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dimanche, 18 janvier 2015

Feux électriques

 

Grâce à Tieri, j'ai feuilleté il y a quelques jours un roman d'Alex La Guma, dont l'atmosphère m'habite encore par moments, par vagues. Et, en me souvenant de cette ambiance à peine lue, j'écoute le Lux aeterna de Ligeti. Ceci dans une chambre d'une ville tranquille située au bord de l'océan Atlantique. Presque pas de vent ce soir – qui pourrait croire que la nuit dernière tonnait sous la tempête ?

Dans le train, l'autre jour, un jeune homme très bien habillé et très sérieux travaillait sur son joli ordinateur portable, et j'ai vu son nom s'afficher sur son écran alors que je ne le souhaitais même pas. Prise ensuite d'un voyeurisme que je trouvais moi-même insupportable, mais incapable de me retenir, j'ai tapé son nom sur le moteur de recherche « google » de l'écran de mon téléphone. Effrayée par cette attitude inique quoiqu'invisible, j'ai tout de même, en quelques secondes, réalisé où il avait grandi, effectué ses études... Quelle horreur que la modernité, me disais-je, pour rejeter la faute de mon immorale indiscrétion sur la modernité. Mais l'époque ne fait que refléter ceux qui l'habitent, et les techniques ne font qu'obéir aux humains qui les utilisent. Quoi qu'il en soit, le jeune homme au bout d'une heure a éteint son ordinateur et sorti un livre : le portrait de l'aventurier, de Roger Stéphane. Je me suis souvenue alors assez confusément de ce livre, et très précisément de la préface de Jean-Paul Sartre, présente également dans l'édition de mon voisin « auditeur financier» dans un cabinet international. Sartre, ce grand menteur, cet idéologue plein d'intelligence, de morgue et de bassesses, y détaille brillamment les personnalités de l'aventurier et du militant – que tout oppose.

Et moi, à cause d'événements récents de l'actualité, bien que l'actualité n'existe pas, l'actualité n'est qu'une proposition indécente de voir telles choses du monde, d'une telle manière, tous ensemble, et de croire que voici l'histoire qui défile, moi donc, je m'interrogeais sur le profil du rebelle. Celui qui refuse de n'être qu'un rouage du système, quel que soit le niveau du rouage, l'importance sociale qu'on lui donne.

Le rebelle individuel, qui se dresse contre le système, est broyé en moins de temps qu'il ne faut pour qu'il comprenne l'inanité de son geste héroïque et inutile.

Le rebelle enrôlé, quant à lui, dans quelque combat collectif, a plus d'espoir, plus de soutien, et s'il peut finir lâché par ceux de sa cause et broyé, il peut également vivre une vie de combattant au long cours, ou même devenir ministre à la place du ministre si la révolution qu'il sert a lieu.

Mais, même si la cause est perdue, le rebelle engagé savoure quelques bienfaits qui ne sont pas donnés à celui qui se soumet ou qui vit sans s'en faire, dans l'adaptation totale au monde. En effet, il prend du recul par rapport au système, menant une double vie ; il est soutenu par une idéologie forte, qui lui permet de traverser les coups durs, privés comme sociétaux ; il reçoit une préparation physique, mentale, intellectuelle et technique qui l'aide à se construire, à progresser, à élever ses enfants s'il en a. Il connaît la joie des réseaux parallèles, et garde le temps de son engagement de goût de liberté et de bravade que l'on ne connaît souvent qu'à l'ère courte de la jeunesse, et dont le malaise intérieur de l'adolescence nous empêche trop souvent de profiter. Si le rebelle se sacrifie à sa cause, il connaît une gloire, payée le prix fort, et devient le héros d'une communauté (diabolisé par le système, mais le regard qui compte pour lui est celui de la communauté).

Mais ce qui est amusant, c'est que Ligeti s'est tu depuis longtemps. J'ai eu Laurence P au téléphone et nous avons parlé de l'amour, de l'argent, des bébés, de la jeunesse qui passe et de la fête qu'il faut continuer, et puis nous avons raccroché. Elle, rue de la Roquette, moi, à quatre heures de train de Paris, vers l'Ouest. Time is a liar, chante une voix d'homme faussement douce, une voix de crooner qui m'emporte loin de Ligeti mais dans laquelle il reste un peu des atmosphères d'Alex La Guma.