Ces bêtes qu’on abat : Des infractions qui ont toujours cours (dimanche, 20 janvier 2013)
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
Des infractions qui ont toujours cours
Je vais vous parler maintenant d’infractions qui perdurent. Le premier grand succès législatif en matière d’abattage, c’est le décret de 1964 qui réglementait la contention et la mise à mort des animaux de boucherie et de charcuterie. S’en est suivi le décret du 1er octobre 1980, du 18 mai 1981, une Directive Européenne de 1993, le décret du 1er octobre 1997 accompagné de l’arrêté du 12 décembre 1997, qui était tout simplement la transcription en droit français de la Directive Européenne.
On peut apprécier le décret de 1964 qui rendait obligatoire l’étourdissement des animaux avant leur mise à mort, sauf pour les abattages rituels et la corrida. Mais ce qu’il est important de relever, c’est la difficulté ou la mauvaise volonté à appliquer la réglementation en matière de protection animale, alors même que les Services Vétérinaires se trouvent dans les abattoirs. Depuis 1964, et comme cela est réitéré dans les différentes réglementations, il est interdit de suspendre un animal vivant par les pattes. Pourtant, cela se pratique encore dans certains abattoirs. La Directive Européenne n°93/119 sur les abattages, qui date de 1993 mais qui n’a été retranscrite en droit français qu’en 1997, redéfinit les règles de protection animale qui existaient déjà en grande partie dans les textes précédents. L’arrêté et le décret de 1997 devaient permettre de passer la vitesse supérieure, or cela fait plus de dix ans (depuis ce dernier texte), et en réalité plus de vingt, trente, voire quarante ans que certaines infractions perdurent, laissant souffrir les milliards d’animaux qui passent par l’abattoir.
Notons que le Code rural dans son Article 283-1 précise : « Les vétérinaires inspecteurs, qu'ils soient fonctionnaires ou agents contractuels de l'Etat, ont qualité, dans les limites du département où ils sont affectés, pour rechercher et constater les infractions aux dispositions des articles 276 à 283 du présent code sur la protection des animaux domestiques et des animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité et des textes réglementaires pris pour leur application ». C’est donc bien à eux que revient la charge de protéger les animaux dans les abattoirs, cette charge que j’assumais pleinement pour le bien des animaux. Lorsque je venais visiter un abattoir, il m’a souvent été opposé que les agents des services vétérinaires étaient déjà là pour faire ce travail.
Pour autant, dans une circulaire interne du Ministère de l’Agriculture en date du 24 juin 1998, le signataire explique la nécessité de mettre en œuvre le décret de 1997, qui reprend pourtant en partie les dispositions précédentes. Je cite la circulaire adressée aux préfets et aux directeurs des Services Vétérinaires : « J’insiste sur la nécessité de veiller particulièrement désormais au respect des conditions de protection animale notamment dans les abattoirs, sur les lieux d’élevage, ainsi que dans les couvoirs. En effet, ces postes ont trop souvent été négligés… ». (C’est moi qui souligne). Un premier constat avoué : « Mais que fait la police ? ».
Mais voilà une douzaine d’années que cette circulaire a été adressée à qui de droit, et les infractions persistent. Je ne vais en citer que quelques-unes.
-
On constate encore l’absence de contention mécanique obligatoire pour l’abattage rituel des animaux destinés à la consommation religieuse juive et musulmane.
-
Encore beaucoup de boîtiers électriques qui alimentent les pinces à électronarcose sont dépourvus d’un système sonore, lumineux ou d’un voyant indiquant la tension et l’intensité du courant. Ils sont d’ailleurs trop souvent éloignés du lieu de la tuerie.
-
L’intensité et la tension du courant ne sont pas toujours adaptées à l’animal lors de l’électronarcose. Une uniformisation du matériel est nécessaire et une formation à l’utilisation de la pince électrique pas seulement obligatoire mais effective, et ceci afin d’éviter des souffrances aux animaux lors de son emploi. Car en effet, il est constaté une incompétence
-
ou une mauvaise utilisation par le personnel dans le maniement des pinces à électronarcose manuelles.
