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mardi, 05 août 2014

Deuxième fragment d'Electrochoc, les mémoires du Dj Laurent Garnier

Co-écrite avec David Brun-Lambert, les souvenirs de vingt-cinq années d'existence du maître de musique ès clubs et rave-parties Laurent Garnier ne manquent pas de charme littéraire : fond et forme sont bien présents et nous emportent à travers le monde électromusical des nuits trop blanches pour n'être que sombres.

Nous avions proposé un premier extrait ici. En voici un second, qui relate des aventures raveuses de Montreuil-sous-bois.

 

« Au milieu des années 60 à Montreuil fut construite Mozinor, la première zone industrielle en étages d'Europe. Dans cet entrelacs d'immenses entrepôts, on peut encore voir des rampes permettant aux camions de monter les étages de l'usine. Au sommet, une terrasse édifiée pour que le week-end les familles des ouvriers viennent se détendre. En semaine, cette terrasse était censée servir de cuisine d'entreprise pour les équipes d'ouvriers. Mais le projet, radical, ne rencontra jamais de succès. La mairie de Montreuil hérita de Mozinor et l'oublia.

Eric Napora est traiteur. À l'époque il organisait des événements pour des sociétés privées et était en constante recherche de nouveaux lieux. Avec son équipe il découvrit par hasard le dernier étage de Mozinor. Séduit, il décida d'en créer un fonds de commerce.

Fin 90, Luc Bertagnol loua la salle pour y organiser une rave. La soirée ne connut pas le succès espéré, les organisateurs perdirent de l'argent, mais Napora, intéressé par ce qu'il venait de découvrir, leur proposa un marché : annuler leur dette et organiser ensemble des raves à Mozinor. Bertagnol et son équipe avaient élaboré un système très au point de promotion de leurs événements : un mailing constitué depuis leurs raves au fort de Champigny assurait la venue d'une clientèle fidèle et affranchie. La première soirée eut lieu début 1991. Succès immédiat. Pour la seconde édition les organisateurs ouvrirent la terrasse. Deux mille quatre cents ravers répondirent présents ! Bientôt, ne pouvant plus satisfaire la demande, l'équipe investit les nombreuses salles attenantes du dernier étage.

De 1991 à 1994, le budget des soirées tripla. Le sound-system venait de Hollande, les lumières d'Allemagne, les Djs de toute l'Europe, et un accent particulier était mis sur la décoration. Le tout en respectant la légalité : la SARL Cosmos Factory effectuait ses demandes de licence d'alcool, engageait une équipe de sécurité professionnelle, déclarait ses soirées auprès de la préfecture.

Mais la légalité n'altère pas la magie. Prenez n'importe quel ancien de Mozinor entre quatre yeux et demandez-lui de vous raconter ses plus beaux souvenirs. Vous verrez en quoi une soirée peut marquer toute une vie, comment elle peut rester toujours là, au fond du cœur. Les deux Djs résidents, Francesco Farfa et Jérôme Pacman, accompagnaient les danseurs jusqu'au dimanche midi. Une octogénaire venait danser en voisine, se mêlant aux ravers. Des danseurs se levaient à 8 heures pour vivre les dernières heures de la fête, apportant avec eux fruits et croissants. D'autres se posaient sur le toit de Mozinor, le visage rougeoyant dans les rayons matinaux du soleil, et regardaient la structure en métal fumer de trop de condensation.

Tout autour, la ville dormait encore. »

 

Extrait d'Electrochoc - L'intégrale 1897 - 2013

 

Par Laurent Garnier et David Brun-Lambert

éditions Flammarion

 

 

lundi, 10 mars 2014

Renaud, 8 mars 2014

montreuil, quarante ans, cocktail musicalPhoto Mavra

Voici le cocktail musical qui coulait tandis que dans nos verres se bousculaient mille punchs, champagnes, vins de tous âges et de toutes les couleurs. C'était samedi ; nous fêtions, dans une rue de Montreuil, les quarante premières années d'une présence sur cette bonne vieille terre.

Menu musical : entrée en douceur avec un disque de duos entre le violoniste classique et un pianiste de jazz. Une musique qui se balance entre deux univers.

On pénètre ensuite dans l'orientale Tunisie d'Anouar Brahem, le maître de l'oud.

Et puis c'est Jan Garbarek qui reprend le flambeau, pour un jazz nordique qui oublie les notes bleues ou les fait traîner si longtemps qu'elles en changent de couleur.

Mais, quelques quarts d'heure plus tard, nous quittons la Norvège pour entrer sur les terres mélangées de christianisme, d'islam, de paganisme antique, de la Syrie. C'est Abed Azrié, Syrien de Paris, qui mène la danse avec ses chants chrétiens, soufis, ses hymnes à l'amour en langue arabe.

Abed Azrié, après de longues plages de chant, passe son chemin. C'est Daniel Darc qui émerge. So Dark...

Etats-Unis, où étiez-vous ? Vous apparaissez soudainement, tout entiers contenus, avec votre violence et votre rêve, dans la voix de Tracy Chapman.

Deux météores français font irruption, Le mal mon ange, de Lescop, et Je m'en vais de Miossec... Mais la musique cinématographique de Craig Armstrong vient tout ensevelir et s'étale, s'étale.

Billie Holliday apporte sa triste beauté pleine d'âme et de gouaille.

Elliott Smith erre entre les bars, suivi par son émule, Chris Garneau.

Pat Metheny reprend le son du silence ; Apocalyptica pose des contrebasses sur le son de Métallica.

Daniel Melingo envoie son rythme depuis l'Argentine.

Alex Perls s'amuse dans l'orage, puis... N'est-ce pas le grand Chet Baker, dont on entend la voix adoucie par les substances ? Tom Waits le suit de près. Vient l'heure du martini rose, qui nous stimule avant de nous laisser danser en funambule entre les cordes de la guitare espagnole.

C'est alors que le catalan Jordi Savall entre en scène. Il évoque la Turquie à l'époque où elle était encore ottomane. Une berceuse hébreu achève ce cycle.

L'Italie s'invite, le temps d'une chanson entraînante et nostalgique.

Gothique, la sœur douloureuse teinte le salon aux estampes japonaises, la cuisine au percolateur ultramoderne, d'une tonalité punk !

Et hop, Tom Waits revient. La valse In the mood for love le bouscule ;et le jazz encore, le jazz des vieux standards, puis le blues loufoque de Benton qui vient mettre la pagaille.

La mascarade de l'amour se dévoile. C'est l'heure du départ de Maissiat. A Madrid, peut-être, comme la voix séductrice d'Armelle Pioline semble le faire croire.

Et puis l'Afrique surgit, mariée à la France, bien mariée pour une fois. Chacune apporte apporte sa dot dans cette union sacrée.

Mais tout finit toujours dans la baignoire.