Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 23 février 2011

hume, frère. Hume le monde...

 

IMAG0593.jpg

 

"Je hume à longs traits le vin du souvenir".
Charles Baudelaire

 

(Un billet d'Édith)

 

IMAG0541.jpg

exercices de flair

 

 

Pause.

Tu t'installes quelques minutes, quelque part, et tu oublies la journée qui vient de passer. Tu oublies tout et tu laisses tes sens, ton coeur et ton esprit errer à travers le silence. Des bruits t'entourent : ils te bercent, comme les remous d'un bateau qui t'emmène sur une île.

Prière.

Tu convoques tes deux amies : l'humilité et la confiance. Humilité de ton être, confiance en ton être.

Contemplation.

Tu sens avec ton nez : le monde, la vie, l'instant. Des odeurs, peut-être, apparaissent, se dévoilent.

Mémoire vieille.

Maintenant pense à quelque chose. Une gare, une pomme, un grenier, une fleur, quelque chose qui sent. Et sens cette odeur. Sens-la, souviens-toi d'elle avec ton nez et laisse la repartir quand tu en as marre.

Mémoire jeune.

Essaie de te souvenir d'une odeur sentie aujourd'hui. Une odeur respirée et reconnue dans les dernières heures. Dans les derniers jours. Retrouve cette odeur. Réinvoque la, sens-là à nouveau, avec le nez du souvenir.

Flair.

Laisse la repartir, cette odeur retrouvée. Laisse la repartir et reviens à ce qui t'entoure. Une odeur monte-t-elle ? La reconnais-tu ? Peux-tu lui donner un nom ? Cherche les odeurs autour de toi, nommes-en une ou deux.

Oubli.

Et oublie les à nouveau, laisse leurs effluves. Car, maintenant, tu vas créer.

Création.

Essaie d'imaginer une odeur qui n'existe pas. Invente une odeur. Invente une saveur. Tire du néant une odeur et respire la. Tu peux mettre longtemps à inventer, créer cette odeur. Il n'y a pas que les mains, l'esprit, les yeux qui peuvent inventer. Le nez sait créer. Comment s'appelle ton odeur ? A-t-elle un nom, un chiffre ?

Recollection.

Tu te souviens de l'odeur que tu as convoqué lors de l'exercice "mémoire vieille". Souviens-toi de l'odeur que tu as retrouvée lors de l'exercice "mémoire jeune". Souviens-toi de l'odeur que tu as détectée lors de l'exercice "flair". Souviens-toi de l'odeur que tu as mise au monde lors de l'exercice "création". Et oublies tout. Demain, tu t'entraîneras à nouveau à sentir et peu à peu tu retrouveras le museau de chiot que tu as laissé derrière toi pour grandir.

 

Tu peux lire Le Parfum, de Patrick Süskind. Tu peux lire Timbuctu, de Paul Auster. Tu peux écrire ton propre livre, en notant sur ton téléphone androïd les odeurs que tu sens, que tu inventes, que tu aimes et que tu haïs, le long du jour, la nuit aussi. Ce sera ta bibliothèque des saveurs rencontrées au cours de ton voyage terrestre. Tu pourras la transmettre à tes amis, à tes enfants, et ils ajouteront leurs odeurs.

 

mercredi, 13 octobre 2010

Le Milk-Shake au Panthéon

Mavra milk shake.JPG

Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva

 

(Une histoire vécue en 2005, par Edith)

J’étais avec Manuel G dans un café oriental d’une rue qui part du Panthéon. Nous conversions autour de thés à la menthe quand nous vîmes, sans y prêter d’intérêt particulier, entrer un homme jeune et une jeune fille, qui vinrent s’asseoir à la table à côté de nous.
L'intéressante musique électronique de Morgan Packard tournait un peu trop fort pour une discussion suivie. Manuel et moi entendîmes la commande prise par le patron : un milk shake vanille pour la demoiselle, un thé à la menthe pour lui.
Il était visible que Monsieur faisait de son mieux pour plaire à la belle. Il lui expliqua qu’il l’avait emmenée ici puisqu’elle était arabe, et fit un compliment sur les cafés et la nourriture arabes dont elle parut contente. Lui-même était d’origine africaine. Tous deux, nous le comprîmes, venaient de banlieue (ils sortaient juste du RER) et il lui expliquait Paris, le centre ville, les monuments, les lieux qu’il fallait connaître – elle semblait tout ignorer. De fait, la mignonne, car mignonne elle était, avait le visage des jeunes filles gavées de télévision dont la vie se déroule entre la cité, le bahut et les centres commerciaux, avec un stade de football ou un Gaumont Champs-Elysées de temps en temps.
Monsieur faisait son charme et pas si mal, la belle écoutait sans vraiment comprendre. Nous perdîmes la trace de leurs échanges en reprenant le nôtre.
Plus tard, un instant de gêne, le sentiment que quelque chose se passait nous tira à nouveau de notre face à face. A côté, quelque chose n’allait pas. La jeune fille boudait en regardant son verre. En face, le chevalier servant n’eut d’autre solution que d’appeler le patron.
- Qu’est ce qui ne va pas ?
- Je voulais un milk shake !
- Mais c’est un milk shake !
- Ben non…
Elle faisait la moue, prenant manifestement le patron pour un demeuré.
Elle finit par lâcher, avec le mépris du savant pour l’ignorance crasse de son interlocuteur :
- Ben non, vous voyez bien que c’est pas comme chez McDo.
Le patron comprit soudain, le jeune homme aussi. Tous deux tentèrent d’expliquer à la jeune fille sous nos yeux et oreilles médusés que ce qu’elle avait devant elle était un vrai milk shake, fait avec des fruits fraîchement pressés et du lait frais, contrairement aux Milk Shake standards de chez Mac Donald.
Mais elle, les regardait avec une bougonnerie qui ressemblait presque à de la haine, en tout cas à de la rancœur.
Le patron vit que ses explications gastronomiques ne faisaient qu’augmenter le mépris de sa cliente, qu’il était persona non grata et dut repartir, penaud et horrifié. Elle, fit la gueule à son compagnon qui était terrassé lui-même par l’incommensurable gouffre entre son effort de séduction soutenu et le résultat pénible.
- Gabou il m’emmenait au McDo, dit elle d’un ton véhément, plein de reproche.
Piteux, honteux, le jeune homme tenta de la divertir. Elle ne voulut point goûter son thé à la menthe. Elle prit un peu de son milk shake mais le dégoût s’affichait sur son visage au moment d’avaler.
Elle était une petite sotte incapable d’entrevoir l’idée qu’un café élégamment décoré du panthéon vaut mieux qu’un McDo, incapable d’imaginer que du lait frais et des fruits pressés sont meilleurs que la daube industrielle.
Et le jeune monsieur apprit sans doute que la délicatesse et la culture passent pour de la goujaterie et de l’insalubrité aux yeux des enfants déracinés, marketingo-lobotomisés, accrocs à la consommation de masse.