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Ô bourgeois, d'où viens-tu, où vas-tu, est-ce que tu existes encore ?

Ci-suit un texte de Régine Pernoud, tiré de son Histoire de la bourgeoisie en France, datant de 1960 (l'ouverture du premier chapitre en fait).

Mais auparavant, voici la liste des billets de ce blog s'intéressant à cet être insaisissable, envié, haï, qui souvent ne se reconnaît pas lui même, le bourgeois.

Le bourgeois à travers des billets almasororiens :

Puissance et décadence de la bourgeoisie

1007-2007 : La fortune d'un mot

Nos ennemis

Les quartiers populaires

L'occident et l'amour

Bourg choisi

Caste, classe : le théâtre de la distinction sociale

Le monde des lettres françaises au XIXème siècle, décrit par Romain Rolland

Vanité des arts, vides esthétiques, vacuité des audiences

Nouveau message de Siobhan

A propos d'Hommes sans mères, de Mingarelli

La triste et tendre vie de Franz Schubert

Calme, calme, calme à Zurich

Sur la monarchie de Juillet

Lorenzo

Pour Milo : un conte de 1891

Êtes-vous voltairien ?

Ultra-conservateurs et ultra-libérés, vos enfants ne connaissent-ils pas la misère intérieure ?

Les oiseaux de passage

Fleuve littéraire, tu nous emportes

L'art de boire des vins

Les italiennes

Apéro-dînatoire chez les voisins

Soir bleu d'Hopper

Jules Vallès : saisissant portrait par René Lalou

Le choléra de 1832 à Paris

La recherche de l'absolu et son inversion contemporaine

 

Ainsi débute le premier chapitre de L'histoire de la bourgeoisie en France, de Régine Pernoud :

« C'est dans une charte de l'an 1007 qu'apparaît pour la première fois le mot : bourgeois, burgensis, promis à une si étonnante fortune. Ce terme qui deviendra typiquement français, au point que ses traductions dans les langues étrangères ne seront jamais qu'approximatives (l'Allemand Sombart dut se résigner à intituler Der Bourgeois sont étude sur le sujet) a une racine germanique. Durant le Haut Moyen Âge, le burg, c'est le lieu fortifié, et de là vient burgensis, celui qui habite un burg, une place forte ; mais déjà au XI°siècle, le burgensis, bourgeois, n'est plus que : l'habitant de la ville, et la ville n'est plus nécessairement un lieu fortifié. Le terme a pris les deux sens qui lui seront conservés dans notre langue : celui de cité fortifiée ou au contraire de groupe d'habitations situées en dehors des remparts, - autant dire qu'il désigne déjà ce que le français bourg devait désigner par la suite : une agglomération urbaine, petite ville ou gros village, un faubourg.

Il est curieux de pouvoir ainsi assigner une date de naissance à un mot dont l'évolution devait être par la suite à la fois si riche et si troublée, au point que ses définitions retiennent aujourd'hui l'attention des sociologues et des historiens et que des études entières lui sont consacrées. Cette date n'est évidemment fixée que de façon très provisoire et selon l'état actuel de la documentation ; la découverte d'actes plus anciens peut la faire reculer. Ce n'en est pas moins, à quelques années près, un jalon dans notre histoire sociale. Elle est contenue dans une charte émanant du comte d'Anjou Foulques Nerra qui, en l'an 1007, établit un « bourg franc » auprès de l'abbaye de Beaulieu, près de Loches ; cela signifie qu'il déclare inviolable un territoire défini aux confins de cette abbaye, qu'il affranchit ses habitants de toute servitude, interdit à l'abbé de les soumettre à une taille, c'est-à-dire à un impôt quelconque, et fixe d'autre part les amendes qu'encourent les habitants de ce bourg s'ils viennent à s'insurger ; c'est dans ce dernier paragraphe qu'il est question des bourgeois : « Si contra monachos burgenses insurrexint..., si les bourgeois s'attaquent aux moines ou à leurs serviteurs et s'emparent de leurs biens, ils paieront une amende de soixante livres ». (Note : cité par Henri Pirenne dans son étude : Villes et Institutions urbaines)

Ainsi, la première fois que le bourgeois fait irruption dans un texte, ce texte est destiné à prendre des garanties contre lui : « « Si contra monachos burgenses insurrexint..., si les bourgeois s'insurgent contre les moines ». Visiblement, on ne le considère pas sans méfiance, et l'on prévient des réactions violentes de sa part. Sans vouloir forcer les conclusions, il faut bien admettre que l'arrivée dans la société féodale d'un être dont le mode de vie tranchait sur ce que l'on connaissait alors ne pouvait que poser des problèmes. L'histoire de la bourgeoisie à son origine est fait précisément des solutions diverses qu'on a données à ces problèmes.

Ceux qui comptaient mettre à profit les bonnes dispositions du comte d'Anjou et devenir « bourgeois » de Beaulieu, qui étaient-ils ? Que voulaient-ils ? Et pourquoi les menaçait-on d'une amende au cas où ils s'insurgeraient ? Nous avons vu le cas d'un Godric quittant la maison et la terre paternelles pour gagner sa vie dans le commerce, celui d'un Lanstier d'Arras, primitivement attaché à l'abbaye de Saint-Vaast, faisant des opérations pour son propre compte ; combien d'autres, à leur exemple, ont cherché en cette époque de forte natalité à gagner leur vie autrement que par le travail de la terre, soit en exerçant un métier, soit en vivant de l'échange et non de la production directe. Tous ces êtres, quels qu'ils fussent, avaient un trait commun : leur place n'était plus, ne pouvait plus être sur le domaine seigneurial où leurs parents avaient vécu, où eux-mêmes étaient nés. C'est à leur intention, par eux, ou en tout cas pour eux que se créaient les « bourgs francs ». Avec eux s'instaurait une économie nouvelle, différente de l'économie domaniale qui caractérise le Haut Moyen Âge et qu'il faut d'abord connaître pour apprécier ce qu'apportait de nouveau l'existence du bourgeois ».

Régine Pernoud, Histoire de la bourgeoisie en France - des origines aux temps modernes. 1960 Editions du Seuil

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samedi, 10 février 2018 | Lien permanent

Le poème ou l'image qui viendra

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Si tu créais un poème ou une image, tu t'interrogerais sur la possibilité de son existence, sur la possibilité de sa puissance, dans la vie d'un enfant de sept ans qui l'entend ou la regarde par un après-midi d'été empli de chaleur et d'ennui.

Dans la vie d'un enfant de dix ans qui regrette ses six ans et voudrait déjà en avoir treize, comme les grands.

