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Chroniques fictives

Sables dans la brume

Sables dans la brume

Un film d’Etopac Namurt

Gush Productions, 2038

Tout commence aux abords d’une immense ville qui s’étend par delà les montagnes au Nord, mange la vallée, tombe dans le désert, et meurt sur une plage du Sud. Un homme jeune, maigre, seul, marche entre les hauts immeubles et l’océan grisâtre. La caméra ne nous donne jamais à reconnaître la ville ; le scénario ne la mentionne pas. Ce pourrait être Lima.
L’homme passe devant le café Pacifico, où de riches bourgeois végètent dans l’oisiveté du dimanche. Pour les provoquer, sans doute, ou par mépris-dépit, il crache et cogne du pied dans une pierre, puis passe le bar et poursuit sa balade solitaire.
Il a faim. Il a soif. Il n’a plus d’argent.

Etopac Namurt, toujours déchiré entre ses deux mondes - celui de la déchéance bourgeoise de luxe et celui de la révolte sociale saine - entremêle ses personnages à travers des historiettes qui les tiennent fragilement enlacés et qui les mèneront tous au bout de la dérive, là où les spectateurs des films de Namurt ne vont jamais : de l’autre côté de la société.

C’est pour cela que nous allons regarder les films d’Etopac Namurt. Parce qu’il nous emmène là où nous n’osons jamais aller. Il nous fait voir ce que nous vivrions de joie et de liberté si nous osions traverser le pont des rêves. Ils nous montrent ce que nous perdrions aussi, il nous rappelle à quel point notre confort matériel et psychologique nous évite maintes errances et souffrances dans lesquelles ses personnages se délitent.

Les personnages de Sables dans la brume, frêles, tendres et bizarres, nous sont étonnamment lointains, étonnamment proches. Ettore, l’homme qui marche au début du film, va rencontrer Christiana-la-prostituée-sans-clients. Il s’occupera du petit garçon de celle-ci quand elle ira à l’hôpital. Christiana présente ses amis à Ettore. Le gladiateur des clubs de nuit, Maxence Coblarol, le vieux Mathieu Bentham, pêcheur à la retraite, la dame de la laverie, Roberta Caravane et d’autres encore, personnages sensibles et différents qui hantent les rues de leur ville natale en étrangers, parce qu’ils n’ont pas su écraser leur cœur au profit de leur réussite sociale.

Y a-t-il une histoire dans ce film aux longs plans fixes, aux travellings traînants, aux dialogues qui laissent plus parler les voix que les mots ? Pas vraiment. Il n’y a que des histoires, comme des bribes d’un grand conte qu’il faudra bien raconter un jour, mais dont nous n’avons pour l’instant qu’un avant-goût, parce que nous ne sommes pas prêts.
Et c’est pour cela que nous allons voir les films d’Etopac Namurt : parce qu’il nous apprend, film après film, à entendre sans attendre, à voir sans chercher, à recevoir ce que nous n’avions pas prévu, bref, à vivre depuis cet étrange endroit de nos êtres qu’est le Cœur, sans penser ni fuir la vie.

Nous ressortons de la vision de ce film, habités par les images d’une ville en déperdition, où quelques êtres lucides et paumés se réchauffent de leurs sourires et de leurs voix, à l’ombre de la Société.

Edith CL