Princesse est née dans la vallée de Sost (vendredi, 01 mars 2013)

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Les premiers signes transparurent lorsque durant toute une semaine Princesse engagea une sorte d’étrange dialogue avec la nuit, fixant la lune et hurlant d’une voix qui n’avait plus les accents du bel canto.

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Un texte de Jean-Pierre Liénard

Dans la vallée de Sost, dans le beau pays des Pyrénées, le troisième jour du mois de janvier de la troisième année du nouveau siècle, vint au monde une Princesse. Ceci est l’histoire de son passage sur la terre des hommes et des animaux.

 

Le nom mentionné dans l’acte de naissance est mystérieux, et constitue une autre manifestation de la propension de certains à succomber à la mode des noms exotiques. Il faut ici en passer par une recherche linguistique pour en trouver l’origine dans un dictionnaire des langues bantoues d’un certain pays d’Afrique, en l’occurrence un verbe désignant l’action de jouer.

 

Celle qui deviendra beaucoup plus tard notre bonne princesse fut adoptée à l’âge de quelques jours par la compagne d’un berger, une personne savante qui étudiait avec opiniâtreté et détermination l’art de soulager les maux de toutes natures qui affectent les humains. Tous deux eurent tôt fait de la rebaptiser d’un nom moins intriguant quoique peu pyrénéen. Ces proches témoins sont hélas peu diserts en anecdotes sur la prime enfance de notre princesse. Il nous faudrait en appeler au talent qui habite les poètes et les conteurs, les peintres et les musiciens pour imaginer sa découverte du monde et de ses habitants, et pouvoir décrire par le menu ses premiers apprentissages, ses jeux favoris, ses surprises et ses peurs. Il reste de façon certaine qu’elle fut élevée à la campagne, dans la proximité des animaux de la ferme, au pays que dessine le plateau de Lannemezan. Il est également sûr qu’elle eut une compagne d’enfance de proche lignée, belle enfant plus âgée qu’elle, baptisée du nom de Belle. Celle-ci disparut malheureusement quelques mois plus tard, atteinte par un mal, un haut mal qui touche aux viscères. Et l’on peut imaginer que son activité de fermière et de gardienne de bassecour aida la Princesse à faire le deuil de son ainée Belle. Quand sa maitresse d’adoption, contrainte et forcée d’exercer son métier de guérisseuse loin des pays de montagne, abandonna le berger et leur Princesse, vint une nouvelle maîtresse prendre le relai dans la demeure du berger. De cette époque, le narrateur ne dispose que de rares anecdotes propres à alimenter la chronique princière. Mais il nous revient en mémoire au moins le récit de certain mystère autour de sa santé puis de son élucidation. Inquiets des signes manifestes d’amaigrissement de leur enfant, ses parents d’adoption optèrent pour une stratégie de surveillance à son insu. Quelle ne fut alors leur surprise quand ils découvrirent que la naïve se faisait dérober une bonne part de son panier quotidien par un hérisson d’une taille exceptionnelle (aux dires du maître). Car toute occupée à l’apprentissage de la science ancestrale de la pharmacopée (un savoir qui l’accompagnera toute sa vie durant, et nous-mêmes la surprîmes souvent à rechercher certaines herbes aux vertus curatives), la belle enfant en délaissait ses provisions de bouche et en abandonnait l’usufruit aux êtres qui peuplent la nature. Décidément douée pour les sciences naturelles, Princesse ne se faisait pas beaucoup prier par exemple, quand son maitre l’invitait à « aller aux champignons » dans les sous-bois du pays de Comminges. C’est ainsi qu’au fil de ces années d’enfance et d’adolescence, notre héroïne acquit une inébranlable confiance en elle, affichant une haute taille et une force exceptionnelle. Ne se déparant jamais de son manteau d’hermine, de son panache et de ses pendentifs, elle devint la belle Princesse dont l’image est désormais à jamais fixée dans la mémoire de tous ceux qui la connurent.

 Loin des montagnes, il se trouva que l’ancienne maitresse, partie parachever l’apprentissage de sa science aux universités de la grande ville, contracta un mal, un haut mal qui affecte le corps et ses fluides. Les remèdes décidés par les savants que l’on ne trouve que dans la grande ville vinrent à bout du mal, en échange d’une chevelure. C’est à cette époque troublée et angoissante que l’ancienne maitresse proposa au narrateur de cette chronique de l’accompagner aux Pyrénées, afin de revoir le berger et sa nouvelle compagne, et de retrouver sa Princesse.