Dans la vie d'un collégien qui souffre chaque jour de ses boutons naissants et de son incapacité à être aimé des autres.

Dans la vie d'un lycéen de quinze ou seize ans qui découvre la politique et la paresse, la poésie et la drogue.

Dans la vie d'un cadre des assurances qui paye une pension alimentaire à la mère de ses enfants, et qui ne peut les voir, à regret, qu'un weekend sur deux et la moitié des vacances.

Dans la vie d'une ancienne gérante d'une agence immobilière, au chômage depuis cinq ans, passionnée par l’Égypte ancienne.

Dans la vie d'un homme qui vient d'être nommé directeur de cabinet du ministre de l’Éducation nationale ; il trouve qu'il mériterait une autre femme que celle qu'il a épousée à l'époque où il avait moins de stature ; il n'a jamais oublié qu'on a abandonné son cher Cocard, le labrador, pour partir vivre à Hong-Kong où son père était nommé.

Dans la vie d'une femme à la retraite, qui voudrait changer de club de gymnastique et hésite à partir au bord de la mer durant une semaine l'été prochain.

Dans la vie d'un homme qui a peur d'oublier son propre nom depuis que son neveu ne vient plus le visiter dans la maison de retraite de la ville de Niort.

Dans la vie d'un Tibétain qui vit à Lhasa depuis qu'il a quitté son village natal et qui cherche de nouvelles idées pour développer son petit commerce et embellir sa vitrine.

Dans la vie d'un Rrom qui vit à Arles, au fond d'une impasse, depuis douze ans.

Dans la vie d'un Hindou dont l'appartement offre une très belle vue sur la ville de Bénarès et qui n'a jamais lu la Comédie humaine, de Balzac, dont il possède une édition complète en langue anglaise.

Dans la vie d'un chauffeur de taxi de la ville de Mexico qui collectionne les affiches de concert qu'il décolle dans les rues de la métropole.

Dans la vie d'un paysan de la pampa, qui s'est fait des meubles avec des pneus de voiture et possède un scooter depuis huit mois et demi.

Dans la vie d'un Russe petersbourgeois à la fois nationaliste dur et fou amoureux de la musique de Kino.

Dans la vie d'un Serbe ayant connu l'horreur des bombes de l'OTAN, qui écoute la radio en réparant l'ordinateur de son frère dans le garage.

Dans la vie d'un musulman fondamentaliste, qui se prépare pour la Guerre Sainte contre l'Infidèle.

Dans la vie d'un catholique traditionnaliste qui prie Saint Michel pour le redressement de la France.

Dans la vie d'une carmélite qui pense à sa sœur à l'heure de Laudes ; dans la vie d'un prisonnier coupable de plusieurs crimes crapuleux et qui s'ennuie dans sa cellule et trouve son co-détenu et compagnon de cellule bête comme la mort ; dans la vie d'un physicien qui boit une bière dans un bar de la rue de la Folie-Méricourt, et se demande quelles sont les failles de la théorie des cordes et pourquoi le serveur a changé de coupe de cheveux trois fois ce dernier mois.

Dans la vie d'un balayeur des rues qui sait son geste par cœur et chante en lui-même un chant hongrois dont il a oublié le troisième couplet.

Dans la vie d'un jazzman qui adore sa contrebasse et sa rue sale et bruyante et déteste les beaux quartiers où il a grandi.

Dans la vie d'une femme de ménage heureuse d'avoir obtenu un logement social dans un quartier où les écoles sont propres et bien fréquentées, au bout de sept ans d'attente.

Dans la vie d'un étudiant martiniquais qui hésite entre rejoindre le mouvement indépendantiste ou un parti centriste français.

Au cours de ton temps de création, tu te demanderais, pour chacune de ces personnes imaginaires, si ce poème ou cet image aurait l'heur de lui plaire, de l'intriguer, de l'emporter quelques secondes ou quelques heures dans un rêve. Tu chercherais à trouver la voie qui te paraît la plus propice pour nourrir cet être que tu viens d'imaginer, puis cet autre, puis cet autre encore.

Comment insuffler à ta création la majesté qui impressionnera chacun d'eux, comment la teinter d'une quête clandestine qui les fascinera et parlera à leur force vitale ? Comment créer une forme qui touche chacun d'eux d'une telle manière qu'ils soient un tantinet changés après l'avoir vue ou entendue, regardée ou écoutée ?

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dimanche, 18 mai 2014 | Lien permanent

Santiago Rusiñol, de fantaisie et de lumière

 Voici un savoureux extrait des souvenirs de Léon Daudet, sur le peintre et écrivain catalan Santiago Rusiñol, fils de la fantaisie et de la lumière, en effet.

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« Je veux clore cette rapide revue de quelques artistes contemporains par un fils de la fantaisie et de la lumière, le peintre et dramaturge catalan Santiago Rusiñol, mon très cher ami.

Dès notre première rencontre je l’ai aimé, parce qu’il ressemble à Alphonse Daudet. Même bain de soleil épandu sur le front, le regard et le sourire, avec cette différence que l’éternel cigare de Santiago remplace, au coin des lèvres, l’éternelle petite pipe de mon père. Mêmes cheveux abondants, que partage une raie bien droite. Chez Santiago, ces cheveux sont moins longs et ils commencent à blanchir ferme, mais chez Santiago, comme chez Alphonse Daudet, quelque chose ne vieillit pas : le charme conjugué de la bonté et de la sensibilité, une bonté qui rit, pleure et panse les plaies, une sensibilité frémissante ainsi qu’un bouleau sous un ciel d’orage. La vision morale de Santiago Rusiñol est perpétuellement oscillante entre l’ironie tempérée et les larmes, perpétuellement aimante et déçue. Dans ses Fulls de la vida, qui sont de courtes notes sur les pointes quotidiennes de la vie, les plus aiguës, les plus pénétrantes, il note un croisement de trains, dans une petite gare, entre soldats partant pour la guerre de Cuba et paysans rentrant au logis. Les soldats chantent un chant guerrier, les paysans un chant d’amour. Pendant l’arrêt, ils échangent leurs états d’âme et voilà les soldats qui chantent l’amour et les paysans qui chantent la guerre, tandis que les convois se séparent.

