Extrait du magnifique "Au-dessus de la mêlée" (dimanche, 01 août 2021)

Au-dessus de la mêlée, publié dans le Journal de Genève alors que la guerre faisait rage depuis moins de deux mois, l'affreuse guerre de 14-18. Cela lui a valu bien des haines, mais peut-être aussi, le prix Nobel de littérature, ce texte qui dérangeait les partis mais ne pouvait qu'apaiser la souffrance psychique de ceux qui voyaient l'absurdité de ce grand assassinat de masse co-organisé par les États.

Voici un petit extrait de ce texte qui fut une lueur dans la nuit affreuse des boucheries humaines mais n'empêcha pas un mort...

"Osons dire la vérité aux aînés de ces jeunes gens, à leurs guides moraux, aux maîtres de l’opinion, à leurs chefs religieux où laïques, aux Églises, aux penseurs, aux tribuns socialistes.

Quoi ! vous aviez, dans les mains, de telles richesses vivantes, ces trésors d’héroïsme ! À quoi les dépensez-vous ? Cette jeunesse avide de se sacrifier, quel but avez-vous offert à son dévouement magnanime ? L’égorgement mutuel de ces jeunes héros ! La guerre européenne, cette mêlée sacrilège, qui offre le spectacle d’une Europe démente, montant sur le bûcher et se déchirant de ses mains, comme Hercule !

Ainsi, les trois plus grands peuples d’Occident, les gardiens de la civilisation, s’acharnent à leur ruine, et appellent à la rescousse les Cosaques, les Turcs, les Japonais, les Cinghalais, les Soudanais, les Sénégalais, les Marocains, les Égyptiens, les Sikhs et les Cipayes, les barbares du pôle et ceux de l’équateur, le âmes et les peaux de toutes les couleurs ! On dirait l’empire romain au temps de la Tétrarchie, faisant appel, pour s’entredévorer, aux hordes de tout l’univers !… Notre civilisation est-elle donc si solide que vous ne craigniez pas d’ébranler ses piliers ? Est-ce que vous ne voyez pas que si une seule colonne est ruinée, tout s’écroule sur vous ? Était-il impossible d’arriver, entre vous, sinon à vous aimer, du moins à supporter, chacun, les grandes vertus et les grands vices de l’autre ? Et n’auriez-vous pas dû vous appliquer à résoudre dans un esprit de paix (vous ne l’avez même pas, sincèrement, tenté), les questions qui vous divisaient, — celle des peuples annexés contre leur volonté, — et la répartition équitable entre vous du travail fécond et des richesses du monde ? Faut-il que le plus fort rêve perpétuellement de faire peser sur les autres son ombre orgueilleuse, et que les autres perpétuellement s’unissent pour l’abattre ? À ce jeu puéril et sanglant, où les partenaires changent de place tous les siècles, n’y aura-t-il jamais de fin, jusqu’à l’épuisement total de l’humanité ?

Ces guerres, je le sais, les chefs d’États qui en sont les auteurs criminels n’osent en accepter la responsabilité ; chacun s’efforce sournoisement d’en rejeter la charge sur l’adversaire. Et les peuples qui suivent, dociles, se résignent en disant qu’une puissance plus grande que les hommes a tout conduit. On entend, une fois de plus, le refrain séculaire : « Fatalité de la guerre, plus forte que toute volonté », — le vieux refrain des troupeaux, qui font de leur faiblesse un dieu, et qui l’adorent. Les hommes ont inventé le destin, afin de lui attribuer les désordres de l’univers, qu’ils ont pour devoir de gouverner. Point de fatalité ! La fatalité, c’est ce que nous voulons. Et c’est aussi, plus souvent, ce que nous ne voulons pas assez. Qu’en ce moment, chacun de nous fasse son mea culpa ! Cette élite intellectuelle, ces Églises, ces partis ouvriers, n’ont pas voulu la guerre… Soit !… Qu’ont-ils fait pour l’empêcher ? Que font-ils pour l’atténuer ? Ils attisent l’incendie. Chacun y porte son fagot.

Le trait le plus frappant de cette monstrueuse épopée, le fait sans précédent est, dans chacune des nations en guerre, l’unanimité pour la guerre."

Lisons ce texte entièrement par ici...

 

(Mais si Rolland s'élève avec sa révolte, il chute avec son espérance candide d'un comité de probité morale international. Nous savons bien, nous, en 2021, qu'un tel comité ne serait-qu'une tartufferie... Enfin, Au-dessus de la mêlée demeure une grande envolée de la conscience, loin au-dessus des polémiques et des accusations sempiternelles des camps opposés).

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