Du public et du particulier, du public et du privé (samedi, 03 août 2024)

Un extrait de Figures publiques, l'invention de la célébrité, d'Antoine Lilti, publié chez Fayard :

L'essor de ses "vies privées" comme genre éditorial correspond à une évolution des notions mêmes de "public" et de "privé".
AU XVIIème siècle, le public désignait l'ensemble  du corps politique et, par extension, étaient considérées comme "publiques" les actions de celui ou de ceux qui représentaient officiellement ce corps politique, c'est-à-dire le roi et les magistrats qui agissaient en son nom. Le roi seul avait autorité pour "publier", pour rendre public. Dans cette perspective, ce qui s'opposait au public n'était pas le privé, mais le "particulier", ce qui concernait chacun en tant qu'individu et non en tant que membre du corps politique. 

Au cours de la seconde moitié du XVIIème siècle, et surtout au XVIIIème siècle, une double évolution modifie profondément
la signification du terme.

Le public se met à désigner l'ensemble des spectateurs d'une pièce de théâtre, les lecteurs d'un ouvrage édité, ceux qui ont entendu des nouvelles qui circulent très largement. Les historiens de la culture, suivant en cela les intuitions de Jürgen Habermas, ont beaucoup insisté sur le fait que cette évolution dotait le public d'une compétence à juger, d'une légitimité à évaluer les mérites d'une tragédie, la vraisemblance d'une nouvelle, la culpabilité d'un suspect, le bien-fondé d'une décision politique. C'est la naissance du public littéraire, puis de l'opinion publique, selon un processus que Habermas  a appelé la politisation de la sphère publique littéraire. 

Une autre évolution découle de cette nouvelle conception du public : la distinction, au sein de toute action humaine, entre une dimension publique et une dimension privée. Le public ne s'oppose plus au particulier, mais au privé, c'est-à-dire à ce qui est d'ordre domestique, familial, intime. La frontière passe désormais entre ce qui est connu de tous et ce qui est caché, le long d'une ligne qui est celle du secret. 

 

Antoine Lilti, IN  Figures publiques, l'invention de la célébrité, pages 116-117, Fayard

| Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook |  Imprimer | | | |