Autre récit : pendant un accès de fièvre, un voyageur, couché dans une chambre d’hôtel humide, interprète les cercles de moisissure du plafond ainsi qu’un merveilleux paysage. Le lendemain, il part. L’année suivante, revenant au même endroit, il demande la même chambre, désireux de retrouver son mirage : « Oh ! monsieur, lui dit fièrement la servante,vous allez être content. Nous avons fait nettoyer le plafond. Il est propre maintenant comme un sou neuf. »

C’est ce que j’ai baptisé l’observation santiaguesque, où il entre beaucoup de la vive manière de Cervantès. Voilà pourquoi le dernier volume de Rusiñol — qui en a écrit une vingtaine et presque autant de pièces de théâtre — le Catalan de la Manche, est un chef-d’œuvre. Mais il faut entendre ce fils génial du terroir et de la fantaisie raconter, comme il sait le faire, en accentuant les finales : « Figoure-toi, Léon, qu’en Espagne, on avait, un moment, la marotte de copier dans l’armée les procédés allemands… Les Allemands coupent les queues des chevaux. Bon, se dirent les officiers de cavalerie espagnols, nous allons couper les queues des nôtres. Oui, mais, mon cher, ils avaient oublié les mouches. De sorte que dans la campagne, après cette belle opération, on ne voyait que des chevaux dressés et crispés comme des hippocampes, parce que, tu comprends, les mouches les mordaient, sans souci des théories allemandes. »

Au sujet d’Ibsen, que Santiago appelle « Ibsain » : « J’ai assisté en Andalousie, à une représentation des Revenants d’Ibsain. C’était en matinée, en juillet. On crevait tellement de chaud que la sueur coulait du col des gens dans leurs pieds. Le soleil était tellement perpendiculaire qu’on croyait que jamais il ne descendrait de là. Au dernier acte, quand le héros d’Ibsain crie avec émerveillement : « Le soleil, mère, le soleil ! » tout le monde a applaudi à outrance, mais chacun pensait à part soi : « Ce n’est pas une chose si rare et on l’a assez vu aujourd’hui, le soleil. »

C’est, sous une forme plaisante, toute la critique de la transplantation des œuvres et du snobisme concomitant.

Revenant d’un voyage en Amérique du Sud, Santiago racontait une chasse aux crocodiles à laquelle on l’avait invité avec insistance, en lui assurant que les crocodiles avaient les pattes trop courtes pour rattraper les humains. On arrive au bord du fleuve. Santiago se met en embuscade et commence à peindre, car il est aussi grand peintre que grand dramaturge et ses Jardins d’Espagne sont célèbres. Le crocodile, écartant les roseaux, montre sa tête triangulaire : « Diable ! crie Santiago à son guide, vous êtes bien sûr que celui-là aussi a les pattes courtes ?… » Il définit les Américains : « une race qui a passé sans transition du perroquet au phonographe ».

Comblé par la nature de tous les dons et, par-dessus le marché, d’une belle fortune, Santiago Rusiñol est indifférent aux avantages que procure l’argent. Il vit en dehors des conventions et des contraintes, sans aucune révolte, mais avec l’amour invincible de sa liberté. L’idée qu’on voudrait la lui enlever le fait rire. Quand quelqu’un ou quelque chose l’ennuie, il s’en va sans se fâcher. À quoi bon se fâcher ? Je ne l’ai jamais vu en colère. Le rhumatisme même excite sa verve : « Si ce cochon-là me nouait les doigts, je peindrais avec mon poignet, s’il me nouait le poignet, avec mon bras. Je ne peindrais plus que des horizons, voilà tout. »

Comme il peint souvent en plein air, à Grenade, à Aranjuez et ailleurs, il est très vite entouré d’enfants, qui sont les moustiques du paysagiste : « Au lieu de les chasser, je leur donne, pour jouer, deux gros tubes de couleur rouge et bleue. Au bout de cinq minutes, ils sont bariolés de rouge et de bleu. Alors leurs mères, avec de grands cris les rappellent, les fessent et m’en débarrassent. »

Avec des amis, peintres comme lui, il a voyagé à petites journées en Espagne, dans deux roulottes, pleines d’objets de ménage. Le jeu consistait à choisir un village bien pauvre, bien dénué, comme il y en a, par exemple, en Estramadure ou dans la Manche, et à ameuter les gens sur la place, en jouant du tambour et de la trompette. Les commères s’approchaient, marchandaient :

— Combien, ce pot à eau ?

— Trente pesetas !

— Trente pesetas, mais vous êtes fous ! Ça ne vaut pas plus de trois pesetas.

— Ah ! vous croyez ! En ce cas, je vous le donne pour rien. Emportez-le, et cette cuvette par-dessus le marché.

Les paysans songeaient : voilà de singuliers commerçants. « Au village suivant, ajoute Santiago, la police nous demandait nos papiers. Quand on donne sa marchandise gratis, on est suspect à la police. »

Une autre fois, Santiago, son ami Utrillo et un autre avaient loué la petite maison du douanier, à l’entrée d’un gros bourg.

Santiago se coiffait de la casquette officielle sur ses cheveux longs, arrêtait les voitures d’huile, prenait une mine sévère : « C’est de l’huile que vous avez là-dedans ? »

— Oui certainement, monsieur, de l’huile. Et je vais acquitter les droits.

— Gardez-vous-en bien. Comme je ne suis pas sûr que ce soit de l’huile, je préfère vous laisser passer sans payer.

— Mais vous n’avez qu’à vous assurer par vous-même que c’est bien de l’huile.

— Oh ! non, je suis trop paresseux. Et puis il est si facile d’imiter l’huile. Passez sans payer. Je vais même faire mieux. Voici pour vous cinq pesetas de la part du gouvernement. »

Le charretier songeait : « Voilà un drôle de douanier. »

Lobre et Santiago villégiaturaient dans un village de l’Île-de-France. Car Santiago est aussi Français, Parisien et même vieux Montmartrois de cœur que Catalan, ce qui n’est pas peu dire. Santiago a une crise de rhumatisme. Le temps étant beau, Lobre, aidé de l’aubergiste, descend le lit, avec Santiago dedans, l’installe au beau milieu de la rue du village. Rassemblement autour de ce monsieur aux longs cheveux, à l’air étranger, qui fume, étendu, un immense cigare. Tout à coup, le monsieur s’assied, cale son oreiller, demande une guitare et se met à jouer une malagueña, puis un fandango, puis une polka : « Ils ont fini par danser autour de moi jusqu’au soir, et je ne m’arrêtais que pour faire ouë ! aïe ! aïe ! à cause de ce satané rhumatisme. Tu te rappelles, Lovre, — Santiago prononce les b comme des v, — quel agréavle après-midi ! »

Les souvenirs épiques de ses séjours à Montmartre, — il habitait à côté du fameux Moulin, — sont consignés dans un ouvrage qui rappelle les Scènes de la vie de Bohème. On peignait toute la journée. Le soir, on allait dîner chez le père Poncier, un caboulot de la place du Tertre, où l’entrecôte Bercy était réconfortante, le vin parfait. C’est un axiome de Rusiñol que « tout ce qui s’appelle Bercy est bon ». Excellent cuisinier, il réussit comme personne l’escoudelia, plat national catalan, analogue à notre pot-au-feu, et le riz à la majorcaine, c’est-à-dire au poisson et au poulet. Ne vous effrayez pas de ce mélange, qui exige seulement le tour de main.

