Seul dans le grand monde (lundi, 11 décembre 2017)
Tu riais et nous riions tous avec toi dans ces moments là, les verres au bout des mains, sous les lustres des grands salons, tu brillais et ta voix éclairait nos soirées. Tu arrivais toujours en retard, beaucoup de regards se réchauffaient en se tournant vers toi. Tu blaguais et nous repartions détendus de t’avoir entendus. Lorsque j’ai appris ta mort, je n’ai pas compris comment un tel épisode avait été rendu possible, non pas cette mort, mais la découverte de ton corps six jours plus tard.
- C’est courant, m’affirma mon ami policier.
Il a fallu six jours pour que l’on s’angoisse de ta disparition, pour que quelqu’un se rende compte que tu ne répondais pas au téléphone, que tu n’allais plus au bar sans nom, que tu ne publiais plus tes humeurs sur ton blog.
- C’est courant.
Pourtant, je n’aurais pas cru que cela arriverait à un être apprécié de nombreuses personnes, souvent vu en pleine compagnie, riant, parlant, répondant à brûle-pourpoint, débouchant les bouteilles, donnant des rendez-vous, invitant à déguster tes « tartes de ma grand-mère ».
Ta grand-mère est partie depuis bien longtemps. Tes parents, tu ne les voyais vraiment pas souvent. Ton frère ne répondait pas à tes mails.
Tes deux sœurs te téléphonaient pour ton anniversaire et le jour de l’an.
Tes nombreux amis te voyaient chacun trois ou quatre fois par mois.
Tes confrères et consœurs te rencontraient régulièrement, sous les lustres des grands salons.
C'est toi qui animait l'annuel dîner des voisins de ton immeuble.
Ton agonie a duré vraisemblablement deux jours.
Il y avait deux cents personnes à ton enterrement.
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