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mercredi, 19 août 2015

Nos fiefs à venir

 

2015.07.17.LaG4.jpgphoto Sara

« Trait tout à fait remarquable de la société féodale : chacun y est pourvu d'une fonction déterminée, qu'il doit exercer en personne. Chaque état comporte un certain nombre d'obligations, avec des droits correspondants, les uns et les autres fixés par la tradition et la coutume, ce qui laisse peu de place à l'arbitraire. Les trois ordres sociaux – très différents en cela des « classes » sociales de notre époque – représentent, autant et peut-être plus qu'une hiérarchie, une division du travail : le seigneur a la tâche de gouverner et de protéger son domaine, auquel il doit le service de ses armes et parfois de son sang ; le clergé doit prier et instruire ; le paysan et l'artisan doivent assurer les nécessités de la vie matérielle. L'ensemble représente un échange de services, qui tous doivent être fournis personnellement : le seigneur n'a pas le droit d'abandonner sa charge, pas plus que le serf sa terre ; il doit en personne rendre la justice, combattre pour la défense du fief, ou administrer ses vassaux. Il ne possède pas la propriété du domaine au sens où nous l'entendons aujourd'hui, car il n'en est pas le seul maître, et se trouve tenu à la fois par la coutume qui impose des obligations précises vis-à-vis de ses subordonnés, et par l'autorité de son suzerain auquel il doit compte de ses actes. Il n'a pas alors la possibilité, comme cela se passera sous l'Ancien Régime, de se borner à percevoir ses redevances en se reposant sur un fonctionnaire ou un fermier du soin de faire valoir le domaine. Et il en est ainsi de tous les détails de la vie féodale : c'est par l'effort personnel qu'il fournit que chacun peut bénéficier des avantages attachés à sa position, cela, à tous les degrés de l'échelle sociale. Détail significatif : ce que l'on nomme alors « fief » est l'ensemble des droits dont jouit une personne déterminée – droits toujours fixés par la coutume – le terme n'étant pas du tout restreint au domaine seigneurial comme nous l'entendons de nos jours (son « fief » pourra n'être, pour un mendiant, que le morceau de pain ou de fromage qu'il recevra au monastère où il vient quêter). Or de ce mot fief, feodum, représentant le bénéfice, si minime soit-il, attaché à chaque état, la société féodale a pris son nom ».

 


Régine Pernoud

 

Les origines de la bourgeoisie. Presses Universitaires de France - 1947