Mais les quelques traits que je viens de rapporter, simples herbes folles dans le champ immense et varié de l’humour du prince des Catalans, ne donnent qu’une idée sommaire et superficielle de ce magnifique esprit. Pour le connaître, il ne faut pas seulement le voir vivre, rire, fumer et l’entendre chanter. Il faut lire ses livres et ses pièces. Il faut regarder ses tableaux.

Santiago Rusiñol, dramaturge et romancier, sait choisir et traiter des sujets conformes à sa nature. Il apporte à ce choix une haute sagesse, une pondération qui est comme l’axe fixe et solide de ses éblouissantes inventions. La Nuit de l’amour, scène tragique et lyrique de la nuit de la Saint-Jean, la Joie qui passe, le Héros, le Patio bleu, la Laide, les Mystiques et tant d’autres œuvres dramatiques, se distinguent de toute la production espagnole contemporaine par une grâce naturelle, une simplicité, une chaleur passionnée et une gaieté mélancolique sans pareilles. D’autres font métier d’écrire. Santiago projette sa personnalité, incorpore le spectacle du monde et s’amuse de ce va-et-vient. Sa vue est saine et directe. Son dialogue, d’une réalité immédiate, fait s’esclaffer un public de paysans comme un public d’artistes raffinés. J’ai prononcé à son sujet le nom de Cervantès, mais il conçoit aussi comme Molière, il ouvre, comme ces deux génies, dans l’amère observation des travers humains, de larges baies d’une irrésistible bouffonnerie. Les vaniteux, les sots, les avares, les hallucinés nous sont restitués fidèlement, exactement et, néanmoins, il flotte au-dessus d’eux une compréhension apitoyée, qui les baigne à la façon d’un clair de lune somptueux et doux. Ils nous apparaissent à la barre du moraliste, environnés, enrichis de toutes les circonstances atténuantes possibles : « Le plus mauvais n’est pas pour bien longtemps sur la terre, Léon, tu sais. » Un mot exprime cela : générosité. La puissance de ce grand créateur, de ce typificateur perpétuel, réside en ceci qu’il est un prodigue, qu’il dépense sans compter la bonne humeur, les belles formules, les chants harmonieux et les appréciations miséricordieuses. Le véritable artiste ne calcule pas. Son existence est un don continu de lui-même.

Le théâtre de Santiago Rusiñol nous montre de préférence « ce monde où l’action n’est pas la sœur du rêve », comme dit Baudelaire. Mus par de nobles sentiments, ses personnages,en voulant reconstruire la société ou réformer les mœurs, ou tout soumettre à une règle stricte, développent du même coup des principes d’erreur en conséquences douloureuses ou réjouissantes. Les zigzags de la volonté humaine à travers les réalités dessinent des figures amusantes, que l’auteur ne laisse presque jamais dégénérer en caricatures. Mais il connaît les pentes humaines, l’accélération des choses, les déformations qu’apportent le temps, les passions, les circonstances. Ainsi s’édifie une œuvre dramatique qui s’impose déjà à l’attention des critiques, qui demain apparaîtra comme la plus importante, la plus nerveuse, la plus nuancée de l’Espagne actuelle. Rusiñol a cet avantage et ce défaut d’écrire directement en catalan, car il est mistralien dans l’âme. Avantage quant à la fraîcheur et à la puissance du style, que ses compatriotes comparent au castillan de Cervantes. Défaut au regard du succès, qui doit ainsi vaincre deux obstacles pour la traduction en castillan, trois obstacles pour la retraduction du castillan en français, ou en italien. Cette œuvre abondante et typique est d’essence latine. Elle ne s’embringue d’aucune des considérations métaphysiques qui obscurcissent, à la façon d’apports étrangers, l’œuvre de José Echegaray par exemple. Ainsi qu’aux arènes, un jour de course, il y a le côté ombre, le côté soleil, les vertus et les vices sont à fleur de peau ; l’on entend les cris aigus des marchands de pâtisserie et la palpitation des éventails accompagne celle des cœurs féminins. Le mélange de l’ironique et du voluptueux est incessant. Imaginez une fille de là-bas, cambrée et solide, aux pieds nus dans la poussière, peau mate, yeux noirs, lèvres rouges, qui rit au soleil sur un pont de Tolède : telle est la muse de Santiago. Élevé librement à la campagne, aux environs de Barcelone, dans la nature chantante et dorée, il a appliqué cette vision pastorale, cette joie du plein air, aux observations complexes et âpres de la société moderne. De là le pincement d’une double corde, donnant à ce qu’il écrit une saveur unique, d’angoisse mêlée à la jouissance.

Ce qu’il peint est beau et profond comme la nuit étoilée de la Vega andalouse. Ses tableaux sont superposables au lyrique de ses drames, de ses contes, de ses romans, mais l’ironie a disparu ; car la nature toute nue n’est jamais ridicule. Un album en couleur de la série des Jardins d’Espagne, publié à Barcelone chez Lopez, avec une rare perfection lithographique, donne une idée de cette féerie de l’œil et de l’imagination.

— Qu’est-ce qui t’amuse le plus, Santiago, écrire ou peindre ?

— Oh ! peindre, Léon, sans comparaison ! Tu comprends que quand tombe le soir et que je suis au Généralife, ma toile devant moi, ma boîte à couleurs à côté de moi, je ne sens point passer les heures. En Andalousie, il y a toujours quelqu’un qui chante sur la route un peu plus loin et, si tard que ce soit, on entend ce chant, repris par un autre, à mesure qu’il se perd dans les ténèbres. Tu penses si je suis content ! Il n’y a que de regarder mes verreries anciennes à Sijers qui me soit aussi agréable. Et puis aussi me promener dans les rues en été à Paris. »

