derniers eux-mêmes n’en garderont point une mémoire intacte : « on est plein de l’émotion de la réalité au moment, et on a raison. Mais tout ça s’use dans vous. »


Le Feu représentait la guerre dans toute son horreur, plus haïssable encore d’être peinte avec cette tragique sobriété. Barbusse eût failli à l’honnêteté en ne cherchant point quel remède éviterait le retour « des choses épouvantables faites par 30 millions d’hommes qui ne les veulent pas ». Quelques pages du Feu indiquaient nettement sa volonté de pacifisme : une aube d’espoir se levait sur ce champ de bataille sinistre. Il était donc inévitable que Barbusse apparusse à beaucoup d’anciens combattants comme un guide et qu’il lui fût impossible de se soustraire à cet honneur. Persuadé par l’exemple de Zola que le roman peut devenir un instrument d’apostolat politique, il écrivit Clarté où l’affabulation romanesque voile mal son dessein de démontrer que, selon la conclusion des Paroles d’un combattant, « la seule voix humaine qui s’harmonise avec la nature elle-même, la musique pensante de l’aube et du soleil, c’est le chant de l’Internationale ». Tout jugement sur la portée d’ouvrages comme Élévation ou sa biographie de Staline dépend de l’opinion que l’on professe envers l’activité de militant à laquelle il a tout subordonné ; mais ses plus violents adversaires ont dû reconnaître la générosité avec laquelle Henri Barbusse a servi jusqu’à sa mort la cause du progrès humain qu’il prenait déjà l’engagement de défendre dans les admirables Lettres à sa femme (1914-1917).

 

René Lalou