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mercredi, 27 décembre 2017

Une bibliothèque Cornulier : La belle et la bête

(La bibliothèque dont on vous parle fut créée, trente ans durant, dans un appartement au fond d’une cour du 13 boulevard du Montparnasse, avant de devenir une bibliothèque éparpillée).

 

Titre : La Belle et la Bête

Auteur : Madame de Villeneuve

Editeur : Martine Reid, pour la collection Femmes de lettres, de Folio

Prix : 2 euros

Genre : conte littéraire

Date de parution : 1740

Date de cette édition 2010

Pays de l'auteur : France

Nombre de pages : 135

Format : poche

Avertissement :

"De tous les ouvrages, ceux qui devraient le plus épargner au public la peine de lire une préface, et à l'auteur celle de la faire, ce sont sans doute les romans, puisque la plupart sont dictés par la vanité, dans le même temps que l'on mendie une honteuse indulgence ; mais mon sexe a toujours eu des privilèges particuliers, c'est dire assez que je suis femme, et je souhaite que l'on ne s'en aperçoive pas trop à la longueur d'un livre, composé avec plus de rapidité que de justesse. Il est honteux d'avouer ainsi ses fautes, je crois qu'il aurait mieux valu ne pas les publier. Mais le moyen de supprimer l'envie de se faire imprimer ? Et d'ailleurs lira qui voudra : c'est encore plus l'affaire du lecteur que la mienne. Ainsi loin de lui faire de très humbles excuses, je le menace de six contes pour le moins aussi étendus que celui-ci, dont le succès, bon ou mauvais, est seul capable de m'engager à les rendre publics, ou à les laisser dans le Cabinet". 

Arrivée dans la bibliothèque : 2010, offert par Martine Reid. 

 

Première phrase : "Dans un pays fort éloigné de celui-ci, l'on voit une grande ville, où le commerce florissant entretient l'abondance". 

Première phrase de la page 30 : "La Bête reprenait l'avantage, l'Inconnu disparaissait à son tour". 

Dernière phrase : "On en envoya des relations par tout l'univers, afin qu'il y fût éternellement parlé des aventures prodigieuses de la Belle et de la Bête". 

Extrait de la préface de Martine Reid :

 "La Belle et la Bête évoque plus volontiers sans doute les somptueuses images du film de Jean Cocteau datant de 1946 (et la figure léonine de Jean Marais), ou le dessin animé produit par les studios Walt Disney en 1991, que le conte de Mme de Villeneuve publié en 1740, au début du règne de Louis XV.

La version de l'histoire que les uns et les autres ont choisi d'adapter n'est d'ailleurs pas la sienne, mais celle de Mme Leprince de Beaumont.

(...)

Veuve à vingt-six ans, bientôt ruinée, longtemps compagne de l'un des plus grands dramaturges du temps, Crébillon père, Gabrielle de Villeneuve a laissé à ses contemporains le souvenir d'une femme de grande taille, peu jolie, "le nez le plus long et les yeux les plus malignement ardents que j'ai vus de ma vie", si l'on en croit Louis-Sébastien Mercier. Venue tard à la littérature, elle est pourtant l'auteur d'une douzaine d'ouvrages généralement signés de la seule initiale de son patronyme, ce qui a compliqué les questions d'attribution. Choisissant tantôt la forme du conte, tantôt celle du roman, elle a laissé une oeuvre de fiction qui, pour avoir sombré dans l'oublie comme bien des oeuvres des femmes de cette époque, n'en mérite pas moins l'intérêt.

Dans La Belle et la Bête, Gabrielle de Villeneuve ne se contente pas d'exploiter le vieux motif de la métamorphose par amour. Elle mêle aux thèmes habituels du genre, parmi lesquelles la présence de fées et leurs rivalités incessantes, des références à la pastorale et au roman précieux, genres en vogue au XVII°siècle".

 

Une bibliothèque Cornulier - Les titres

jeudi, 24 octobre 2013

Une enfance littéraire française : Invitation au voyage I

 Jeudi 24 octobre 2013

Édith de Cornulier-Lucinière

edouard vuillard, intérieur

 Édouard Vuillard - Intérieur

 

Voici la synthèse de la conférence que j'ai donnée ce matin à mes étudiants - la première de l'année. Elle s'intitule L'invitation au voyage, parce que j'aime ce poème de Charles Baudelaire et parce c'est le jour où j'ouvre les portes sur les salles que nous arpenterons ensemble, plus en profondeur, au cours des conférences à venir.

C'est la troisième année que j'avance ainsi, face à ces étudiants étrangers, de toutes origines, et dont l'accès au subtil français est inégal encore.

J'avais déjà, sur AlmaSoror, donné l'essence de celle de mes conférences intitulée L'enfance, la civilisation et le monde sauvage.

