Dans la chambre d'écho (lundi, 23 décembre 2024)

chambre d'écho,anéchoïde

Dans la réalité de notre vie quotidienne, nous parvenons quelquefois à créer des bulles d'existence dans lesquelles le réel apparent conforte notre pensée, qui, elle-même, contribue à privilégier l'apparence d'un pan de la réalité plutôt qu'un autre. Et ceci est encore plus prégnant dans notre réalité virtuelle, car les algorithmes sont encore plus doués que nos biais cognitifs pour construire des filtres personnalisés.

Cela nous aide à nous tenir debout et droit dans une société liquide saturée d'informations contradictoires. Cela nous permet d'être arrimés à une pensée coordonnée, cela nous donne le Nord.

Mais c'est un Nord intérieur. Qu'il soit individuel ou collectif, c'est un Nord qui n'existe pas. Pour le vrai Nord, nous consultons les boussoles ou les étoiles et il n'y plus de doute possible. Si tous les individus, quels que soient leurs bords politiques, leurs milieux de vie, leurs histoires personnelles et leurs trajectoires sociétales, si tous ces individus décident de marcher vers le Nord du Monde physique, ils partiront tous dans la même direction.

Nos Nord intérieurs mènent à des directions opposées les unes des autres. Nous consultons nos boussoles internes et nous courons vers des pôles contradictoires. Cela ne changera certainement jamais. Quelle vérité unique, adéquate au réel, pourrait un jour s'imposer à l'ensemble de l'humanité comme le Nord d'une boussole ?

Nos filtres nous isolent des parties du monde que notre bulle cognitive rejette, quelles qu'elles soient.

 

Dans notre louable volonté de fidélité à nous-mêmes et à notre vision politique et cosmique, comment nous assurer que nous ne sommes pas pris au piège dans une bulle de pensée ? Dans une chambre d'écho où ne résonnent plus que des biais de confirmation ?

De temps en temps, peut-être, accepter de passer un quart d'heure en soliloque afin de se poser quelques questions :

Les gens osent-ils me dire ce qu'ils pensent ? Est-ce que j'ai le temps de découvrir leurs opinions avant qu'ils ne captent les mensurations de ma fenêtre d'Overton ?

Puis-je supporter de tenir une conversation conviviale et intéressante avec quelqu'un appartenant à un bord politique ou un univers mental différent du mien ?

Suis-je capable de reconnaître que le camp adverse aussi possède des arguments valables, ou bien ridiculisé-je et criminalisé-je tout ce qui vient de lui ?

Est-ce que je psychiatrise ou criminalise les opinions et les propos, comme s'ils étaient soit des symptômes de maladies, soit des faits accomplis ? Est-ce que j'assimile des opinions et des attitudes sociales à des maladies mentales, est-ce que je juge aussi durement des paroles et des gestes aux passages à l'acte auxquels ils me font penser ?

M'abreuvé-je à des sources d'information variées, d'univers intellectuels et politiques différents voire contradictoires, pour me renseigner sur l'actualité et penser les sujets de société ?

Suis-je en mesure de lire un livre écrit à une autre époque, sans faire son procès moral ?

Et est-ce que je ne lis que du commentaire ou est-ce que je vais trouver l'information à sa source ? Cela vaut pour les événements de notre temps – lire un discours politique lui-même avant de le juger via des commentaires que d'autres ont fait de ce discours – que pour les temps passés – lire les sources mêmes et les auteurs du temps étudié, bien qu'ils soient plus difficilement accessibles ; ne pas se contenter des livres d'histoire qui citent ces sources.

Dans la chambre d'écho, le monde n'est pas spécialement beau mais nous y avons toujours, toujours, toujours raison. Et ceux qui ne pensent pas comme nous ont toujours tort. Ouvrir la porte et faire un voyage mental dans d'autres mondes de sensations, d'associations d'idées c'est se frotter non pas seulement à d'autres idées mais bien à d'autres ethos. C'est, le temps d'un voyage intellectuel, descendre dans la gare d'un autre pays et loger chez l'habitant. Juste quelques instants. Et puis rentrer chez soi, avec un peu de poussière d'autrui dans les neurones. Juste un tout petit peu.

 

(… et le contraire de la chambre d'échos, ce serait la chambre anéchoïque. Rien de ce que disent les autres ne correspondrait à une expérience connue de moi et chacune de mes paroles ne serait qu'un cri dans le désert, ignoré par les autres. La solitude morale et intellectuelle serait parfaite, il n'y aurait même pas cette haine mutuelle qui est une forme de reconnaissance mutuelle autour d'un thème ou d'une relation.)

 

 

 

 

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