 C’est ainsi qu’eut lieu notre rencontre. Et comme dans les plus belles histoires, elle commença de façon inattendue, une manière de rebondissement qui ne laissait alors aucunement présager ce qu’il advint plus tard. Arrivée devant la porte de la demeure, la bonne maitresse revenue sur les traces de son passé ne fut pas reconnue de prime abord par la Princesse !Qu’il s’agisse de l’absence de chevelure, ou d’effluves inédits liés aux remèdes reçus à la ville, ou d’une manifestation de rancune, nul n’approfondit véritablement les raisons pour lesquelles Princesse refusa de fêter ces retrouvailles, et telle une sauvageonne rétive et rebutée par toute familiarité, fit mine d’ignorer le retour au pays de sa prodigue maitresse. Et le narrateur, s’avançant avec assurance et bravoure pour proposer sa médiation se fit pincer, sans effusion de sang, disons plutôt « serrer la main », comme le docteur Binet se faisait griffer par Victor, l’enfant sauvage d’Aveyron !

 Telle et ainsi fut notre première rencontre.

 Il convenait donc de dépasser l’appréhension générée par ce premier abord décevant. Peu après, dans les quelques jours que dura cette ambassade, Princesse accepta une promenade au marché de Montréjeau. Il nous souvient de l’impression de force qu’elle donnait, le tirant si fort par la main qu’il se sentit peser autant que plume et bien moins que chair et os. Le narrateur se souvient aussi du regard inquiétant, aussi profond que les âges auxquels remontent les lignées de Princesse, un regard de louve dominant les meutes. Peu encline à recevoir les avances de prétendants, peu sensible à la flatterie, elle affichait des manières de coureur des bois, lançait aux alentours ses chants rauques de chamane, ne s’interrompant que pour boire force rasades d’eau de pluie à même un vase de pierre, sans tenir grand compte de la faune d’insectes qui y fourmillait. Pourtant, dans les jours qui suivirent, les relations vinrent à s’améliorer et Princesse autorisa qu’on l’approche, et même que notre main la touche jusqu’à oser une caresse. La brève durée de cette première rencontre ne suffit cependant pas pour apprivoiser la belle. De courtes visites s’échelonnèrent sur plusieurs années, alors que la famille de Princesse quittait sa ferme de Lannemezan pour un large domaine près de la ville de Villeneuve.

 Nous la revîmes alors, qui régnait sur ce flanc de colline faisant face à la chaine des Pyrénées. Ses maîtres avaient adopté un fringuant adolescent de lignée roturière, diplômé de l’école de chasse et doté de qualités physiques exceptionnelles, particulièrement doué pour la course. Princesse, plus âgée que ce remuant jeune homme, n’eut guère d’efforts à faire pour s’imposer, car sa prestance suffisait d’emblée à exprimer le respect qui lui était dû. Il fallait voir comment gravitait ce jeune monsieur de Beagle autour de la belle, dans une ambiance de jeux courtois comme il s’en pratiquait aux époques de la chevalerie. Lors des courtes visites que nous rendîmes avec son ancienne maitresse, Princesse aimait nous accompagner tout en haut du domaine, par delà les abris des volatiles de toutes plumes, par delà le potager, jusqu’au sous-bois d’où l’on dominait le pays qui s’étend jusqu’à la ligne bleue des pics pyrénéens. Nous étions désormais devenus familiers l’un à l’autre.

 C’est à cette époque que Princesse connut quelques années de disgrâce. La rumeur mal intentionnée l’accusait de chanter à tue-tête, plus fort que le chasseur. Nous concèderons à la vérité que notre Princesse ne se départit jamais de sa forte appétence de l’exercice du chant. Sans volonté aucune de rabaisser ses dons en nous référant à un outil quelque peu rudimentaire, nous pourrions qualifier sa manie de « wouwouzélée ».

 Or les manants du voisinage à l’origine de la cabbale, non contents de poser plainte auprès du bailli en charge du comté, entreprirent des actions violentes. Il n’était alors pas rare que l’on trouvât des pierres dans le jardin privé de Princesse. On tient habituellement pour vraisemblable que ces méchants hommes et leurs méchantes commères ont à plusieurs reprises non point seulement menacé mais véritablement attenté à la vie de la noble personne.