Quant au blog de mon cours, encore en construction, il se consulte à cette adresse...

 

L'esprit de ces conférences

Je voudrais vous inviter à voyager dans le monde littéraire enfantin de France. Je ne ferai pas une histoire exhaustive de la littérature enfantine, ni de l'édition à destination de la jeunesse. Ce n'est pas, non plus, une conférence historique ni sociologique, ni d'histoire de l'art, même si nous voyagerons dans l'histoire et dans la société française, même si nous découvrirons de grands artistes – peintres, musiciens, écrivains, graveurs, cinéastes...

Mon projet est de vous ouvrir des portes sur l'univers littéraire enfantin, de vous faire découvrir quelques œuvres emblématiques, quelques auteurs intéressants, quelques personnages bien-aimés des enfants.

C'est souvent le plus difficile pour un adulte qui arrive dans un pays étranger : il peut vite apprendre la culture adulte, mais que sait-il des aspects enfantins ? Et pourtant, quel univers mieux que celui de l'enfance peut refléter, irradier, nourrir une société ? Voici une initiation... Elle a vocation à lever le rideau sur un monde fourmillant d’œuvres. Celui qui s'intéresse à ce monde devra poursuivre le voyage seul, ou en d'autres compagnies...

Comme le sujet de notre séminaire nous y invite, nous verrons ensemble beaucoup d'images, de films. Nous aurons aussi l'occasion d'écouter des compositions musicales, des chansons, et de lire des extraits de textes.

 

Le Moyen-Âge

Le moyen-âge, qu'est-ce que c'est ? Un chapelet de siècles qui se ressemblent si peu les uns aux autres. Quelle obscurité d'esprit ont eu ceux qui ont inventé cette expression, pour parler d'un monde qui naît lorsque meurt l'empire romain d'Occident, en 476, et meurt avec la fin de la douloureuse et meurtrière guerre de 100 ans, alors que Gutemberg invente l'imprimerie, que les Espagnols se libèrent du joug musulman, et que l'Europe affrète ses vaisseaux vers un Nouveau-Monde qui ne l'attend pas. Si le mot de moyen-âge paraît faible ou faux, l'adjectif médiéval ne manque pas de charme. Il évoque les cathédrales, les jongleurs et les troubadours, le temps où la France était en train d'éclore. La « langue française » n'existait pas mais elle se créait peu à peu.

La littérature enfantine française prend sa source dans ce moyen-âge. La littérature enfantine, vraiment ? Existait-elle déjà ?

Dans les sociétés traditionnelles, les adultes et les enfants écoutent ensemble les mêmes histoires : chacun comprend l'histoire selon son âge. Ainsi la Bible, le Roman de Renart, les contes d'Europe comme d'ailleurs ne visaient pas un public restreint, mais toute la société, les adultes et les enfants. La littérature spécialisée pour les enfants est tardive.

Mais si les romans et les contes de jadis n'étaient pas spécifiquement destinés aux enfants, ces derniers y avaient accès au même titre que les adultes. Ainsi, contrairement à la « littérature générale » d'aujourd'hui, qui s'adresse exclusivement aux adultes, ces œuvres se voulaient universelles.


Au VIII° siècle...

Au VIII° siècle, Alcuin, moine anglais, sort de son monastère pour un voyage européen. Il rencontre l'empereur Charlemagne, devient l'un de ses conseillers. Il est l'auteur des premiers livres diffusés en direction des élèves de tout l'empire, dont la Gaule formait une grande partie.

Charlemagne, subjugué par sa culture, lui demande en effet de réformer et d'organiser l'instruction dans le royaume carolingien. Alcuin se rend à la cour d'Aix la Chapelle (aujourd'hui en Allemagne), instruit le roi, les jeunes aristocrates de la cour, mais rédige également des manuels scolaires à l'usage de tout l'Occident. Ces élèves pouvaient être des adultes, mais étaient le plus souvent de jeunes enfants confiés aux monastères, lieux d'enseignement et de culture.

Ce sont les premiers "manuels scolaires" rédigés à l'intention des enfants qui ont circulé dans ce qu'on appelle aujourd'hui la France. Ils sont en langue latine.

Il s'est efforcé de plaire aux jeunes, comme on le voit dans cet exercice de mathématique :

"Un escargot est invité à un repas par un roseau qui est situé à une lieue. Toutefois, en un jour, il ne peut parcourir qu’une seule once de pied.

Dis-moi, qui le désire, combien de temps sera nécessaire à l’escargot avant de prendre un repas".

Si vous voulez persévérez dans ce cours de mathématique qui circulait dans l'Europe des VIII et IX°siècle, allez donc voir sur ce site.

alcuin

 

Aux XII et XIII°siècles...

