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Solo chorégraphique de Parker William, 2039
(La photo est de Stella Mar :
Instance. À 37 minutes, 35 secondes, le danseur Parker William prend la pose avant d’entamer le troisième acte de son spectacle. Dans quelques minutes, les premiers cœurs s’arrêteront...)
Parker William, affectueusement surnommé le Corn Flake par ses admirateurs du monde entier, vient d’offrir au plurimillénaire art de la danse une révolution. Sa dernière création, Latitude 1025, vent 130, dépasse tout ce qui a jamais pu être accompli, sur le plan chorégraphique. Il s’est produit dans plusieurs grandes villes d’Europe et s’embarquera à la fin de l’année pour le satellite artificiel Race, où un public avide l’attend.
Le scénario de Latitude, s’il y en a un, est faible et immense : la solitude du dernier homme d’une armée massacrée par l’ennemi. De la masse inerte et sanglante des corps tués un être se relève et entre en danse comme on entre en transe. C’est tout le sujet de Latitude et cela suffit pour nous éblouir, presque deux heures durant. Car la technique et la grâce, chez Parker William, s’épousent en noces parfaites.
Frappante est l’enivrante liberté du corps de Parker William, le long de ce solo de plus d’une heure et demi. Scotchés sur leurs fauteuils, les spectateurs ne font plus qu’un avec le corps du Corn Flake, qui anéantit tout ce qu’il y a d’autre dans la salle. Plus rien n’a lieu, plus rien n’existe, hors un danseur en folie dans le vide sidéral. A chaque représentation, des spectateurs meurent, sidérés par le vide. La géométrie parfaite des mouvements du tronc fascine, la fulgurance rebelle des bras et des jambes interpelle, voire choque. L’expression du visage du Corn Flake ne reflète rien d’autre que l’envers de la concentration. On sent que le vrai regard est tourné sur l’action intérieure de danser. Il ne nous reste, à nous, que le regard vide du survivant, du soldat qui se souvient d’une mère et qui pleure trop de frères - tous ses frères.
La vidéo projetée sur le mur devant lequel la danse a lieu est tirée du film de Sergueï Bondartchouk, Guerre et Paix - une interprétation de la fresque alexandro-napoléonienne de Tolstoï.
La musique, elle, fut composée par Monk David juste avant son entrée chez les Frères Suiveurs du Prêtre Jean. C’était un adieu en musique au monde séculier, plus qu’une salutation d’entrée au monde monastique qu’il embrassait. Quelle déchirure dans cette composition musicale entièrement électronique, mais si palpable, si frémissante qu’elle fait penser aux cris des dauphins et aux premières musiques créées sur cette terre par les humains, il y a si longtemps. Les électrovoix et les électroviolons rivalisent pour donner des frissons et le corps de Parker William les survole comme un ange joue avec les flammes et les nuages, au milieu de l’apocalypse.
Latitude 1025, vent 130, est une réflexion charnelle, mais aérienne, sur le corps et l’âme, la solitude et le vide, le néant, la vie et la mort qui l’avale. D’aucuns, en manque de petite morale de quatre sous, crient déjà au scandale et au crime en raison des arrêts cardiaques et apnées prolongées que la danse du Corn Flake provoque sur le publics. 17 personnes sont mortes, 120 sont hospitalisées, parmi lesquelles 30 dans un coma profond suite à une apnée. Notre point de vue à nous, est sans équivoque. Peut-on empêcher l’art de faire son travail sur les êtres ?
Edith de Cornulier-Lucinière, 2039-40