Sagesse des vélos de nuit (lundi, 05 mai 2014)
Il est dix heures et le bleu nuit vire au noir ; l'air est frais ce soir des premiers jours de mai. La sortie du métro Robespierre (ce doux agneau) m'offre un vent si doux que je voudrais le caresser. Mais c'est lui qui me caresse et me pousse à prolonger mes pas au-delà de l'immeuble qui m'appelle ; là où, depuis une loggia de béton, des adolescents fument et rient et partagent des rêves qui leur paraîtront brume demain. Mais demain n'est pas là ; c'est ce soir qui s'étire et qui chante un air presque tendre. Mon cœur sourit. Tout à l'heure, le sourire du frère appuyé contre la fenêtre a effacé la zizanie des compères hirsutes. Je marche alors que la ville de Montreuil-sous-bois (quel bois ?) s'enfonce dans la nuit. Les réverbères diffusent cette lumière orange que nos enfants peut-être ne connaîtront plus : la nuit des années 1980, la nuit des années 2000, cette nuit orange qui accompagne nos peurs urbaines et nos joies festives. Je tourne et opère un détour pour entrer par l'autre chemin, celui que je n'ai jamais pris. Je croise des grilles étranges qui nous séparent des parias, apartheid des villes françaises modernes, et je me glisse sous des colonnades de porches carrés comme des maisons dessinées par des enfants. Et c'est amusant comme il ressemble à l'enfant sage, ce vélo posé là qui attend je ne sais quoi dans une solitude à moitié réelle. Je m'immisce soudain au fond de son âme et j'expérimente la sagesse des vélos de nuit.
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