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mardi, 10 novembre 2015

L'auberge musicale des deux diablotins

Je me souviens de la première fois que les Radikal Satan sont venus dîner à la maison. Sara les avait entendus dans le métro, alors que, justement, elle avait besoin d'une musique pour son film A Quai. Elle les écouta longuement jouer dans les couloirs souterrains de la Bastille, une première fois ; retourna les écouter et leur acheter un disque ; la troisième fois qu'elle revint, elle avait prévu d'oser les aborder pour leur demander de composer la musique du court-métrage. Mais eux, ils nous l'ont raconté ensuite, quand il l'ont vu revenir, ont cru qu'elle voulait leur rendre le CD après une écoute décevante.

Finalement ce fut une belle rencontre, ils composèrent un beau tango bizarre pour A Quai et passèrent beaucoup de temps avec Adrian Riffo dans les couloirs de l'école des Gobelins, à fignoler le son. Avec l'argent consacré à la musique par la bourse du Centre National du Cinéma, ils purent retourner pour la première fois en Argentine depuis leur départ. Ils retrouvèrent leur famille.

Sara à l'époque allait souvent les écouter dans les squats, des chiens de punks lui léchaient le visage et elle prenait des photos des deux Satan, Momo montrant son sexe, Cesar aux longs doigts crochus et au rouge à lèvres carmin.

A l'époque, leur boite aux lettres était à l'association Aux captifs la libération. Ils étaient infiniment élégants, polis et passionnants quand ils venaient dîner mais, parfois, les voisins du 13, boulevard du M. leur claquaient la grille au nez, ne pouvant imaginer que de tels personnages soient invités à dîner dans notre immeuble.

Cela faisait longtemps que je ne pensais plus à cette période de notre vie familiale, trois d'entre nous ont quitté ce quartier qui pourtant semblait attaché à notre identité, la haute cadre du Parti socialiste qui a hérité de notre appartement s'étant empressé de le vendre pour se débarrasser de locataires vivant là depuis 37 ans et payant un loyer modeste. Alors tout à l'heure, c'est dans une rue consacrée à Saint-Nicolas, le bel évêque, saint patron, entre autres protégés, des enfants, des marins et des marchands, que j'ai réécouté la musique des Radikal Satan, celle que je connaissais déjà, et celle qu'ils ont composée depuis et qu'on trouve sur Internet. À la belle violence de leur musique, se superposait la douce mélancolie d'un temps révolu. La jeunesse a foutu le camp, il ne me reste plus que la jeunesse éternelle, celle qu'on obtient par la grâce d'un pacte avec le diable.

 

Sur AlmaSoror :

Viento del Este, la pochette du disque

Un problème variationnel