-
On suspend encore des animaux vivants avant la saignée, surtout dans le cadre de l’abattage rituel, au lieu d’utiliser un piège de contention pourtant obligatoire. Dans ce cas, l’interdiction de procéder à un abattage sans étourdissement devrait être imposée par les services vétérinaires qui sont sur place dans les abattoirs concernés.
-
La suspension des animaux vivants avant la saignée pour accélérer les cadences de production ne doit pas être une pratique banalisée, mais plutôt sanctionnée.
-
On utilise en rituel des box pièges pour des veaux, alors qu’ils sont agréés et destinés à de gros bovins.
-
On met parfois plusieurs veaux dans un box rotatif ou une case en béton, jusqu’à trois ou cinq pour les étourdir, alors qu’il faut tuer les animaux les uns après les autres, et qu’il faut être rapide entre l’étourdissement et la saignée.
-
On effectue un étourdissement dans la nuque des veaux, en lieu et place de la partie frontale, pour ne pas abîmer la cervelle afin de la commercialiser. Cet étourdissement n’est pas réglementaire, il est inefficace et douloureux pour le veau, selon un vétérinaire.
-
En abattage rituel, les bovins sont parfois évacués du box piège et suspendus conscients car, après l’égorgement, les employés n’attendent pas la fin de la saignée avant de les suspendre. C’est pourtant obligatoire. (J’ai déjà vu dans un abattoir, il y a plusieurs années, qu’on commençait à découper la tête ou les pattes alors que les bovins perdaient seulement leur sang et n’étaient pas encore morts).
-
En abattage d’urgence, on constate que les animaux blessés (notamment les vaches) ne sont pas toujours abattus tout de suite, comme il se doit et selon le caractère d’abattage d’urgence, mais qu’ils sont laissés en souffrance dans le local.
De même, les conditions de chargement et déchargement des animaux blessés reste également à revoir.
Encore trop de cochons ou de truies, blessés ou dans l’incapacité de se mouvoir ne sont pas abattus là où ils se trouvent comme la loi l’exige, c’est-à-dire dans le camion ou sur le quai. Au contraire, ils sont tirés coûte que coûte au bout d’un câble métallique jusqu’au poste d’abattage, et parfois suspendus au bout d’un treuil. Parfois ces animaux peuvent être laissés sur le quai toute la nuit.
-
Des animaux dont l’inaptitude aux transports est prévue par les textes pour les protéger sont toujours véhiculés jusqu’à l’abattoir, et trop souvent sans retour par un PV que peuvent dresser les services vétérinaires.
-
Il y a aussi le problème de la compétence de certains sacrificateurs en abattage rituel, notamment pour les sacrificateurs musulmans, car il suffit d’une autorisation des Mosquées agréées pour être apte à devenir sacrificateur, sans avoir de réelles compétences. Bien souvent, il est constaté une absence de l’autorisation en cours de validité.
-
Certains abattoirs sont mal équipés pour l’abattage des porcelets.
-
L’abreuvement en eau des animaux en attente n’est pas toujours fait.
-
Etc.
Toutefois, je dois dire qu’il y a une amélioration dans certains abattoirs qui font maintenant attention à l’animal lors de cette étape de la mise à mort. Il y en a qui s’en sont toujours préoccupés, et la demande du consommateur pour un traitement moins mauvais des animaux d’abattoirs rend certains plus vigilants. J’ai visité récemment un abattoir où, dans la bouverie, de la musique celtique était diffusée pour les vaches en attente. Pourquoi pas ? Dans la bouverie, les animaux profitaient de paille propre et d’eau claire à volonté. Mais était-ce vraiment représentatif ? Car j’avais dû prendre un rendez-vous pour effectuer cette visite : elle était programmée par la direction de l’abattoir.
-
-
| Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |