Dans un récit vivant et cinglant, Paul-Antoine Martin transmet son expérience de douze années de travail au sein des grands ports français. Mais alors que le commerce international n’a cessé de croître au cours des vingt dernières années, les ports français stagnent. La responsabilité en incombe notamment au « Corps », une caste vaniteuse et imbue d’elle-même, qui peut accumuler les échecs sans jamais être sanctionnée. Une peine capitale pour la puissance française.
Paul-Antoine Martin, Le Clan des seigneurs. Immersion dans la caste d’état, Max Milo, 2022.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.
Dans votre ouvrage, vous mettez en scène, de façon romancée, les pratiques et les modes d’action des hauts fonctionnaires, notamment ceux qui dirigent la gestion des ports (que vous regroupez sous l’appellation du Corps). On voit ainsi le héros principal, Coulanges, découvrir un univers et des méthodes qu’il ignorait à travers les agissements de son patron, Ursy. Ce roman est-il fondé sur votre propre expérience et ce que vous avez pu connaitre au cours de votre carrière professionnelle ?
Plus qu’un roman, il s’agit d’un récit. Certains aspects peuvent être fictionnels, mais tous les faits racontés ont réellement eu lieu. Il est vrai que de nombreuses anecdotes semblent avoir été inventées tellement elles paraissent incroyables ou grotesques, mais elles ne sont que stricte vérité. C’est d’ailleurs ce que j’ai tenu à souligner dès l’avant-propos du livre, conscient que l’on pourrait penser que je les ai tirées de mon imagination. Pendant une douzaine d’années, j’ai noté ce que je voyais du comportement de ces hauts fonctionnaires que je côtoyais quotidiennement, stupéfait par l’aberration dont j’étais témoin. Ces hommes dont je brosse le portrait appartiennent à l’élite administrative de notre pays. Ils font principalement partie d’un des trois corps d’État les plus prestigieux de la République, le corps des Ponts. Ils dirigent les plus grands ports de France, mais aussi toute l’administration qui est chargée d’en contrôler la gestion jusqu’au cabinet ministériel. Ils occupent donc tous les postes décisionnels de l’activité portuaire française, et cela depuis des décennies.
J’ai pu observer des comportements à la fois stupéfiants et révoltants. L’anecdote suivante que je relate dans mon livre dit beaucoup de choses. Coulanges découvre que les directeurs des sept plus grands ports français, appartenant tous au corps des Ponts, se sont fait tirer le portrait au studio Harcourt, lequel est le légendaire studio photo des plus grandes stars de cinéma. Le symbole est très puissant. Malgré des résultats désastreux, entre 2000 et 2019, les ports français n’ont bénéficié d’aucune croissance alors que le commerce maritime mondial a bondi de 100 % en volume, ces hommes s’estiment être des légendes vivantes du fait de leur seule appartenance au corps des Ponts. Ils forment une caste. Ultra bienveillants entre eux, fraternels mêmes, tout en étant méprisants, arrogants et sans aucune considération pour tous ceux qui ne font pas partie de leur caste.
La position de ces hommes dans la haute administration, mais aussi dans les grandes entreprises du CAC40, fait que cette caste dispose du pouvoir. Ils se sont arrogé des privilèges considérables dont deux sont absolument exorbitants. À l’heure de la réforme des retraites, ces personnes bénéficient des avantages de la carrière longue, car ils sont rémunérés pendant leurs études ! Le second est le privilège ultime. Il s’agit de l’impunité. Ils ne risquent rien, absolument rien. Même s’ils prennent les pires décisions, pénalisant des milliers, voire des millions de Français, ils ne risquent rien et poursuivront leur carrière qui les mènera, quoi qu’il arrive, au plus haut niveau de ce que notre pays peut offrir.
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