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Chroniques fictives

Ever Lost

Ever Lost

Un film d’Amos Mariecque,
Avec William Fontaine
Avec la voix de Vénéxiana Atlantica,
Produit par GUSH Productions, NYC, 2037.

Ever lost est un film résolument réussi. Mariecque y raconte une histoire universelle. Il y affine sa technique des flash to. Il nous emmène dans un univers qui marquera la civilisation artistique mondiale.
L’histoire ? Au cœur de la ville de New York, dans les années 2000, un militant antispéciste sauve des enfants et des animaux.
Le jour, il travaille dans une pizzeria.
Le soir, il zone en quête d’un sourire féminin.
La nuit, il hante les orphelinats et les zoos, les instituts sociaux et les laboratoires scientifique : il délivre enfants et animaux du joug adulte.

New York : c’est la première fois que le cinéaste filme la Fille des villes. Car si Moscou, si Prague se disputent le titre de Mère des villes, New York est la fille insoumise et rebelle des villes vieilles d’Europe. New York : le vieux New York des années 2000 est ressuscité ici dans les images fabuleuses d’un cinéaste à son apogée. New York : rues longilignes traversées d’humains élancés qui marchent dégingandés tandis que le flot des voitures jaunes file entre les rangées d’immeubles hauts.

Le générique de début défile sur une image noire et bleue : New York la nuit. Le noir de la nuit, le bleu des phrases des voitures. Elles défilent tandis qu’un homme debout, immobile, attend.
Une dédicace apparaît : "à Hélène Lammermoor, pour son hospitalité précieuse, pour quelques moments trop vite partagés".
C’est la première fois qu’une dédicace apparaît au générique d’un film de Mariecque. On sait que la journaliste Hélène Lammermoor et la créatrice de Salons Littéraires Esther Mar avaient réalisé un documentaire sur Mariecque alors que celui-ci soignait sa septième dépression nerveuse dans un sanatorium mental de Saint-Jean en Ville. Inachevé, le documentaire n’en avait pas moins été primé au Festival des films ratés de Panamaribo - festival, on le sait, infiniment plus luxueux et laminant que les festivals dits de cinébouffons, où bourgeois en goguette s’amusent à jouer aux artistes (Cannes, Sundance, Deauville, et même Sarajevo).

L’homme que l’on voit attendre est notre héros, l’unique personnage du film. Il s’appelle Andreï Tarkov. Le film n’est pas découpé en trois actes ; il ne comporte pas d’événement déclencheur, ni de climax. Il suit les déambulations antispécistes d’Andreï Tarkov, admirablement campé par un William Fontaine romantique à souhait.

Amos Mariecque reprend ainsi un personnage qu’il avait suivi tout jeune, lorsqu’il écrivait pour la série VillaBar, à Paris. "Quitte à retourner dans ces années 2000 où j’appris à vivre, autant que ce soit accompagné d’un personnage qui m’importait alors". L’acteur a accepté le défi de replonger, lui aussi, dans son rôle de jeunesse.

Au milieu du film, un long silence : Tarkov fume une longue cigarette. Sa fumée bleue monte en volutes. Il ferme les yeux. La lourdeur des souffrances animales et enfantines l’a vidé. Il nous semble qu’il va craquer, se prendre la tête entre les mains, s’effondrer au bord du trottoir. La voix de Vénéxiana récite Charles Baudelaire et une larme coule sur la joue d’Andreï. L’on devine alors que dans les yeux de ses protégés c’est sa propre enfance, sa propre animalité dévastée que cet homme au regard métallique tente de conjurer. Un instant, il flanche. Mais il se reprend. L’homme tiendra jusqu’au bout.

Le reste du film est allumé par la musique de Gontran Gogue (opuscule du Crépuscule). Les paroles de l’opéra électrosymphonique s’élèvent tandis que les images se bousculent, flous après flous, mouvements lents noyés de travellings russes.
Au commencement, il y eut ton souffle et puis le mien/ suivit le silence des bouches et la parole des mains/la ville immobile frissonne par la fenêtre/ses toits inertes n’ont plus la foi/quelques éphémérides au loin/l’hiver est une saison qui ne finit jamais, malgré les rires de l’été/ Je m’incline devant ton désir/au fond de tes yeux embrumés, je t’ai aimé.

Les chiens, les pigeons, les rats, les humains ont la même valeur pour Amos Mariecque. La même valeur scénaristique ; la même valeur spirituelle. Le Maître du temps cinématographique ne donne pas dans la hiérarchie des espèces. Il ne donne pas plus dans la hiérarchie des sexes. Hommes, femmes, hermaphrodites se côtoient sans se faire mal. Leurs individualités ne sont pas affectées par leur genre ; les relations qui les unissent non plus. Ce qui les définit, et souvent les sépare, ce sont leurs choix.

Le tournant du film : un travelling russe qui parait éternel et qui fond sur une image du futur (encore un flash to !) L’homme hésite. On croit que tel l’âne de Buridan il n’arrivera pas à choisir, se condamnant à demeurer dans la ville parmi les fous. Puis brusquement, il tourne à droite et part d’une allure vive.
Il est sauvé. Au loin, les véhicules de police arrivent. Mais Andreï Tarkov ne sera jamais retrouvé. Il aura sauvé ce qu’il a pu de bêtes et de gosses avant de s’en aller finir sa vie de l’autre côté de la frontière, quelque part où personne n’ira l’embêter. Un légionnaire solitaire, sans armée, sans frères d’armes, seul avec sa cause, ses cigarettes et la voix de Vénéxiana Atlantica qui récite : "Sois sage, Ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille".

Il est difficile de résumer ce film. Deux heures de promenade à travers les images de la ville, qui sont les images des âmes des êtres dont le Maître nous parle. Amos Mariecque dit qu’il vieillit. Son œuvre, elle, reste semblable à ce qu’elle a toujours été : ni jeune, ni vieille - intemporelle.

Edith de Cornulier-Lucinière
2037