mardi, 24 mars 2015
Sur les délits d'opinion et leur dénonciation perpétuelle
Extrait du discours du 11 mai 1791 de Maximilien de Robespierre sur la liberté de la presse.
"Les lois peuvent atteindre les actions criminelles parce qu’elles consistent en fait sensibles, qui peuvent être clairement définis et constatés suivant des règles sûres et constantes : mais les opinions ! leur caractère bon ou mauvais ne peut être déterminé que par des rapports plus ou moins compliqués avec des principes de raison, de justice, souvent même avec une foule de circonstances particulières. Me dénonce-t-on un vol, un meurtre ; j’ai l’idée d’un acte dont la définition est simple et fixée, j’interroge des témoins. Mais on me parle d’un écrit incendiaire, dangereux, séditieux ; qu’est-ce qu’un écrit incendiaire, dangereux, séditieux ? Ces qualifications peuvent-elles s’appliquer à celui qu’on me présente ? je vois naître une foule de questions qui seront abandonnées à toute l’incertitude des opinions ; je ne trouve plus ni faits ni témoins, ni loi, ni juge ; je n’aperçois qu’une dénonciation vague, des arguments, des décisions arbitraires. L’un trouvera le crime dans la chose, l’autre dans l’intention, un troisième dans le style. Celui-ci méconnaîtra la vérité ; celui-là la condamnera en connaissance de cause ; un autre voudra punir la véhémence de son langage, le moment même qu’elle aura choisi pour faire entendre sa voix. Le même écrit qui paraîtra utile et sage à l’homme ardent & courageux, sera proscrit comme incendiaire par l’homme froid et pusillanime ; l’esclave ou le despote ne verra qu’un extravaguant ou un factieux où l’homme libre reconnaît un citoyen vertueux. Le même écrivain trouvera, suivant la différence des temps et des lieux, des éloges ou des persécutions, des statues ou un échafaud. Les hommes illustres, dont le génie a préparé cette glorieuse révolution sont enfin placés, par nous, au rang des bienfaiteurs de l’humanité : qu’étaient-ils durant leur vie aux yeux des gouvernements ? des novateurs dangereux, j’ai presque dit des rebelles. Est-il bien loin de nous le tems où les principes mêmes que nous avons consacrés auraient été condamnés comme des maximes criminelles par ces mêmes tribunaux que nous avons détruits ? Que dis-je ! aujourd’hui même, chacun de nous ne paraît-il pas un homme différent aux yeux des divers partis qui divisent l’Etat, et dans ces lieux mêmes, au moment où je parle, l’opinion que je propose ne paraît-elle pas aux uns un paradoxe, aux autres une vérité ? ne trouve-t-elle pas ici des applaudissements, et là, presque des murmures ? Or, que deviendrait la liberté de la presse, si chacun ne pouvait l’exercer qu’à peine de voir son repos et ses droits les plus sacrés livrés à tous les préjugés, à toutes les passions, à tous les intérêts !"
Robespierre, extrait du Discours sur la liberté de la presse 11 mai 1791
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