 Puis vint le temps où les dissensions éclatèrent dans la maison des maîtres. Dépêché par les autorités, une veille de Noël, le chroniqueur découvrit que le maître, afin de l’éloigner du voisinage et de faire allégeance aux injonctions de la maréchaussée, avait installé sa progéniture dans un lointain hameau bien à l’écart de la grand route, une sorte de froid donjon abandonné et en l’état inhabitable. Princesse, Monsieur de Beagle et la jeune dame qui désormais l’accompagnait, tous trois connurent en cet hiver froid des conditions de vie difficiles, dormant à même la paille et dans l’angoisse d’être privés de pitance. Plus grave encore, on eut pu craindre que toute la fratrie ne ressentît le mal, le haut mal de neurasthénie. Princesse n’eut de cesse alors d’exercer ses talents de chanteuse pour conjurer sa mélancolie.

 L’ancienne maitresse n’avait cependant jamais tenu secret son projet de reprendre son enfant dès que sa situation le permettrait. Un beau jour de printemps, nous décidâmes de proposer au maître des lieux de conduire Princesse en un pays où elle serait définitivement tenue à l’abri des vilains. Un équipage se mit en branle et descendit de la bonne ville de Paris en direction du bourg de Villeneuve. Les maitres acceptèrent mais non point sans amertume. Le transfert eut lieu en chemin, L’ambassade parisienne et la délégation de Villeneuve se rejoignirent en un lieu prémédité afin de procéder au transfert. L’ancien maître cachait mal sa rancune en remettant aux gens de l’ambassade parisienne les oripeaux et le trousseau de Princesse.

 Le convoi lança ses chevaux en direction de la capitale. Princesse n’eut pas envie de chanter. Elle se tenait coite et se laissait bercer par les cahots de la route et la nouveauté de cette expérience. Pour première étape, l’équipage fit halte dans une auberge mise à disposition par les époux Canso, dans la bonne ville de Bagnères. Cette nuit là, Princesse ressentit le mal, le haut mal qui affecte les déracinés. Car après tant de nuits passées sur la paille, le confort et l’aspect neuf de ce logis d’emprunt ne l’autorisèrent pas à trouver le repos du voyageur. Après s’être vus offrir quelques victuailles, armés d’une botte d’oignons et de kilos de pommes de terre, l’équipage reprit la route en direction de la capitale. La vérité requiert de ne point exagérer le confort de l’équipage, mais Princesse n’eut cure de l’étroitesse de l’espace étriqué de l’habitacle. De fait il est remarquable de constater combien Princesse montra de courage à affronter l’inconnu de sa destination.

 Car on ne l’avait point mise au courant. Si loin de ses racines pyrénéennes, on eut pu croire que la belle personne souffrirait du mal, du haut mal qui affecte les exilés définitifs. Toutefois, elle s’habitua assez vite à sa nouvelle vie. Une vie partagée entre la grande ville et la campagne du Perche.

 Il me souvient avec émotion des habitudes prises par Princesse dans la capitale, à commencer par ce comportement rétif à la technologie qui imprègne si profondément le mode de vie dans les grandes cités. Notre demeure en ville se situant dans les hauteurs, mais bénéficiant du confort d’un élévateur, jamais cependant elle ne consentit à s’y rendre autrement qu’en grimpant quatre étages d’escaliers. Et son empressement à se rendre dans la rue fit qu’à force de dévaler les marches, elle fit parfois quelques glissades sur les fesses. Désormais loin de son occupation de fermière, elle se consacra à une activité sociale, s’arrêtant pour requinquer le moral de petites mamies attirées par sa belle robe (mais que pourrait bien habiller une princesse d’autre qu’une belle robe ?) et ne se départissant jamais d’une sociabilité et d’une humeur égale. Nombre de commerces et d’échoppes de marché se souviennent de sa prestance (comme en attesteront par la suite leurs témoignages). A la ville elle sut réfréner son irrépressible besoin de chanter et prit bien plutôt à cœur ce rôle social auprès des vieilles personnes, ne laissant transparaître qu’à de très rares occasions ses manières autoritaires de louve alpha.

