La nudité (vendredi, 02 octobre 2015)

 

Il m'est devenu difficile de m'exprimer depuis que je suis très heureuse. Les secondes passent, mon bien-être varie mais demeure et se déploie. Les perceptions agréables et les sentiments de bonheur se succèdent et ne se ressemblent jamais comme deux gouttes d'eau. J'ai perdu toutes les motivations qui me tenaient et me tenaillaient auparavant : réussir aux yeux des autres, cacher ma honte, ne pas montrer mes failles réelles. Ces motivations occupaient la plus grande partie de ma vie mentale et de mes actions quotidiennes. Depuis que mon bonheur les a chassées, une certaine indécision habite les instants de ma vie, une indécision douce, agréable, comme un vent tiède qui soudain souffle sur notre visage et suspend quelque temps l'activité en cours. J'éprouve tant de plaisir que les quelques sensations d'inconfort qui font effraction dans ma vie, par l'effet de surprise et de changement, deviennent eux-aussi source de plaisir ! Aussi, des jours entiers passent sans que je me départe d'une bienheureuse joie d'être vivante et de ressentir ce que je ressens.

Ce bonheur n'affecte pas que ma vie sensorielle : mes pensées, devenues à la fois plus structurées et plus délicates, m'apportent des satisfactions intéressantes ; elles sont suivies par des plages de silence mental au sein duquel ma concentration physique naît. Alors, j'accomplis les tâches nécessaires avec une sérénité fluviale.

Que m'apporte ce bonheur ? Une décontraction agréable, une concentration efficace, une énergie éclatante, ainsi que la possibilité de tenir ma parole, vis-à-vis de moi-même comme vis-à-vis des autres. Les séquences de vie défilent comme un film mais j'y ressens vibrer chaque parcelle de ma chair, je suis le poisson dans l'eau, je suis l'eau pleine de poissons.

À chaque instant, les sirènes du malheur chantent leur envoûtante mélopée. Elles veulent que je les rejoigne, elles ne supportent pas d'avoir été quittées.

Je l'avoue, mon bonheur est si grand, si beau, si pur que son immensité parfois m'effraye : alors les tentacules de la douleur chronique deviennent si tentantes que je ne sais même pas comment ne pas succomber à leurs désirs d'étreintes.

Pourquoi toujours la souffrance me tente comme le serpent tenta Eve au paradis ?  Ne sais-je plus qui je suis dans cette vie transformée en fontaine de bonheur, de joie et de beauté ?

 

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