Au XII et XIII°siècles, de nombreux auteurs, la plupart anonymes, composent Le Roman de Renart, premier vrai roman en langue française (écrit en ancien français). Ce corpus d'histoires était raconté par des jongleurs, des trouvères, des ménestrels, à un public des villes, des campagnes et des châteaux qui ne savait pas lire. Plusieurs auteurs l'ont écrit, sur deux siècles environ, dans l'ancêtre de notre langue, qu'il faut étudier aujourd'hui telle une langue étrangère pour être en mesure de lire ce roman dans le texte.

Le mot ROMAN vient de langue romane, synonyme de langue française. Le Roman de Renart est un des premiers textes écrits en français. Mais ce français nous est moins accessible aujourd'hui que l'espagnol ou l'italien ! Le roman, encore appelé ancien français, ancêtre de notre langue, reste une langue étrangère pour le locuteur francophone de l'époque des ordinateurs et des drones. 

On peut voir le texte originel et sa traduction en français moderne sur ce site. Le Roman n’a pas été écrit pour les enfants : la littérature spécialisée pour les enfants est apparue tardivement. Mais aujourd’hui les éditions sont réservées soit aux érudits, soit aux enfants. En effet, l'homme moderne a estimé que la présence de personnage appartenant à d'autres espèces animales que la nôtre ne saurait intéresser que de jeunes humains, pas encore au faîte de leur éminence dans toute la création.

Pourtant, le Roman constitue véritablement une satire sociale, pleine de violence et d'amour, de séduction et de tromperie, destinée à décrire les tares des êtres et des institutions de l'époque.

La BNF (Bibliothèque Nationale de France), a composé un très beau site internet sur le Roman de Renart. Il y a eu beaucoup d'interprétations et d'adaptations.

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Au début du XX ème siècle, en 1909, l'illustrateur Benjamin Rabier a réalisé une adaptation connue. Vous connaissez tous au moins une image de Benjamin Rabier, celle de la vache qui rit. Et n'est-ce pas intéressant de savoir que parmi les premiers grands succès de "l'album illustré" figurait une interprétation de notre plus vieux roman national ? Quand au premier long métrage d'animation français, c'est encore une adaptation de ce vieux Roman rusé comme un renard, qui sait hanter les esprits créateurs aux grands tournants de l'histoire artistique. Ladislas Starewitch, russe d'origine polonaise immigré en France, assisté de sa fille Irène réalisèrent ce film, dans leur pavillon de banlieue parisienne, pendant les premières années de la seconde guerre mondiale (1939-45). Ils avaient confectionné eux mêmes les marionnettes et les décors.

 

 

Le Grand Siècle et le Siècle des Lumières

Ce long moyen-âge, obscur surtout par notre ignorance de ces lumières, nous l'avons traversé en quelques minutes, nous arrêtant sur un grand clerc de Charlemagne, vers l'an 800, puis sautant ensuite jusqu'au XII°siècle pour rencontrer Maître Renart et ses compagnons, le loup Ysengrin et son épouse, la louve Hersant, le coq Chantecler, le lion Noble, le chat Tibert...

Détournons-nous de ces médiéveries qui nous rappellent douloureusement, nostalgiquement, que nous ne sommes pas tous jeunes. Traversons les siècles à la vitesse de l'éclair, pour atterrir dans le plus glorieux que nous ayons connu, notre Grand Siècle : celui du Roi-Soleil, Louis XIV, et de sa fastueuse cour de Versailles. C'est le siècle de la fondation de l'Académie française, celui de la querelle des Anciens et des Modernes.

C'est le siècle de Fénelon, qui enseignait au petit-fils du roi. Pour son auguste élève, il rédigea Les aventures de Télémaque. Inspiré par le personnage de l'Odyssée d'Homère, Télémaque fils d'Ulysse le roi d'Ithaque, Fénelon en profite pour glisser dans la morale de ces aventures palpitantes quelques idées sur la modération dont devraient faire preuve les monarques dans l'exercice de leur toute-puissance. Dès lors, le manuel scolaire princier valut à son auteur la disgrâce. Le Roi-Soleil trouva que le précepteur du petit allait trop loin.

Cette époque de haute dictature fut d'une prodigieuse fécondité artistique. La querelle des Anciens et des Modernes battait son plein.

Tous s'accordent sur l'importance de l'édification d'une littérature nationale, en langue française. Richelieu créée l'Académie. Mais cette éminente littérature française, d'où la tirer ? Comment la créer ?

