vendredi, 13 février 2015
Le règne de la pluie
Glauque est la pluie qui tombe sur la terrasse salie par l'hiver, morne le ciel presque blanc posé comme de la vieille ouate molle sur les toits, fatigantes les traces grasses de doigts sur les vitres de la porte-fenêtre, impavide la musique du groupe Empyrium, alors j'ai éteint la lumière, allumé une bougie qui me fait face et qui tremblote à l'heure de la sieste somnolente, la sieste interdite aux centaines de milliers de salariés qui ont mangé à la cantine ou dans un bar froid et qui regardent les photos de vacances des amis sur Facebook. La sieste interdite, n'est-ce pas le contraire de la Cité interdite ? La gouvernance diffusée dans les cerveaux par les canaux médiatiques et administratifs ne ressemble pas au pouvoir absolu qui rayonne dans le lieu mythique et qu'on admire sans jamais le voir. Mais si, tu sais, ils se ressemblent en ceci qu'ils sont insaisissables au commun des mortels et pourtant ils lui dictent sa vie. Mais quoi, de quoi parlez-vous, quel est ce commun des mortels dont vous mentionnez l'existence ? C'est moi, c'est lui, c'est toi et vous.
- Ma chère, comment se passe donc votre exil au bord de la mer ?
- Ah, ma chère, c'est terrible. Il n'y a pas de bar à vins (ou un seul, sur le remblai, mais je n'y vais pas), pas de Grande Epicerie de Paris, pas de...
- C'est terrible. Mais vous voyez l'océan et les étoiles ?
- Je les vois quand je me réveille après de longues léthargies.
- Mais qu'avez-vous fait de votre mère, cette femme étrange dont l'oeil droit à la forme d'une clef ?
- Je n'ai rien fait d'elle. C'est elle qui a fait de moi un papier déchiré dans sa dernière oeuvre, heureusement inédite.
- Voyez-vous, tout de même, des amis, dans cette ville si terriblement éloignée de Paris ?
- Comment donc ! Faut-il être abscons et absolument obséquieux pour poser une telle question !
Donc, l'exil à quelques heures de train, c'est la possibilité d'une presque-île, c'est la rencontre d'une âme avec son néant, c'est la prise de conscience des limites du monde. Dans le vacarme, on croit qu'on existe. Dans le silence, on touche presque l'insensibilité de notre propre peau.
Il pleut toujours, la bougie se consume, les dernières phrases de l'opus du Comité invisible se dissolvent dans les vapeurs de mon oubli. Peu à peu la torpeur moite et froide de mon néant s'habille de mélancolie, le bruit doux de la pluie caresse mon oreille droite, la blancheur pâteuse du ciel berce mon âme, et c'est comme si, peu à peu, j'apprivoisais l'esthétique glauque de l'indécision.
L'indécision et l'ennui se distinguent peu l'un de l'autre. On croit qu'il faut les combattre à tout prix. Pourtant, ils recèlent l'un et l'autre quelques essences d'huiles profondes qui massent nos sens et nos organes de leurs longues mains de méduse.
Nus l'hiver, les arbres sont moins sensuels qu'habillés en été. Toutefois ma bien-aimée, ne les imite pas. Prends ton gingembre et ton citron, lève-toi et marche, écoute un peu la guitare de Mocke et ne te moque pas des grutiers qui montent et descendent les escaliers du ciel à travers tes volutes de fumée.
On peut rire de tout et de rien quand le diaphragme monte et descend en saccades. Des millions de gens déprimés, allongés sur leurs lits, rêvent qu'ils grimpent l'arête Est de l'Annapurna.
Aucune époque ne diffère véritablement des autres époques, et celui qui sait chanter possède le remède ultime aux maux de toutes les contrées.
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lundi, 09 septembre 2013
(Ô Spartacus)
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