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dimanche, 17 février 2013

Ces bêtes qu’on abat : Témoignages. Aurélie, Jean-Claude, Cécile

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Aurélie, 24 ans, Haute-Savoie

Son approche de l’animal s’est faite alors que ses parents tenaient une exploitation agricole. Le père avait un élevage traditionnel et son frère un élevage intensif. Aurélie est végétarienne depuis six mois, elle consomme des produits laitiers.

 

La famille du côté de son père est dans l’élevage de père en fils. Si le père appartient au monde traditionnel paysan, le fils, lui, appartient au monde paysan industriel. Le père et le fils travaillent sur la même exploitation. Aurélie reconnaît qu’il est un peu utopique de croire qu’on ne fait pas de mal en ne consommant que des produits laitiers et des œufs. Il existe le mythe de l’harmonie entre l’éleveur et les bêtes. Elle voulait pourtant devenir bergère en faisant une saison dans les Alpes.

 

Elle en eut l’expérience en Alsace, dans une ferme de montagne. Elle eut un contact direct avec les animaux, le respect était fort dans ce lieu. Mais Aurélie assistait déjà à une forme de souffrance avec les mises bas de cinq à six agneaux par jour. Ces bébés pouvaient boire le lait de leur mère. Un accompagnement idyllique semblait exister, mais la finalité de ces naissances était la transformation en viande de tous les agneaux mâles. Elle comprit donc que la fabrication du fromage posait un problème réel.

 

Puis Aurélie est partie en Suisse italienne dans une autre ferme, en pensant que le milieu de la bergerie était un monde féministe. Il existe un rapport intime entre l’animal et l’être humain lors de la traite à la main. Elle a dû procéder à la sélection des petits partant pour l’abattoir. Cela lui est resté en mémoire, ce qu’elle, elle appelle « sélection de mort ». Elle a découvert l’expérience de l’organisation familiale à la ferme dans un rapport « femme et fille » et « homme et fils ». L’esclavagiste, selon elle, se trouve des deux côtés. Il y a la beauté de l’indépendance, mais aussi le bon vouloir du berger pour la vie quotidienne des moutons. Lors d’un week-end de Pâques, Aurélie a assisté à la chaîne de vie et de mort des agneaux qui partaient pour l’abattoir. Elle disait qu’elle faisait vivre un être vivant, le nourrissait pour finalement qu’il soit tué. Il existe, dit-elle, une différence entre l’éleveur et le boucher, mais dans les deux cas, c’est la question de la vie ou de la mort qui se pose.

 

Aurélie mangeait donc de la viande et du fromage, mais elle sentait bien qu’elle n’était pas en harmonie. En tant que femme, le travail qui consistait à enlever les petits à leur mère était délicat. Il provoquait de la souffrance animale. Elle tentait de se mettre dans un rôle de professionnelle, avec un certain détachement. Sur la fin, elle ne voulait plus le faire, pour ne s’attacher qu’au travail des femmes (fromage, travaux intérieurs…). L’éleveur s’interdisait d’avoir des sentiments de culpabilité, il tuait lui-même des petits pour la viande en les assommant avec un bâton avant de les égorger. Les tueries étaient mal faites. Il y avait les tueries de Pâques, pour une tradition religieuse, mais ces agneaux étaient plutôt réservés aux riches, à une élite.

 

Aurélie a travaillé dans une ferme bio en Italie. Elle y a rencontré M. Tessin qui lui a expliqué qu’il ne fallait pas juste manifester à Pâques lors des ventes d’agneaux, mais tous les jours contre cette production de viande. Aux repas, il y avait tous les jours de la viande, elle reconnaît qu’il y avait abondance, excès, mais elle ne faisait pas encore vraiment le lien entre l’animal et la viande ; cela risquait de remettre en cause la production de fromage. Avec 60 chèvres, il y avait 80 à 100 chevreaux qui finissaient à l’abattoir. On faisait naître des bébés pour la production de lait et de fromage, pour finalement les tuer.

 

Aurélie a eu une expérience dans un lieu de vie retiré où séjournaient quatre personnes qui étaient végétariennes (dans le cadre d’une ferme française WWOOF, World Wide Opportunities on Organic Farms). Un mode de vie minimal, de l’autosuffisance, de la culture sauvage, de l’eau de source étaient le quotidien, sans aucune machine. Elle a alors rencontré Stefano, Italien et végétalien. Elle a découvert la nourriture végétalienne, un mode de culture sans machine, une vie non fondée sur les biens matériels. Aurélie s’y sentait bien. Germait alors l’idée d’une pratique alimentaire sans production animale. Elle prit conscience qu’il lui fallait renoncer au projet de travail avec les bêtes. « J’ai assisté à la chaîne de vie et de mort des agneaux. »

 

 

Jean-Claude, 57 ans, Chaumont

 

Jean-Claude aime les animaux, il avait dans son enfance des poules, des cochons, des lapins… Il avait de bons contacts avec eux, et quand ils étaient tués, il le vivait comme un drame, avec beaucoup de tristesse et des sentiments de douleur. Il est aujourd’hui bénévole à la SPA (soins aux animaux, promenade…).

 

Jean-Claude est végétarien, il ne mange pas non plus de poisson, mais des produits laitiers et des œufs. Il a découvert la violence à l’âge de quatre ou cinq ans, lorsqu’on lui tuait ses animaux. Ces événements l’ont traumatisé. À la suite de l’abattage de ses cochons, il s’était dit qu’il pourrait peut-être un jour développer une forme de communication par la pensée pour avertir, par exemple, les animaux de la présence de chasseurs en forêt. Ses sentiments sont si forts pour les animaux qu’il n’écrase pas une araignée. En général, il ne tue pas les insectes. Il était aussi contrôleur laitier, il voyait la vétusté des étables et les vaches à l’attache. Il est devenu végétarien pour les animaux. Il est d’accord pour le végétalisme, mais ça remet en question beaucoup de choses d’un point de vue social ; il faut en effet vérifier tous les ingrédients.

