dimanche, 19 avril 2015
La grue
« La grue est un oiseau très sociable et vit en excellents termes, non seulement avec ses semblables, mais aussi avec la plupart des oiseaux aquatiques. J'ai pu l'observer de près en Israël, sur les bords du lac Houleh, où son espèce est nombreuse, en même temps que d'autres oiseaux migrateurs.
Sa prudence est étonnante, de même que son intelligence. Elle se rend compte sur-le-champ des circonstances nouvelles et inattendues dans lesquelles elle se trouve et agit en conséquence, en prenant des initiatives appropriées. Des sentinelles font toujours le guet autour de la troupe quand celle-ci est en train de prendre sa nourriture ou de se reposer. Si un homme réussit à la surprendre, elle ne revient jamais au même endroit sans avoir tout d'abord dépêché un éclaireur, puis un groupe d'éclaireurs, et lorsque le groupe de reconnaissance revient et signale que tout danger est écarté, un deuxième groupe est envoyé pour vérifier si le premier rapport est exact ; c'est seulement après ces investigations que la bande entière se met en branle.
La grue contracte de véritables liens d'amitié avec des espèces parentes de la sienne, et, en captivité, il n'y a pas d'oiseau qui noue une aussi fidèle amitié avec l'homme ; elle ne le regarde pas comme son maître, mais comme son ami, et s 'efforce, par tous les moyens, de le lui prouver.
Celle qui s'était attachée à moi pendant quelques mois, et qui appartenait à un ami, ne pouvait admettre de me voir passer auprès d'elle sans que je lui fîs une gentillesse, et si j'oubliais de lui témoigner mon affection, elle n'avait de cesse que de m'y contraindre. Comme elle était libre, portant ses ailes entières, et vaguait toujours au bord du lac, dès qu'elle apercevait mon embarcation au loin, elle prenait son vol majestueux, virait autour de moi pendant que je ramais et m'accompagnait jusqu'au débarcadère. Elle savait toujours me trouver, soit aux champs, soit le long du Jourdain et atterrissait, après m'avoir repéré du haut du ciel, juste à quelques pas de moi.
Elle était noble de formes et, souvent, elle se mettait à esquisser pour moi une danse qui ressemblait à un menuet exécuté par une demoiselle un peu folâtre.
Je devais toujours me dissimuler et partir en fraude quand je la quittais, car elle me suivait presque à la trace.
Lorsque, deux ans après, je revins, elle me reconnut, et poussa des cris retentissants pour se précipiter ensuite sur moi, ailes grandes ouvertes.
Je n'ai jamais autant eu le sentiment d'être proche d'une créature ailée que lorsque je me trouvais en compagnie de cette grue si grave et si amicale, et qui me comprenait beaucoup plus que je ne la comprenais.
...
Un gentleman possédait depuis de nombreuses années un couple de grues cendrées. L'une des deux mourut et la survivante se montra inconsolable. Elle allait, selon toute vraisemblance, rejoindre sa compagne, lorsque le maître s'avisa de placer dans l'oisellerie une grande glace. La grue n'eut pas plus tôt vu son image réfléchie qu'elle se plaça devant la surface brillante, fit sa toilette en lissant ses plumes, et donna des signes de contentement évident.
Le stratagème avait pleinement réussi. L'oiseau recouvra la santé, reprit ses esprits et vécut encore plusieurs années.
Se figura-t-il que l'image qu'il voyait dans la glace était l'ombre de sa compagne perdue ? Ou bien était-ce là seulement une diversion à sa solitude ? »
Les plus belles histoires d'oiseaux, d'Elian-J Finbert. Chapitre « La grue »
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