Santiago met trois ou quatre r à rues et à Paris. Il parle le français très bien, très naturellement, comme l’un de nous, mais il dit une « estatue », un « esquelette ». « C’est ce que tu veux » au lieu de : « Qu’est-ce que tu veux. » Quand on soutient devant lui une idée paradoxale ou un jugement qu’il croit faux, il n’insiste pas, il a un geste de la main, très insouciant, très espagnol, et qui signifie : « Après tout, si vous y tenez absolument… », et il ajoute : « C’est ce qu’il dit est bête, et même très bête, mais j’ai pas voulu le contrarier ». Pour signifier la méfiance, il appuie l’index de sa main droite sur la paupière inférieure de l’œil droit et il tire celle-ci en bas légèrement. Ça veut dire : « Attention ! on ne me la fait pas. » Il supporte allègrement qu’on lui conte des blagues, qu’on lui rogne sa part, qu’on le tape d’un billet de cinquante ou de cent francs. Mais il sait parfaitement à quoi s’en tenir sur le farceur, le mauvais camarade ou le tapeur : « Je m’en fiche, ce n’est pas un ami. C’est un type que j’ai seulement rencontré chez Weverre », c’est-à-dire au café Weber, rue Royale. C’est là, en effet, que Santiago a ses habitudes quand il vient à Paris. Le reste du temps, il circule le cigare au bec, les mains dans ses poches, le chapeau aplati d’un coup de main sur l’oreille, fredonnant un air d’Albeniz, de Debussy ou de Bizet ; il circule entre Barcelone, — prononcez Barcelon, — Madrid, Palma de Majorque, Aranjuez et Florence. Et il peint tant qu’il peut : des jardins abandonnés ; des maisons anciennes aux volets fermés depuis des années, pareilles à de vieux secrets que personne ne dérangera plus ; des étangs d’argent et de soie fanée, où somnolent des reflets d’arbres ; des ifs taillés, défilant sous le soleil ou sous la lune, d’un vert profond, abondant, nostalgique, comme l’âme d’une Mauresque exilée et captive à Séville ; des champs de fleurs posées par groupes étincelants, dessinant un écrin éparpillé et rangé sur un tapis somptueux. Il peint les rangées d’arbres en architecte, suivant avec délices les lignes et proportions de la pierre qu’ils ombragent et accompagnent. Il délimite et il donne, en délimitant, le sentiment de l’infini. Il va du précis au rêve, de la chaleur à la fraîcheur, du visible d’une allée au mystère de son prolongement. Il a le choix des couleurs glissantes, fuyantes, ardentes à l’œil, assoupies au souvenir.

Aucun artiste moderne n’a rendu comme lui l’incantation du paysage, ce qu’ajoute à la vie lente et dormante du végétal le passage éphémère et agité de l’homme et de la femme, quand l’homme et la femme s’en sont retirés. Chose étrange, il ne met dans ses tableaux aucun personnage et cependant ils ont l’air peuplés, hantés par la multitude de ceux et de celles qui jouissent de leurs aspects, sans pouvoir les étreindre ni les ravir.

Avant peu d’années, la vogue se mettra

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samedi, 01 mars 2014 | Lien permanent

Ces bêtes qu’on abat : Des animaux qui s’échappent des abattoirs

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Des animaux qui s’échappent des abattoirs

 

 Voici des faits qui se sont déroulés dans le cadre d’abattoirs, et qui méritent une attention particulière. L’histoire, qui commence pour une jument par un départ à l’abattoir, parmi tant d’autres congénères, se termine bien. La jument poulina durant le week-end. Rappelons-nous que j’ai déjà assisté à la naissance de porcelets d’une pauvre coche qui mit au monde ses petits dans une case surchargée d’un abattoir. Je n’avais pu rien faire pour elle, malgré mon appel téléphonique à une SPA. Pour un cheval, un chien, un chat ou un dauphin, les mobilisations sont possibles, mais il en va tout autrement pour les « animaux d’abattoirs » qui ne suscitent guère la même sympathie.

 

L’idée de saleté que les gens associent au cochon, même ceux qui disent aimer et protéger les animaux, ne laisse d’autre place à cet animal, pourtant si intelligent et si attachant, que nos assiettes. L’image véhiculée par les élevages intensifs, avec son lot de pollution des eaux et de la terre, ainsi que de la mer, comme sur les côtes nord de la Bretagne, la pollution olfactive provenant des élevages hideux et concentrationnaires a même fait échouer, par la mobilisation d’habitants, le projet d’un élevage de porcs Bio, près de chez moi en Alsace. Que penser de ces personnes qui sont contre les élevages polluants comme ceux de Bretagne, qui achètent pourtant le produit de cette industrie du mal-être animal, et qui refusent la mise en place d’un élevage plus respectueux des animaux et de l’environnement ?

 

Dernièrement, une jument et son « bébé » ont été sauvés d’un abattoir, tandis qu’il arrive fréquemment que des bovins s’échappent des abattoirs pour sauver leur peau. Dans ce cas, les histoires sont tout aussi touchantes, mais se terminent comme prévu. Une amie me disait qu’il était beau qu'un animal « offre » sa vie pour l’Homme, et que ce dernier pouvait avoir de la gratitude envers l'animal qui s'était offert. Pour moi, comme pour beaucoup de personnes ayant une réflexion avancée sur la question des animaux destinés à finir dans nos assiettes, « aucun animal n'offre sa vie, on la lui prend ! ». Je ne connais pas d'animaux volontaires pour s'offrir en sacrifice lors de l’Aïd-el-kébir, ni même pour aller dans les abattoirs. Ils aspirent, comme nous, à vivre, ils nous font qui plus est confiance ! Voici quelques exemples de bovins qui n’ont pas désiré passer par l’abattoir pour finir dans nos casseroles, mais au contraire ont essayé de prendre le chemin inverse.

 

Un matin, me rendant à mon travail en voiture et passant près d’un abattoir (classé « lanterne rouge » en matière de protection animale), j’ai vu une vache qui courait dans le sens contraire de l’abattoir. Elle s’était échappée, et courait le long d’une piste cyclable. Hélas, je n’ai rien fait pour elle, car à cette époque je n’avais guère réfléchi à la cause des animaux de boucherie, même si, comme beaucoup, je pensais aimer les animaux ! Je les aimais tellement, comme d’autres personnes aujourd’hui qui me disent les aimer, que j’allais jusqu’à y mettre du sel lorsqu’ils étaient dans mon assiette ! Quelle contradiction ! Je n’ai donc rien fait pour cette vache, et aujourd’hui encore, j’en ai des regrets. Si cette situation devait se reproduire, personne ne m’empêcherait de la sauver, pas même les services vétérinaires qui ordonneraient son retour à l’abattoir, puisqu’ils appliqueraient la règle selon laquelle un animal entré en abattoir ne peut en ressortir vivant. Règle qui s’applique différemment suivant que l’on en fait le commerce de boucherie ou non, puisque dans le cadre de mes enquêtes d’abattoirs, j’ai déjà vu des camions de bovins ou de cochons ne décharger qu’une partie des bêtes pour repartir avec le reste du chargement vers d’autres abattoirs. Ce qui est interdit.

 

 L’histoire de la jument et de sa pouliche a paru dans ladépêche.fr, je la reproduis ici avec l’aimable autorisation du journal.


