La Brière, terre de misère dans une langue de toute beauté (dimanche, 25 septembre 2011)

 

A mi chemin entre la langue paysanne de Jean Giono et la verve populaire de Louis Ferdinand Céline il y a le style d'Alphonse de Chateaubriant. Auteur maudit s'il en est, il n'est plus beaucoup lu, encore qu'il paraît que ses livres sont recherchés par d'improbables amateurs... Voici un extrait du premier chapitre du roman La Brière, publié en 1923 :

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Les sacs, la vergue, la voile, tout se qui se détachait du corps de la barque, il l'emporta sur son épaule, en plusieurs tours, jusqu'à l'annexe de l'auberge qui se trouvait à l'entrée du pont. Cela fait, il entra dans la salle, selon son habitude, à chacun de ses retours annuels, de s'arrêter dans ce cabaret boire le coup de l'atterrissage, avant de faire les lieues qui le séparaient de son île.
La salle était vide. Il s'attabla. C'était toujours à la même place – la quarantième fois depuis quarante ans – près de la fenêtre, d'où l'on avait vue sur les prairies comme d'une passerelle de navire.
Le dos tourné à l'arrière-cuisine, lorsqu'il eut devant lui son petit verre de muscadet, d'où se dégageait une colonne d'air comme les perles du nez de la carpe, il attira sa bourse de cuir, et étala sa monnaie, les sous avec les sous, les francs avec les francs, car c'était son habitude encore de trier et de recompter là son argent.

Quant aux billets, il les examinait séparément, chacun lui revenant avec son origine, grâce à sa luronne de mémoire : celui-ci, d'une blanchisseuse de la Madeleine ; cet autre, d'un marchand de cirés de la butte Sainte-Anne ; et tous les suivants aussi bien, revoyant même le jour, l'heure et le lieu de la vente. Et de ces papiers, il faisait une souple liasse qui chantait comme la soie dans sa grande main noire.

« Cent cinquante francs de moins que l'année dernière ; deux cent vingt francs de moins que l'année précédente ; quatre cents francs de moins que la troisième d'avant ! »

« Brière, terre de misère..., c'est donc ainsi qu'il faudra te parler ! »

 

Alphonse de Chateaubriant

 

La Brière, sur Une bibliothèque au 13

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