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mercredi, 29 juin 2016

Tommasi

Tu te levais tôt, tu descendais vers les étangs du Malicrou. Tu ne parlais plus de Corse, ni d'Italie, ni de Sardaigne, ton passé semblait enseveli sous la poussière et le sable.

A l'époque, tu t'entraînais à ne désirer que ce qui est disponible à quiconque ici-bas :

Un mieux-être, un bien-être inconnu jusqu'alors ; l'enivrement d'exister ; le ciel, le rire, des moments de paix, de furtifs jaillissements de joie ; la satisfaction d'avoir accompli une tâche (de bricolage, de religion ou de cuisine).

Parmi ces bonheurs disponibles à tous les vivants, tu cherchais à éprouver la détente, l'énergie, l'inspiration, tu favorisais la fluidité dans le déroulement du jour. Et la satisfaction d'apprendre, de comprendre.

Tu guettais l'humour, pour connaître le bonheur qu'il provoque quand il est plus grand que la situation, tu stimulais des plages de connexion profonde avec les autres, à travers l'entraide, le partage, l'échange, la complicité, à travers ces silences que tu laissais durer.

Nous ne reconnaissions plus l'homme pressé, fringant, charmeur, le cousin déjanté de Taormine. Tu disais approcher de cet espace où tu ne voudrais plus connaître que la quiétude bienheureuse, douce, enivrante, dans la plénitude de l'instant présent.

Cette seconde qui passe et qu'il faut vivre en respirant tranquillement, l'as-tu vécue ? Les derniers mois, nous marchions de la ferme au village, deux fois par semaine, pour vendre les fruits au marché, et je me souviens de tes mots souvent répétés : "j'attends le point du jour où je sais ressentir l'admiration pour quelque chose qui existe". Quelque chose ? Quoi donc ? Je ne comprenais pas tout de tes quêtes.

Quand tu es parti, malgré tes dires, j'ai pressenti que tu ne reviendrais jamais. Je n'étais pas triste, comme si tu m'avais enseigné, par ta présence parmi nous, l'art de se sentir à sa place, ici et maintenant, en ce monde.

dimanche, 19 juin 2016

Habiter

« Mais « habiter » ne signifie pas pour autant agir, bâtir, ou encore devenir. Habiter, c'est fréquemment être dans la pause du silence, isolé et emmuré par le continuum de la pluie ; c'est épier le mari qui s'en va, c'est errer sans jamais fuir dans la même rue vide et morne, et attendre – dans le café des habitudes – un destin déjà scellé d'avance. »

Corinne Maury De l'habitat d’État à l'errance damnée, IN Bela Tarr, de la colère au tourment. Yellow Now/Côté cinéma

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(Habiter ou ne pas habiter le temps d'un passage sur la terre.)

 

vendredi, 17 juin 2016

Vox clamantis

Au sortir de trois heures de réunion à la Sécurité sociale, tu marches dans les rues du neuvième arrondissement, tu ne comprends pas comment on peut survivre dans un cadre administratif. Anéantissement de l'âme, devenir torve de l'esprit, dépérissement du corps, perversion du langage, inutilité des obligations, déni de l'essentiel. L'administration est une nuit humaine.

Où avons-nous laissé nos enfances ?

Ô mon Dieu rendez-nous nos chants, nos jeux, nos cris spontanés !

 

mardi, 14 juin 2016

La joie crépusculaire

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Qu'est-ce qui te rend heureux en dehors de toute vie sociale, quel bonheur t'emplit en profondeur même si les autres n'en sauront jamais rien ?

La joie crépusculaire.

vendredi, 10 juin 2016

La conscience de Victor Hugo sur la plage des Sables

Merci à Lau qui improvisa ce film ce matin et à monsieur P.......y, instituteur de CM2 à l'école publique de la rue Littré, de nous avoir fait apprendre ce poème par cœur.

lundi, 06 juin 2016

Les gens bien

Ces deux dames du bus, leurs conversations, leurs métiers d'infirmières et d'enseignantes-infirmières, leurs jugements pleins de bienveillance et de moralisme sur leurs étudiants.

Leurs conjoints bricoleurs, leurs enfants, leurs maisons, leurs jardins, leurs terrasses, les hérissons qui picorent les restes qu'elles y ont laissés, les chats qu'elles traitent bien, leurs voitures, leurs vélos, leurs familles élargies, leurs collègues de boulot, leurs amis de longue date, les amis de leurs enfants.

Leurs loisirs intelligents (jardinage, cuisine, pleine nature), leurs compétences pour soigner les autres à l'hôpital jour après jour, pour mener une vie calme et tranquille à la maison année après année.

Les villes qu'elles habitent, leurs expériences professionnelles, et ce vide qui mangeait mon cœur en les écoutant parler.

Il y a, dans cette humilité des gens bien, sans étalage ni orgueil blessé, une parcimonie de prise de risque qui teinte leur engagement (enseignement, travail social et médical), d'une vénalité impalpable mais prégnante.

L'engagement leur évite le Sacrifice.

