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dimanche, 24 février 2013

L'Etat, forteresse du peuple

"Comme la paix dans les États n'a pour objet que de conserver les biens des peuples en assurance (...), et comme ce serait aller contre le bien de la paix de laisser entrer les étrangers dans un État pour le piller, sans s'y opposer, de crainte d'en troubler le repos, parce que la paix n'étant juste et utile que pour la sûreté du bien, elle devient injuste et pernicieuse quand elle le laisse perdre, et la guerre qui le peut défendre devient juste et nécessaire."

Blaise Pascal

jeudi, 27 janvier 2011

Voltaire, Saint-Simon et le Roi-Soleil

 

gare de Dijon, chez Paul

 

Nous livrons un extrait de Saint-Simon, par Gaston Boissier, publié en 1892 dans la collections "Les grands écrivains français". Boissier relate comment Voltaire adula le siècle de Louis XIV autant que Saint-Simon l'execra.

Voltaire

Voltaire

 

Si nous voulions nous donner le plaisir de voir comment les mêmes faits peuvent changer d’aspect suivant le côté d’où on les regarde, nous n’aurions qu’à comparer les Mémoires de Saint-Simon au Siècle de Louis XIV de Voltaire. Quoiqu’ils aient travaillé souvent sur les mêmes documents et consulté les mêmes personnages, rien ne diffère plus que la façon dont ils jugent le Roi. Ce qui indigne l’un est justement ce qui cause à l’autre l’admiration la plus vive. Cette tendance à égaler toutes les classes de la nation sous l’autorité royale, Voltaire l’aperçoit comme Saint-Simon, mais au lieu de la blâmer, il y applaudit. Je ne sais s’il en a bien aperçu les conséquences politiques ; elles l’auraient peut-être effrayé, car, en politique comme en littérature, il était conservateur ; mais il est charmé des effets qu’elle a produits pour la vie sociale en France : c’est de ce relâchement des règles de l’ancienne hiérarchie, de ce mélanges des diverses conditions qu’est sortie la société française du XVIIIème siècle. Voltaire, dont elle est le milieu véritable, en a fait un tableau séduisant qui est une des belles pages de son livre. Autrefois, dit-il, chacun était enfermé dans son état, et chaque état se reconnaissait à ses défauts. « Les militaires avaient une vivacité emportée, les gens de justice une gravité rebutante, à quoi ne contribuait pas peu l’usage d’aller toujours en robe, même à la cour. Il en était de même des universités et des médecins ». Tout est changé ; en renonçant au costume, il semble qu’on ait quitté l’esprit particulier de sa profession. Tout le monde se rapproche ; les qualités des hautes classes se communiquent aux autres ; la politesse qui était le privilège de quelques hôtels pénètre jusqu’au fond des boutiques. « L’extrême facilité introduite dans le commerce du monde, l’affabilité, la simplicité, la culture de l’esprit, ont fait de Paris une ville qui, pour la douceur de la vie, l’emporte probablement de beaucoup sur Rome et sur Athènes dans le temps de leur splendeur ». Voilà pourquoi les étrangers y affluent ; ils viennent y goûter les agréments d’une vie livre, aisée, dont ils n’avaient pas l’idée ; ils sont heureux de fréquenter ces sociétés où les rangs sont mêlés, où personne n’apporte les préjugés de sa condition, où chacun ne vaut que par son mérite ; et ils s’en retournent dans leur pays avec l’éblouissement de ce monde qu’ils ont entrevu et dont ils essaient d’introduire chez eux une image fort imparfaite. C’est ainsi que la France est devenue le modèle de toutes les autres nations.

 

Saint-Simon, Louis de Rouvroy, Ferté-Vidame

Saint-Simon

 

 

Saint-Simon, on le comprend, parle d’un autre ton. Tout ce que Voltaire célèbre lui déplait et l’irrite. L’affluence des étrangers, dont on est si fier, ne le flatte guère : « Quel bon pays, dit-il, est la France, à tous les escrocs, les aventuriers et les fripons ! » Il a remarqué, lui aussi, comme un indice grave, que chacun renonce au costume de sa profession. L’exemple vient des ministres qui ont quitté le manteau, le rabat, l’habit noir, l’uni, le simple, le modeste, et se sont habillés comme les gens de qualité. Il est suivi par les conseillers d’Etat, les intendants de finance, les magistrats qui se permettent de porter le velours, « puis il gagne les avocats, les médecins, les notaires, les marchands, les apothicaires, et jusqu’aux gros procureurs ». C’est le signe extérieur d’une horrible confusion qui le désole ; il la regarde « comme une image de l’enfer, où nul ordre ne règne ». En 1712, lorsqu’il écrivait dans le silence ses Projets de rétablissement du royaume de France, il espérait encore qu’on pourrait guérir « ces légers Français de cette lèpre d’usurpation et d’égalité », mais au moment où il rédige ses Mémoires, il ne se fait plus aucune illusion ; il se sent vaincu ; il se regarde comme un homme du passé, « il se répute mort et sa dignité éteinte ». S’il continue, par désoeuvrement, par habitude, à faire des recherches sur les grandes maisons de France, et à s’occuper des privilèges des ducs et pairs, il sait bien que personne ne le lira, et qu’il « écrit pour la beurrière ». Mais en reconnaissant sa défaite, il ne s’y résigne pas ; il se retourne avec colère contre celui dont tout le mal lui semble venir (Louis XIV). Les années qui se sont écoulées depuis qu’il est mort n’ont rien diminué de son ressentiment. Outre que ce n’est pas son habitude d’oublier et de pardonner, le spectacle, qu’il a chaque jour sous ses yeux, de ce monde où tous les rangs sont mêlés, « où personne ne se connaît plus », ce spectacle qui fait la joie de Voltaire, ranime sans cesse sa haine et l’entretient dans sa fraîcheur. Voilà ce qui explique qu’il ait traité si durement Louis XIV.

 

Gaston Boissier