 Nous passâmes également de longues journées, durant quelques saisons, à choisir et marquer peu à peu nos chemins favoris dans la campagne du Perche, en particulier ces promenades autour de l’étang (que nous renommerons Lac dans une volonté assumée d’embellissement de l’Histoire). Là nous aimions nous consacrer à l’observation de la nature, qu’il s’agisse des réunions de familles de multiples volatiles migrateurs, d’une compétition de saut en hauteur organisée par les carpes, ou de jeux de glissades de jeunes ragondins sur les mares gelées par l’hiver. Princesse herborisait et nous marchions alors en parfait accord, à la seule réserve que Princesse ne pouvait s’empêcher de passer outre nos remontrances et de s’abreuver à même le Lac, au risque de contracter un mal, quelque haut-mal paraît-il du à la pollution, contre lequel les villageois nous avaient mis en garde. Le soir venu, elle aimait assister à la préparation du repas et se régalait à ouvrir des noix ou à croquer le pain sec. Nous allumions un feu dans la cuisine du manoir de la maitresse, et bien qu’indifférente au froid carrelage, Princesse y faisait sécher ses atours trempés de pluie et maculés de boue percheronne.

 Parfois, aux jours plus cléments, elle étendait sa robe sur la terrasse ou au jardin, et méditait ou sacrifiait à son ancienne passion pour le bel canto, dont les échos franchissaient le mur d’enceinte du manoir et couvraient le babil incessant des hardes de corneilles et des couples de ramiers claquant à grands fracas leurs livres d’images au faîte des grands chênes. A la nuit tombée, avant le coucher, nous aimions nous asseoir côte à côte pour humer l’odeur d’herbe coupée et observer les étoiles. Toujours elle me laissait la prendre par le cou.

 Au jour du Nouvel An, nous l’emmenâmes faire une escapade au nord du nord. Notre projet était de lui montrer la mer, ce dont elle n’avait jamais eue l’occasion près des Pyrénées, durant ses années passées en pays de Lannemezan ou de Comminges. Un jour de ciel « bas et lourd, pesant comme un couvercle » comme l’exprima si bellement un poète maudit, conduite sur la grève par une jeune nièce, elle fut bel et bien décontenancée par l’étendue grise et peut-être ressentit-elle de la crainte face à l’idée d’infini, comme un niçois peut être pris d’oppressement perdu dans la baie de Somme. Pour la première fois, mal assurée, presqu’apeurée. Mais elle accepta de bonne grâce l’invitation de notre jeune cousine à une courte galopade sur le sable durci.

 Nous ne savions pas alors que cet hiver serait le dernier. Les premiers signes transparurent lorsque durant toute une semaine Princesse engagea une sorte d’étrange dialogue avec la nuit, fixant la lune et hurlant d’une voix qui n’avait plus les accents du bel canto. Au début du printemps, elle ressentit les atteintes d’un mal, un haut-mal mystérieux qui affecte les viscères. Et ce fut triste de la voir perdre l’appétit et le goût des promenades. Elle fut examinée à la ville. Le diagnostic tomba comme un couperet : un bien haut-mal. Une accalmie artificielle due aux remèdes de surface permit qu’elle se sentît mieux et retrouvât quelque plaisir en croquant de petits morceaux d’un pain des contrées boréales. Mais le rythme accompagnant nos désormais lentes pérégrinations tenait plus de la samba triste que de la polka. Elle se réfugia dans une attitude de renoncement, se tenant à l’écart et coite, tout en s’en remettant à nos soins attentifs. Au terme d’une longue agonie, une brève expression de reconnaissance de notre présence interrompit brièvement les assauts de la souffrance. Puis elle nous quitta et ce fut, pour nous et pour la maîtresse, durant tous les jours qui suivirent, comme si le monde s’assombrissait, puisque désormais privé de sa mante et de son panache d’hermine.

 Quelques traces subsistent de son passage sur notre terre. Quelques flocons chus de son manteau parsèment sans doute encore nos anciens chemins favoris. Quelques vieilles personnes, êtres perclus de solitudes citadines, gardent mémoire de leur rencontre avec notre amie qui n’hésitait pas à leur prodiguer chaleur et tendresse généreuse. Il nous reste quelques images saisies par l’appareil photo et l’écho qui les accompagne. La résurgence de son odeur campagnarde conservée dans un bout d’étoffe ou quelque couverte. Le souvenir de scènes d’une joie enfantine quand nous satisfaisions ses requêtes. Celui de son enthousiasme et de ses courses précipitées quand nous l’appelions pour aller en balade. Ses marques de surprises. Sa façon de manifester son affection quand, revenue de la campagne avec sa maîtresse, un peu essoufflée par l’escalier menant au logis, elle venait poser sa tête contre notre poitrine et que nous restions ainsi longuement unis. Toutes ces images sont désormais gravées, sauvegardées dans nos mémoires. Puissent-elles éclairer le reste de notre chemin.

 Jean-Pierre Liénard

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