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mercredi, 19 février 2014

Traité de la délation

Traité de la délation

Romain Motier

Citoyen de Genève

1947

(Publication aux dépens des Amis de Romain Motier)

 

Article 30 du Code d'instruction criminelle français
"Toute personne qui aura été témoin d'un attentat soit contre la sûreté de l’État, soit contre la vie ou la propriété d'un individu, sera tenue d'en donner avis au Procureur, soit du lieu du crime ou délit, soit du lieu où le prévenu pourra être trouvé".

Article 58 du Code Pénal soviétique, paragraphe 12

"L'omission de la dénonciation, s'il s'agit de la préparation dûment connue ou de l'exécution d'un délit contre-révolutionnaire, comporte la peine de la privation de la liberté pour une période de temps qui ne sera pas inférieure à six mois".

 

NOTE de l'Editeur

Le public trouvera ici les notes posthumes qui constituent le dernier écrit de M. Romain Motier. On sait qu'il est mort le 17 novembre 1946 dans sa modeste maison de Plan-les-Ouates où ses amis et disciples avaient coutume de le visiter. Il était né à Carouge en 1873. Parmi ses grands-oncles, il comptait le fameux Daniel Roguin, d'Yverdon, qui a échangé avec Jean-Jacques Rousseau une correspondance dont les copies sont conservées aux Bibliothèques de Zurich et Neuchatel.

Tout en s'adonnant aux travaux historiques et philosophiques qui lui étaient chers, il a suivi une carrière paisible à la Bibliothèque publique de notre Université, jusqu'en 1905 où il fut affecté au fonds Gustave Revilliod et nommé conservateur-adjoint du Musée de l'Ariana. Pendant les deux grandes guerres, il prodigua ses soins à l'Office Central de la Croix-Rouge. Ses voyages en Europe, son érudition, le journal intime qu'il n'a cessé de tenir pendant près d'un demi-siècle, et dont quelques intimes connaissent des passages, lui avaient acquis une réputation solide plutôt que brillante. En France, où ses mérites de moraliste n'étaient reconnus que par une élite, il connaissait fort bien le monde littéraire, les conjonctures politiques, car il y fit de longs et fréquents séjours ; et il y amassa une grosse quantité de documents historiques sur le siècle passé, l'époque contemporaine et même les tout derniers événements. Les vicissitudes de ce malheureux pays l'intéressaient beaucoup, depuis dix ans, bien qu'il en fût le témoin détaché et indirect.

Nous n'avons pas ici à rappeler tous ses précédents ouvrages : il nous suffira de citer L'histoire générale des Conférences pour le désarmement (Lausanne, 1924) et Les biens des émigrés, leurs acheteurs, leurs revendeurs, étude sur les conséquences économiques de la Révolution française - livre devenu rarissime, car le tirage tout entier a été racheté par certaines familles - enfin Principes de la censure dans les États modernes (Tome I : Le Cabinet noir - Tome II : la Propagande - Tome III : L'information dirigée.) Cette dernière œuvre, dès sa parution, a été honorée d'une souscription par l'Académie des Sciences Morales de Rio-de-Janeiro et interdite sur le territoire de plusieurs nations européennes.

Quant à son fameux Traité de l'Intolérance, achevé dès 1945, le manuscrit en a disparu, mais nous faisons des recherches pour en récupérer une copie très fidèle, qui paraît-il, serait aux mains d'un délégué tchécoslovaque à l'O.N.U. (Bureau de l’Énergie atomique).

M. Romain Motier, surpris par la maladie qui l'emporta, n'a pas eu le temps de mettre la dernière main au présent livre, mais on verra qu'il avait gardé à un âge avancé, la verdeur d'esprit, l'originalité critique et le style très châtié qu'on se plaît à lui reconnaître. Notre ami semble avoir été atteint dans ces dernières années d'une paranomatose. Cette affection découverte par le professeur Nideck, de Berne, le conduisait à déformer la plupart des noms propres. Nous avons tenu cependant par respect pour sa mémoire, à reproduire fidèlement son manuscrit.

Signalons que, notre auteur ne laissant aucune famille, un Comité d'amis et d'admirateurs se propose de faire dresser un buste à son effigie, dans sa commune même, sur l'ancien champ de manœuvres des milices genevoises ; nous assurons bien que ce monument commémorera un homme de bien qui, toute sa vie, a voulu servir la vérité et la civilisation.

 

Traité de la délation

Chapitre premier

De la délation en général

 

Il est curieux que le mot de délation s'applique tout ensemble, chez les auteurs qui savent les nuances de leur langue, à la dénonciation politique et à une démarche méprisable. Pourquoi ce sens péjoratif ? Parce que la délation est censée, en principe secrète, tortueuse et au surplus intéressée.

Certes, on peut remarquer que la délation est rarement franche et publique quand il s'agit d'atteintes à la sûreté de l’État. Ou bien les coupables (disons plutôt les accusés) peuvent redevenir puissants, et il vaut mieux ne point s'exposer à leur vindicte. Ou bien ils appartiennent à un parti définitivement vaincu, à une minorité imbécile, et l'on fait scrupule de leur donner le coup de grâce, trop ostensiblement, de hurler avec les loups qui déjà les dévore. Dans les deux cas, la délation prend des précautions dictées par la prudence ou le respect humain...

A suivre...

Et, sur le même sujet :

Liberté, vérité, action

Journalistes pousse-au-crime

 

 

 

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