Publié le 09/05/2008 12:00 de Richard Bornia.Lavaur.
Il sauve une jument et sa pouliche de l'abattoir.

Une belle histoire. Elles étaient promises à une mort certaine.

 Leïla, une jument de 5 ans et Malika sa pouliche âgée de 2 semaines paissent tranquillement sous le grand chêne, dans la prairie de Jacques Cany, éleveur de bovins à Lavaur. En toute logique, vous devriez aujourd'hui retrouver Leïla, en tranches et en barquettes dans les rayons d'un hypermarché. Et sa pouliche, euthanasiée, serait déjà transformée en engrais. En effet, quand Leïla franchit la frontière espagnole le 18 avril dernier, son sort est scellé : elle sera abattue à l'abattoir de Narbonne, le jour même. Mais ce jour-là, le planning déborde et Leïla échappe à la mort. On l'abattra après le week-end. Le 21 avril, les saigneurs viennent chercher la bête pour son ultime voyage. Mais Leïla n'est plus seule. Une magnifique pouliche est là, à ses côtés. La jument a mis bas. Les tueurs refusent alors d'abattre la jument. Sa mort signifierait aussi l'euthanasie de la pouliche. « J'ai vu pour la première fois Leïla et sa pouliche Malika le mercredi 23 avril. Je conduis toutes les semaines des bovins à l'abattoir de Narbonne. Les employés refusaient de sacrifier les deux bêtes, je suis allé voir le directeur et je me suis porté acquéreur», explique Jacques Cany. « J'étais révolté. Sacrifier deux bêtes comme ça, une maman avec sa fille, sans défense, m'était insupportable ». La loi est dure, mais c'est la loi. « Tout animal qui rentre vivant dans un abattoir doit en ressortir mort », précisent les textes. « Quand je suis revenu, le 28 avril, les employés étaient tristes, craignant le pire pour la jument et la pouliche». La décision de la direction des services vétérinaires venait de tomber, irrévocable : «Le 5 mai, Leïla sera tuée et Malika euthanasiée ».

 

La SPA de Lézignan est intervenue en vain pour sauver la vie aux animaux. Le sort de Leïla et Malika devient alors une affaire nationale. « À Paris, la SPA fait part de l'histoire à la direction générale de l'alimentation ». L'intervention porte ses fruits. Le ministre de l'agriculture finit par accorder sa grâce. « J'étais chez moi à Lavaur, vendredi dernier, quand on m'a annoncé la bonne nouvelle. J'ai pris le camion et je suis allé les récupérer », raconte Jacques. Après avoir indemnisé l'éleveur espagnol, Jacques est revenu avec ses deux bêtes qu'il a lâchées dans son grand champ, derrière sa maison.

 

« Elles sont encore un peu farouches, il faut leur laisser du temps pour qu'elles sentent qu'on les aime. Mon plaisir, ce sera de les voir grandir. » Jacques au grand cœur a déjà récupéré deux agneaux qu'il nourrit au biberon et compte aussi trois petites chèvres, trois ânes et quatre chevaux. « Ça coûte cher toutes ces bestioles. Mais c'est tellement beau de les voir ainsi, libres et heureuses. »

 

Belle histoire qui finit bien, mais je n’ai encore aujourd’hui toujours pas compris pourquoi ce marchand en bestiaux vend des bovins à l’abattoir, et sauve deux chevaux ? Il serait intéressant de connaître les faits qui sont reprochés aux autres animaux !

 

 

Vaches qui s’échappent

 

Voici maintenant des cas de vaches échappées des abattoirs, et qui ne connaissent pas forcément une fin heureuse.  En août 2008, deux vaches se sont échappées d’un abattoir du Pas-de-Calais lors du déchargement de la bétaillère, on ne sait comment. Probablement appréhendaient-elles la mort. Le lieu, les bruits et les odeurs ne leur laissaient aucun doute. L’une des deux vaches a été rapidement rattrapée, pour être tuée plus tard dans la journée. La deuxième, une charolaise de 600 kilos, qui avait réussi à fuir les tueurs de l’abattoir s’est réfugiée dans une canalisation d’égout de la ville. Elle s’est retrouvée piégée dans un resserrement de canalisations alors qu’elle avait tout de même parcouru 1500 mètres dans le noir. Les services techniques ont tenté de lui faire rebrousser chemin, en envoyant de l’eau dans les différentes canalisations. Il s’agissait de sauver la vache, mais pour mieux la tuer après et éviter ainsi une perte sèche. Les pompiers étaient également de la partie, mais au bout de 36 heures, un vétérinaire a été appelé afin de procéder à une euthanasie. La route a dû être ensuite percée par une entreprise de travaux publics afin de remonter l’animal à l’aide d’une grue.

 

Il arrive parfois que l’échappée d’un bovin se termine également de façon tragique pour un être humain. Ce fut le cas lors d’une fuite, fort compréhensible, d’une vache d’un abattoir de la Côte-Saint-André dans l’Isère. En effet, en 2005 la vache a causé un accident qui a coûté la vie à une jeune femme. La commune, propriétaire de l’abattoir, a été, alors, reconnue responsable par une décision de justice, et condamnée à une forte amende, en plus d’une indemnisation sous forme de dommages et intérêts.

 

Je voudrais relater un autre cas. Une vache qui ne s’était pas résignée à attendre dans le couloir de la mort d’un abattoir s’est échappée avec la force du désespoir, et a fini sa course pour la vie dans le jardin d’une propriété. Elle a bien entendu été rattrapée par les tueurs de l’abattoir, mais les services vétérinaires ayant estimé que l’animal était trop stressé (présentant un pH trop haut, qui aurait altéré la qualité de la viande) ont décidé de reporter son abattage, pour qu’elle se repose, afin de la tuer le lendemain dans de meilleures conditions.

 

Heureusement, une association de protection des animaux, alertée par une personne au grand cœur, a immédiatement réagi : le sauvetage de la vache devenait impératif. Il n’était pas question de la laisser à son triste sort. L’association a alors fait des démarches auprès du directeur de l’abattoir qui a pu la mettre en relation avec le propriétaire de l’animal. Après d’âpres négociations, car dans ce cas aussi les services vétérinaires voulaient appliquer la loi, la vache a été confiée à l’association qui emmena la vache, pour une nouvelle vie dans un refuge qui s’appelle justement « la Ferme des Animaux Sauvés de la Mort ». Un îlot de douceur, et de paix, sur l’herbe verte d’un pré, lui offrira tranquillité. La vache a été baptisée « Liberté ».

