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samedi, 16 juillet 2016

Amer savoir, celui qu'on tire du palais !

 (Tout ici-bas est initiatique)

Il y a quelques semaines, dans mon cher Carrefour Market du boulevard Castelnau des Sables d'Olonne où les produits locaux côtoient les journaux ni subventionnés ni côtés en bourse de l'extrême-gauche fidèle à elle-même, j'ai hésité de longues minutes devant le vaste rayon de bières et j'ai fini par choisir une bouteille que je ne nommerai point, que je goûtai le soir même et qui me laissa un goût amer inconnu dans la bouche. Je ne sais même pas si, buveuse invétérée que je suis, j'ai terminé la bouteille, méfiante, bien que séduite, ignorant si j'aimais ou n'aimais pas, croyant m'être trompée dans mon choix. Il se peut que j'aie jeté le quart restant du liquide dans l'évier, me disant que cela ferait du bien au tuyau (on le dit bien du marc de café). Comme la bouteille était belle, je l'ai gardée, qui me sert de carafe (d'eau) aujourd'hui.

Tout à l'heure, l'intérêt à nouveau suscité par ma jolie carafe au nom de bière, j'ai tenté de rechercher sur Internet quelle était cette bière, choisie avec tant de soin dans ce rayon d'un supermarché vendéen, bue avec tant d'appréhension voire de rejet. Eh bien, de l'avis des spécialistes, c'est un excellent produit, artisanal, amoureusement préparé, à l'occasion de l'anniversaire de création de la brasserie française dont elle provient, une entreprise de brasseurs éclairés, connaisseurs de leur métier, qui furent pionniers en agriculture biologique, qui cultivent eux-mêmes leur houblon, au lieu de l'importer comme l'écrasante majorité des brasseurs. Il a fallu me rendre à l'évidence. Quel que serait mon appréciation réelle de cette fameuse bière si j'étais connoisseuse, il reste évident que l'aspect « bizarre et inquiétant » de son goût ne m'est apparu que parce que mon palais biéral est phagocyté par le « goût industriel », celui là qui m'avait tant marqué à propos d'un « milk-shake » non loin du Panthéon, à Paris. Moi qui ai « découvert » le vin (que je buvais sans le connaître) à trente ans passés, à quoi cela m'a-t-il servi, scrogneugneu ? À trouver bizarre un goût artisanal que je n'ai pas appris à (re)connaître. Un peu comme un pompier qui regarderait une émission de télévision sur les pompiers et s'étranglerait devant les raccourcis et affabulations journalistiques, mais qui, la semaine suivante, avalerait un documentaire sur la Serbie sans aucun esprit critique.

Lorsqu'on se passionne pour un sujet – les langues, le vin, la poésie hongroise, le meuble artisanal, le manga, le chant grégorien, que sais-je d'autre -, le risque est, en même temps que l'on se perfectionne, de devenir une sorte de petit dictateur du goût, méprisant d'emblée ce que les non-initiés ont tendance à aimer, choisissant telle ou telle coterie de la « profession » et se ralliant à ses opinions en se croyant très indépendant. Cet orgueil du faux connaisseur, du demi connaisseur, cet orgueil qui ne pourrait jamais survivre à une vraie intelligence, à un vrai approfondissement, je l'ai connu une fois, au cours de mes études, et je me suis trouvée insupportable. Il n'était pas question de retomber dans le panneau avec le vin : avant même ma première dégustation, la vie m'avait déjà appris à mettre de l'eau dans les vins les plus sophistiqués. À présent que, grâce à cette bière, je suis ravalée au dessous du niveau de la mer de l'humilité, je me propose avec une certaine joie de faire le voyage qui me mènera à la science intérieure de la bière, celle qu'on ne peut atteindre ni en enfilant les bières grand public, ni en lisant les blogs de spécialistes, mais en buvant, à l'écart des condescendances, des bières choisies par intuition, et en tentant de me demander pourquoi je les aime et comment mon goût évolue, sans former de discours intellectuel sur la question. Je participe ainsi à ma mise en bière, mais c'est le cercueil de mon inconscience que je descendrai dans les terres fertiles et humides pour que prospère le houblon.