VERANDA (samedi, 14 août 2010)

2001, l'odyssée.jpg
2001, l'odyssée de l'espace (Kubrick)

(un billet d'Edith)


Hier soir un ciel orange se vautrait sur la plage,

Et de la véranda tu parlais à l’océan

Les requins dansaient à l’horizon

Tu parlais en tahitien et je comprenais quelques mots

Les mouettes contemplaient la vie

Paresseusement

La chambre était rayée de lignes de soleil et d’ombre,

Et de la chambre,

La main au dessus des yeux,

Par les fentes de la natte qui striait la lumière,

Je te voyais à contrejour.


Comme d’habitude,

J’essayais d’écrire

Et cette fois j’ai compris

Que je n’ai définitivement rien

A dire.


E mea nehenehe teie i’a

E mea i’a teie vahine


Et de la véranda tu lançais dans le ciel

Des nuages de fumée légère

Tu fumais d’une main

Et de l’autre main tu caressais le feuillage épais des plantes

Le refrain tahitien partait dans le vent chaud

Vers l’horizon

Et dans la chaleur lascive de la chambre

La bouteille de mauna loa sur la table

Et la guitare sur les genoux,


Comme d’habitude

J’essayais de composer

Et cette fois j’ai compris

Que je n’ai définitivement rien

A dire.


Ua here ia vau i teie i’a

Teie i’a i roto i te moana nui


Hier soir est fini pour toujours

La mélodie en fa mineur

Et les accords vite égrenés

Sont oubliés.

Dans cette île de pêcheurs

Qui pêchent peu

Le temps passe et je ne bouge pas.

Le temps change et les saisons défilent

Il y a une horloge dans la cuisine

Que je ne regarde jamais.

Des choses se sont passées dans ma vie

Mais je n’en pense rien.

Les souvenirs se mélangent et se noient

Dans le rhum et le mauna loa.

Ici des sorcières tirent des cartes

Et me disent leurs avis

En fronçant les sourcils.


Hier soir après leur visite,

J’essayais de peindre,

Et cette fois j’ai senti

Que je n’ai définitivement rien

A dire.


E mea vahine i teie i’a

I roto i te moana-po


Hier soir un ciel orange se vautrait sur la plage

Et de la véranda tu parlais à l’océan

Tu parlais tahitien et je comprenais quelques mots.

Après quelques cocktails et un cigare cubain

Je suis descendue et j’ai pris

La longue barque.

Ce parfum de la vie que je ne peux décrire

Guidait mes rames sur les vagues.


J’ai toujours observé les poissons

Avec fascination

J’ai toujours observé les poissons

Avec fascination.


L’océan s’ouvre

Et je lui crie des choses

Qu’il emporte.

Quand le soir tombe j’essaie d’exister.

L’océan s’ouvre

Et j’entrevois l’apprentissage

Du silence.

Je pense que je devrais me taire ;

C’est clair, je devrais oublier

Les mots.

Avant que le rouge du ciel ne soit enfui,

Je suis rentrée, ayant compris

Que je n’ai définitivement rien

A dire.


Définitivement rien à dire,

Et j’observe les poissons avec fascination.

Définitivement rien à dire,

Et j’observe les glaçons avec fascination.

annemarie schwarzenbach-erika mann-1932.jpg

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