 

En décembre 2008, les éditions du journal Midi-Libre rapportent le cas récent d’une vache de race Aubrac de 450 kg qui s’est échappée des abattoirs narbonnais juste au moment de sa mise à mort. Le directeur de l’abattoir a expliqué qu’au moment où elle devait être abattue à l’aide du Matador (pistolet qui perfore le crâne), et parce que l’employé l’avait ratée, en la blessant tout de même, la vache avait réussi à s’enfuir. L’animal aurait été jusqu’à semer la panique dans une des grandes avenues de l’agglomération. Sans faire de blessés, elle aurait chargé tous ceux qui tentaient de l’approcher sous le regard des automobilistes médusés. La bête s’est réfugiée sur la pelouse d’un terrain de foot transformé en Arène. Les policiers, les gendarmes et les pompiers ont alors mis en place un périmètre de sécurité. La circulation aurait été arrêtée, et des maisons à proximité auraient été évacuées. Que de remue-ménage pour une pauvre vache ! Le sous-préfet a même ordonné d’abattre l’animal (qui aurait pu être confié à une association de protection des animaux). Le tir d’une balle à sanglier a été effectué par un jeune employé des abattoirs en se postant sur un toit.

 

Voici un autre cas en Belgique relaté par le quotidien La Dernière-Heure. Un bovin qui s'était échappé des abattoirs d'Anderlecht a endommagé des voitures de police. L'histoire a failli se passer comme dans un film qui aurait été « une belle histoire entre une vache et des policiers ». Mais la réalité fut tout autre. La vache a tenté d'écraser les agents de police, mais surtout elle finit par être abattue. Un lundi matin, plusieurs patrouilles de police ont été appelées, vers 7 h 30, aux Abattoirs d'Anderlecht : une vache venait de s'échapper et provoquait la panique dans les rues avoisinantes. Quelques équipes de police venues sur place ont tenté de maîtriser la bête. Il leur a été impossible de ramener la vache aux abattoirs. Dans un état de surexcitation, mais surtout d’affolement, la bête ne s'est pas laissé faire. Après quelques ruades, dignes d'une corrida, elle a foncé sur les inspecteurs de police. Plusieurs véhicules de police ont été placés pour lui barrer la route. Cela n'a pas suffit. Au contraire, les voitures ont été embouties par la bête apeurée. Comme elle représentait un danger pour les passants, l’ordre a été donné de l'abattre. La vache a été emmenée à l'écart des curieux et a été abattue de plusieurs coups de feu. La mésaventure de cette vache ne s'est pas arrêtée là, puisque la bête s'est écroulée dans un fossé. Il a fallu une grue pour l'en extraire. (Source : E. Pr. LaDernièreheure, 2003).

 

Le cas qui suit est tiré d’un article du site web1 « Le Jardin de Dominique Bardel » : « Vache en balade »

 

De temps en temps, devant les abattoirs d’Aurillac, une vache échappe à l’attention de ses bourreaux et s’échappe. C’est ce qui est arrivé la semaine dernière, avec une belle Aubrac qui, dès sa descente du camion, a pris la poudre d’escampette et est partie se promener. Vers deux heures du matin, les gendarmes la trouvèrent près de l’école d’équitation et, ne sachant que faire de l’animal, l’ont fait rentrer dans un pré du centre équestre. Ils ignoraient que des stagiaires campaient là, terrorisés par le bruit et les lampes torches des représentants de la maréchaussée. Au matin, la vache était toujours là, et un camion de l’abattoir devait venir la chercher. Mais les stagiaires s’étaient pris d’amitié pour le doux bovi

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dimanche, 03 février 2013 | Lien permanent | Commentaires (1)

Que ton règne vienne. Journal d'une guerre dont on ne sait rien

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J'ai rencontré une vieille amie de mon ancien quartier. Est-elle cousine, voisine, copine ? Je l'ignore. Je sais qu'elle marche toujours de ce côté du boulevard, où l'on a détruit un vieil hôtel du Grand Siècle pour édifier en béton un nouvel immeuble. Elle marchait en compagnie de son petit-fils, un adolescent au doux regard ombragé par une douleur, peut-être. Nous parlions de choses du quartier, du pays et du monde, nous parlions d'histoires racontées dans des livres, et à propos d'ancêtres marins du XIXème siècle, elle dit :

- Ces gens d'alors menaient des vies aventureuses, qui n'avaient rien à voir avec nos petites vies quotidiennes.

Le pronom personnel « nous » m'emplit de terreur : pourquoi m'intégrait-elle dans la médiocrité ? et je me tournais vers son petit-fils et me demandait pourquoi elle insérait ce logiciel morne dans l'esprit du jeune garçon.

M'éloignant d'elle, marchant dans d'autres rues du quartier, je refusais sa résignation.

Je mène une vie de combat. On lira peut-être un jour, le journal intime que j'écris comme un journal de guerre.

Je vis dans un monde violent. Même si, quelque fois, assise sur un banc dans la fin d'après-midi, j'attends tranquillement la pluie, j'attends la fin du monde ou tout simplement j'attends que quelqu'un passe.

Rien ne manque de sens y compris au beau milieu des jours absurdes. Chaque geste peut se charger d'une puissance renversante, ici comme au pays où les tanks avancent des campagnes vers les villes.

Mais cette dame rencontrée l'autre jour ignore peut-être deux ou trois choses en cours dans notre monde, le sien, le mien, le nôtre, ce monde constitué de ce qui est, dans lequel nos corps respirent.

Elle me rappelle une autre dame, perchée sur une camionnette et qui parlait dans un micro boulevard Raspail, pendant une manifestation de soutien envers les Palestiniens de Gaza. Elle haranguait rageusement la foule :

- Depuis que j'ai vu ce qui se passe là-bas, je ne supporte plus de voir les gens ici faire les courses tranquillement au supermarché, je ne supporte plus de voir les gens aller et venir tranquillement dans le métro, je ne supporte plus de voir les gens d'ici vivent sans penser à là-bas !

Je me demandais ce qu'elle faisait à crier comme une folle sa rage, comme si cette rage la dédouanait d'être ici, de faire ses courses, d'aller dans le métro parmi nous. Pourquoi ne vivait-elle pas au milieu des ruines derrière le mur, avec ceux qu'elle plaignait ? Elle aussi, semblait opposer la vie réelle et intense des uns à la vie inique et déréalisée des autres, mais alors que la voisine de mon ancien quartier étalait mollement son admiration pour les aventuriers d'un autre temps, cette militante déclamait haineusement sa compassion pour les victimes d'un autre lieu.

Elles n'avaient peut-être pas encore considéré les choses suivantes :

Il existe deux façons politiques d’éliminer une vie.