 

Il n’aime pas trop avoir des animaux domestiques, à cause de la soumission à l’homme. En fait cela dépend de la manière dont on les élève, dit-il. Il n’aime pas le marché des animaux de concours, les lof (comme pour les chiens par exemple)… Quant à la question de l’hippophagie, il est d’accord qu’un cheval cela ne se mange pas, mais pose la question : pour les autres animaux, que fait-on ?

 

Le végétarisme pour lui, c’est le fait de ne pas manger de viande pour enrayer les élevages intensifs, l’exploitation animale. Il est attristé par ce massacre. Il se sent impuissant en voyant les gens manger de la viande : «  C’est désolant », dit-il. Les repas de famille sont difficiles, la question habituelle est : « Par quoi tu compenses ? » Les gens s’imaginent que ne pas manger de viande est un caprice, il reconnaît qu’il a de la difficulté à trouver des réponses à leur donner.

 

Il travaillait à la SNCF, à l’entretien des voies. Ses collègues étaient sidérés et lui disaient : « Tu ne tiendras pas le coup ! ». Jean-Claude était robuste. Il soulevait des poids lourds. Mais au moment du casse-croûte, il essuyait des réflexions, et il regrette de ne pas avoir eu assez d’assurance pour se défendre. Il en avait particulièrement marre de cette réflexion : « Tu es jeune, tu ne tiendras pas le coup ! ». Mais ses collègues étaient étonnés de ses exploits sportifs et de sa bonne forme physique.

 

Jean-Claude est allé aux « Estivales de la question animale », qui ont lieu à Parménie chaque année près de Grenoble. Il a fait cette démarche pour clarifier les raisons de son choix. Il souhaitait rencontrer des végétaliens pour comprendre leurs motivations. L’idée que la production des produits dérivés des animaux pose un problème faisait son chemin. Dès l’enfance, mangeant pourtant de la viande, il s’interrogeait sur le fait de manger des œufs puisque après les animaux sont quand même tués. Il est partant pour la consommation de produits bio en faisant des choix alternatifs.

 

Vers 18 ans, il fit le choix de ne plus manger de viande, sans penser qu’il devenait « végétarien ». Il était apprenti boulanger lorsqu’il prit cette décision. Avec son patron boulanger il a fallu s’expliquer. Puis Jean-Claude s’est marié avec une non végétarienne, mais il n’y a pas vraiment eu de difficulté car elle ne raffolait pas de la viande. Il n’a jamais eu de carence, il était pourtant un grand sportif (course à pied, cyclisme…). Il a même rencontré d’autres végétariens dans le milieu sportif alors que nous étions dans les années 70 / 80.

 

En 1994, il devient veuf. Il doit nourrir son enfant, il se sent obligé de lui donner de la viande, du lait et du poisson pané. Il adopte alors pour son enfant un mode alimentaire traditionnel. Son fils aujourd’hui est devenu toutefois végétarien par choix personnel.

 

Cécile, 30 ans, Lyon

 

Elle n’a jamais vécu avec un animal. La première réflexion de Cécile concernant le sort des animaux est survenue dès l’âge de quatre ans. Les récits de discours sur la prédation par sa maîtresse, à l’école, ont contribué à son refus de manger de la viande. Cécile pleura lors d’un repas lorsqu’elle vit dans son assiette une moule qui était orange. On lui donna des gifles pour la forcer à manger la viande, ce qui eut sur elle un effet traumatique. Elle était punie à chaque repas si l’assiette n’était pas vide. Jusqu’à l’âge de 10 ans, elle recrachait sa viande à la poubelle.

 

La nuit, pendant son sommeil, elle faisait des cauchemars d’animaux, qui la poursuivaient pour la manger. Elle avait l’angoisse des repas, c’était un cauchemar d’être obligée de manger de la viande. Elle imaginait les bouts de viande d’animaux encore vivants dans sa bouche. Ses parents refusèrent de prendre en compte son désir de végétarisme et la gavèrent de laitages. Lorsqu’elle eut dix ans, ses parents finirent par accepter son refus de viande, mais ils la culpabilisaient en lui disant : « Tu auras des problèmes au travail, avec tes amis et même avec ton mari ! ». Cécile pensait alors avoir un problème avec la nourriture, la chair, et s’excusait auprès des autres.

 

Vers 29 ans, elle rencontra d’autres végétariens, militants de la cause animale. Elle comprit alors que son choix n’était pas lié à un traumatisme, mais que c’était quelque chose de naturel qui s’imposait à elle. Cécile décida de militer auprès de l’association végétarienne de France. Aujourd’hui, son père ne la comprend toujours pas et sa mère lui dit qu’elle risque d’être entrée dans une secte…

 

« On ment aux enfants sur ce qu’est la viande en les trahissant, et en leur disant que ce qu’ils ont dans l’assiette n’est pas la même chose que l’animal », dit-elle. Cela est à ses yeux une situation schizophrénique. On participe au mensonge de l’industrie. Quant à l’hippophagie, elle dit qu’il ne faut pas faire du racisme animal en ne se préoccupant du cheval, et pas de la vache et du cochon. Selon elle, « le végétarisme devrait être le mode alimentaire que devraient adopter tous les autres humains, parce que c’est le seul moyen de faire cesser l’esclavage animal dans notre société ».

 

 

 

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