Les Anciens veulent imiter la littérature grecque et latine. Nos modèles sont les écrivains de l'Antiquité : il faut donc les imiter pour avoir des chances d'atteindre un niveau littéraire équivalent. Mais les modernes ne sont pas d'accord : les Anciens vivaient en Grèce et à Rome, au sein de peuples qui parlaient grec et romain ; comment des Français du XVII°siècle pourraient créer une littérature nationale en imitant des gens éloignés dans le temps et dans l'espace ? Il faut bien, plutôt, puiser aux sources populaires de la langue, dans les campagnes, une essence brute et authentique que les écrivains poliront à leur guise ensuite.

Deux auteurs participent à la querelle. Vous connaissez déjà leurs noms ? Jean de La Fontaine et Charles Perrault. Le premier, un Ancien, verse dans l'imitation du poète grec Ésope. A la manière des fables d'Esope, il écrit les fables de La Fontaine. Le second, résolument moderne, parcourt la France, écoutant les histoires auprès du foyer, dans les humbles chaumières. Il récolte une série d'histoires populaire qu'on se raconte d'âge en âge, et les met par écrit, dans un style soigné : voilà les contes de Perrault.

Comme il est intéressant de noter que, d'une telle querelle, deux hommes des clans ennemis restent comme deux emblèmes, comme deux soleils, égaux dans les cœurs de ceux qui apprirent par cœur, sur l'estrade Le Corbeau et le Renard de Jean de La Fontaine et tremblèrent, avant de s'endormir, en écoutant l'adulte faire sa voix caverneuse pour imiter l’ogre du petit poucet de Charles Perrault.

Notons pour clore ce chapitre du Grand Siècles, qu'à l'instar du roman de Renart, ni les contes de Perrault, ni les Fables de La Fontaine n'étaient dévolus à un public enfantin. L'homme moderne, ne voyant dans tous ces écrits, qu'animaux et bons enfants, s'est dit qu'il devait s'agit de choses pour les enfants. A l'époque, pourtant, c'était bien  l'usage de tous que La Fontaine et Perrault travaillaient, comme en témoignent les sujets des contes comme des fables, qui traitent de toute la vie humaine dans sa complexité infinie, si trouble.

 

On appelle Siècle des Lumières, le XVIII°siècle : Les penseurs, appelés « encyclopédistes », militent pour la liberté de penser, la primauté de la raison, la délivrance vis-à-vis d'un pouvoir religieux qui interdit certaines idées. Le XVIII° siècle commence sous l'absolutisme de Louis XIV et finit après la Révolution française...

L'importance de l'enfance dans la constitution d'une personnalité, est soulignée par le philosophe Jean-Jacques Rousseau.
Son influence va bouleverser l'éducation que l'on donne aux enfants, et donc influencer la littérature enfantine. En particulier, Rousseau dans son autobiographie consacre de longs passages à son enfance, aux émotions et découvertes de l'enfance.C'est une grande première dans l'histoire de la littérature française moderne.
(Au XIII°siècle, le moine Guibert de Nogent avait longuement écrit sur son enfance, pour se plaindre de la dureté de celle-ci et demander à la société de réfléchir à l'éducation des enfants).

Pourtant, hors Jean-Jacques Rousseau, les penseurs axés sur la raison toute-puissante, ne s'intéressent pas trop à l'enfance, en ceci qu'elle n'a pas encore développé toute sa raison. Aussi c'est une femme, une enseignante, qui nous lègue, de cette époque, la principale œuvre enfantine.

Elle s'appelle Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Elle n'invente rien : elle reprend un roman datant de 1704, d'une autre femme, Madame de Villeneuve, qui connut un grand succès avant de sombrer dans l'oubli. Du roman compliqué, à rebondissements, de madame de Villeneuve, Leprince de Beaumont cueille la rose odorante et écrit un conte ramassé, intense : La belle et la bête.

Ah, la Belle et la Bête... Leurs amours ont inspiré le musicien Maurice Ravel, qui a composé des Entretiens sur la Belle et la Bête...

Leurs amours ont encore inspiré Jean Cocteau, qui a inventé pour les servir, des dialogues d'une beauté époustouflante pour son film La belle et la bête (1946).

La bête dit à la belle :

« Si j’étais un homme, sans doute je ferais ce que vous me dites, mais les pauvres bêtes qui veulent prouver leur amour, ne savent que se coucher par terre et mourir ».

Je conseille à tous de voir le film de Cocteau et celui de Walt Disney, un dessin animé de 1991. Regardez et comparez ces deux mêmes scènes, celle où la belle sauve la bête par un baiser et où la bête aussitôt se métamorphose en un jeune homme magnifique : vous aurez l'essence de Cocteau, l'essence de Walt Disney, la folie du gouffre qui sépare ces deux visions. La même scène, deux univers qui se dissemblent jusqu'à la moelle.

 

C'était la première partie de la conférence du 24 octobre. La suite se lit par ici.