Kundera, pro Europa, 1983 (dimanche, 09 octobre 2022)

Milan Kundera écrivit l'article, Un Occident kidnappé, en 1983, dans une revue nommée Le Débat. L'intelligence y coule à chaque phrase et nous, Français, pouvons apprendre à penser un peu comme ceux qui grandissent tournés vers Rome, mais sous l'ombre tutélaire russe.

Et pourtant un jour viendra peut-être où l'Europe sera consolée, réunie, unifiée, de l'Atlantique jusqu'à l'Oural.

Mais dans notre volonté romantique d'une Europe entière, rappelons-nous tout de même, à toutes fins utiles, ce que la Russie inspire à l'écrivain polonais Brandys :

"Le destin russe ne fait pas partie de notre conscience ; il nous est étranger ; nous n'en sommes pas responsables. Il pèse sur nous, mais il n'est pas notre héritage. Tel était aussi mon rapport à la littérature russe. Elle m'a effrayé. Jusqu' à aujourd'hui je suis horrifié par certaines nouvelles de Gogol et par tout ce qu'écrit Saltykov-Chtchedrine. Je préfèrerais ne pas connaître leur monde, ne pas savoir qu'il existe". 

On le trouve entièrement par ici.

Voici un paragraphe extrait de ce beau chant d'amour pour l'Europe :

Selon Palacky, l'Europe centrale aurait dû être le foyer des nations égales qui, avec un respect mutuel, à l'abri d'un État commun et fort, cultiveraient leurs originalités diverses. Bien qu'il ne se soit jamais pleinement réalisé, ce rêve, partagé par tous les grands esprits centre-européens, n'en est pas moins resté puissant et influent. L'Europe centrale voulait être l'image condensée de l'Europe et de sa richesse variée, une petite Europe archieuropéenne, modèle miniaturisé de l'Europe des nations conçue sur la règle : le maximum de diversité sur le minimum d'espace. Comment pouvait-elle ne pas être horrifiée par la Russie qui, en face d'elle, se fondait sur la règle opposée : le minimum de diversité sur l'espace maximal ? En effet, rien ne pouvait être plus étranger à l'Europe centrale et à sa passion de diversité que la Russie, uniforme, uniformisante, centralisatrice, qui transformait avec une détermination redoutable toutes les nations de son empire (Ukrainiens, Biélorusses, Arméniens, Lettons, Lituaniens, etc.) en un seul peuple russe (ou, comme on préfère dire aujourd'hui, à l'Èpoque de la mystification généralisée du vocabulaire, en un seul peuple soviétique).

 

Mais il faut lire ce texte aussi parce qu'il mentionne de manière explicite le grand remplacement de la culture par les médias... Et donc la noyade de l'Europe de l'Ouest, la perte de sa propre culture, de son identité mouvante et puissante, de sa raison d'être, de briller comme un soleil et de vivre. Il nous faut aujourd'hui prendre conscience de ceci : la vraie résistance, la vraie désobéissance, la vraie audace, c'est de vivre, de créer, de consommer à l'écart du champ des médias. Ils ne pourront jamais rien  nous apporter. Rien ne sert de les prendre d'assaut, de se hisser vers eux, de se disputer leurs faveurs : il faut se détourner d'eux au contraire, ne pas en vouloir, construire ailleurs, hors de leur vomis qui dénature tout ce sur quoi il se répand. 

 

 

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