L’humilité leur évite la Chute.

La tolérance leur évite le Combat pour des principes.

Leur alliage de structure et de souplesse leur évite de subir la Révolte de leurs enfants ; ils savent les éduquer à fuir la Dérive.

Ce sont des gens qui mettent le bon sens au pinacle, toujours capable de s'adapter au neuf sans jamais rien inventer, toujours capables de conserver l'ancien pour eux, sans jamais le défendre publiquement.

En n'étant ni trop hauts, ni trop bas, ils évitent la guillotine qui menace les rois comme le crachat qui recouvre les parias.

Ils ne sont jamais exclus, eux mêmes d'ailleurs ne sont jamais en train d'exclure quiconque : simplement, les gens qui ne leur ressemblent pas sont exclus, par l'opération, non du Saint-Esprit, mais du corps social.

Ils recèlent des qualités de cœur, sans quoi leur existence serait mise en péril par la folie en eux ou autour d'eux.

Ils me fascinent sans m'intéresser. Je voudrais avoir tout ce qu'ils ont mais ne supporterais pas de vivre comme ils vivent et d'être ce qu'ils sont. Peut-être que ce qu'ils représentent à mes yeux, moi, je le représente pour d'autres. Ce qu'ils me font sans le savoir, je le fais à d'autres sans le vouloir.

Ce sont des personnes auxquelles je ne peux reprocher aucun tort réel, mais je n'arriverais pas à dire que ce sont de "belles personnes". Si tout le monde était comme eux, il n'y aurait pas de problème. Y aurait-il de la beauté ?

Il ne leur manque pas de force morale, ni d'un sens de la solidarité, ni d'intelligence, ni de diligence, mais peut-être qu'il leur manque le charme, ou la grandeur. On atteint la grandeur en étant immense, ou minuscule, pas en étant moyen, surtout si cette moyenne est calculée comme un outil de survie, une technique habile pour durer dans de bonnes conditions durant plusieurs générations. Leur intelligence, qui leur fait comprendre leur intérêt, devient par la même leur limite, une limite acceptée, encouragée, chérie.

Protégés de la haine et de la vindicte extérieures, comme de l'angoisse et de la destruction intérieures, les gens bien sont du même coup comme protégés de la grâce qui appelle vers l'Inconnu.

dimanche, 05 juin 2016

Le panier cousu

La ville est noyée dans la brume invisible.

Ce soir-là, chacun d'entre nous écrivait le secret de son cœur sur de petits billets que nous récoltâmes dans un panier cousu.

Si j'ouvre le panier, je peux déplier les papiers et lire :

"J'aimerais que..."

"Que ma vraie jeunesse soit devant moi. Rire et admirer la beauté juvénile des visages".

"Que le souci, le tourment prennent de moins en moins d'espace mental et que le reste de ma vie s'écoule comme une saison clémente".

"Que mon œuvre soit profonde et universelle".

"Élever des enfants vers le bonheur, vers la construction d'une civilisation majestueuse, raffinée, où la nature reprend ses droits harmonieux".

"Vivre une vie pleine d'espérance dans de beaux lieux chargés de sens".

"Que ma soeur, mon frère et moi soyons proches les uns des autres, entourant nos parents avec tendresse pendant encore longtemps".

"Que ma santé s'améliore, ainsi que celle de mes proches".

"Que la jeunesse française retrouve l'espoir, la joie, la liberté, la culture".

"Que la laideur des années 1960, 1970, 1980, 1990, 2000 soit effacée, recouverte par le charme et la grâce".

"Savoir gagner de l'argent autant que j'en ai besoin pour ne plus dépendre des autres ni peser sur eux".

"Que ma vie rende beaucoup de gens heureux, et quelques personnes très heureuses".

"Trouver de la beauté dans chaque jour qui passe, m'enthousiasmer, apprécier, aimer".

"Réparer tout le mal que j'ai commis, connu et méconnu. Ne plus en faire à quiconque".

"Que la gestion matérielle devienne facile, pourquoi pas même agréable".

"Réussir à regarder les autres pour ce qu'ils sont véritablement, pas pour ce qu'ils m'apportent".

"Déchiffrer l'élamite avant mes soixante-dix ans".

 

Il nous avait été enseigné ce soir là, à la lueur crépitante du poêle, que :

"On se sent plus heureux en éprouvant de la gratitude qu'en ressentant de la rancoeur".

"On devient plus généreux en connaissant l'amour du partage et du don que par le calcul mental du gain".

"On se montre plus intelligent dans le calme et l'acuité que dans les émotions fortes".

"On agit d'une manière plus efficace dans la bonne volonté que dans l'orgueil".

"On est plus serein en trouvant de la beauté à ce qui est".

"On vit en meilleure santé en étant plus heureux".

 

Durant un an, je suis la gardienne du panier cousu, après quoi je le confierai à un autre compagnon de ce groupe.

Je ne repense presque jamais à cette séance, et je n'avais pas encore relu ces billets doux.

La brume est noyée dans la ville invisible.