Le sniper cagoulé, posté sur un toit qui domine la ville, ajuste sa mitrailleuse et vise sa cible. La violence qui suit s'entend dans la pétarade, dans la cavalcade, dans les cris stridents qui glacent la rue. Dans quelques heures, il ne restera plus qu'une tache sur le sol, qu'un photographe de guerre, professionnel ou improvisé, pourra immortaliser en passant.

Le fonctionnaire assis dans son bureau qui se trouve au bout du couloir, avant les toilettes, clique sur une case de son écran d'ordinateur. La banalité qui suit ne trouve pas d'écho. Dans quelques jours, la victime apprendra sa mort sociale par une lettre-type.

Elle sortira peut-être alors marcher et c'est vrai qu'elle pourra encore marcher, et penser, et même peut-être boire et manger, et dire comme le poète : « Au matin j'avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j'ai rencontrés ne m'ont peut-être pas vu ».

 

Violence rouge, violence blanche

Rien n'altère la violence des armes et le drame du sang. Nos mornes jours ne les justifient aucunement. L'être qu'on démembre ou qu'on viole avait le droit total et entier de rester libre et vivant.

Quelquefois cependant, sans couteau de boucher, l'administration s'attaque à notre chair, qu'elle nie et délite. Nos corps sont découpés à notre insu. Voilà pourquoi nous errons en ce monde sans même sentir la force de notre propre existence : elle a été coupée à l'intérieur de nos ventres, par des mots, par la configuration orchestrée des lieux, par des arrêtés préfectoraux. Il est vrai que celui qui ne fait pas couler le sang n'est pas un assassin. Mais quel mot alors pour qualifier celui qui exécute une besogne qui ne dit pas son nom ?

 

Le révolutionnaire visuel et le révolutionnaire réel ne sont pas forcément la même personne.

Le révolutionnaire visuel porte une foulard aux teintes radicales et les inflexions de sa voix évoquent les grandes heures de l'histoire. Cela, bien souvent, ne l'empêche pas de mener une vie tout à fait conventionnelle, au cours de laquelle son compte bancaire se remplit, sa maison s'agrandit, son statut social s'élève.

La bonne femme ou le gars sans histoire, dont le passant ne pense rien, et qu'aucune idéologie ne glorifie, recèle parfois la radicalité persévérante des plus grands révolutionnaires. Derrière son air de rien du tout, se cache peut-être l'esprit qui fomente les idées qui vous feront trembler demain, ou la petite main décisive qui incidemment participe au Grand Soir.

 

Quand le témoin n'est pas cru, seule l'archive parle

Deux livres posés sur une caisse au fond du couloir attendent que j'ose les ouvrir. La personne qui me les offre m'a annoncé que leur point commun, c'est intéressant, est de n'user que des archives objectives, tangibles, et de ne pas s'intéresser aux témoignages des survivants. Les Expulsés, de RM Douglas, et Les Archives de l'extermination, d'Alain Gérard, nous entraînent sur la route des traces laissées par les acteurs de l'histoire, refusant tout témoignage de victime pour ne pas se laisser emporté par la légende, parce que cette dénégation des êtres qui racontent ce qu'ils ont vécu était le seul moyen de servir leur cause historique.

 

L'aventure de pacotille, la survie en bas d'un immeuble

Le voyage à travers le monde évoque l'idée d'aventure, mais les aéroports du monde entier se ressemblent ; il est peu de pays dans lesquels le confort des hôtels n'accueille pas le voyageur désireux de prendre une douche. Vraiment, il est plus aisé de faire trois fois le tour du monde que de vivre à la cloche, dans une ville comme Paris ou dans n'importe quelle autre ville. L'aventure menée par les clochards, qu'elle soit subie ou choisie, peut seule se comparer à celle que menaient les découvreurs qui partaient dans des terres inhospitalières, les défricheurs de nouveaux-mondes, les croisés, les fuyards du bagne, les nègres marrons.

Car le voyage est à la mode, et les consulats disséminés autour de la terre. Mais le vagabondage est pourfendu par tous les moyens car le vagabond dans sa survie quotidienne désaxe les pivots de la société administrée.

Ces aventuriers là dorment dans les ruelles de ce quartier où vous dites qu'à notre époque, la petite vie quotidienne n'a rien à voir avec les aventures des époques antérieures.

 

« Il faut vivre, vivre, rien que vivre », déclame un autre poète. N'avons-nous pas le devoir urgent de vivre notre aventure intense au sein même du pays où nous sommes, à l'instant où nous sommes vivants ? Et si les éléments qui constituent notre vie nous déplaisent, le courage n'est-il pas, non pas de vénérer l'autrui ou l'ailleurs, mais de nous rendre à la place où notre aventure se déploiera ?

Rien ne justifie qu'on se satisfasse d'une petite vie quotidienne qui rêvasse aux grandes aventures des temps passés et des pays lointains. Ta peau vivante bouge ici et maintenant, tes muscles se tendent et se détendent, la vie palpite et la médiocrité n'a pas de place là où naissent des enfants, là où meurent des enfants et des vieillards, là où souffrent des chiens.

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samedi, 21 juin 2014 | Lien permanent

5 livres au hasard

Je ne savais plus quoi écrire et j'avais besoin d'écrire quelque chose, ou bien de lire. J'ai tendu le bras vers l'étagère où Frédérique m'avait déposé, en vrac, quelques dizaines de livres ayant appartenu à l'ami enfui. En fait, la plupart avait appartenu à son père, qu'il avait peu connu. J'ai pris cinq livres au hasard dans mes mains. Je les ai apportés près de mon ordinateur et je me suis demandé ce que cela ferait de lire les premiers paragraphes de chacun de ces livres. D'abord, j'ai contemplé les couvertures et les titres :

 

La révolte des pierres, de Léon Groc. Editions de la Nouvelle Revue Critique 1930 

Le procès de Charles Maurras – compte rendu sténographique. Editions Albin Michel 1946

La torture – son histoire – son abolition – sa réapparition au XX°siècle, d'Alec Mellor. Editions Les Horizons Littéraires 1949

Alice et la dame du lac, de Caroline Quine. Traduction d'Anne Joba pour La Bibliothèque verte, 1975 (éditions américaine 1972)

Aziyadé, de Pierre Loti. Collection Pourpre, 1946 (édition originale 1879)

 

Eh bien, maintenant que vous connaissez les titres de ce bouquet cueilli au hasard, suivez-moi à travers les ouvertures de ces ouvrages :

 

La révolte des pierres, de Léon Groc. Editions de la Nouvelle Revue Critique 1930

 

Chapitre Premier

Une pierre tombe du ciel

 

Tout le mal vint de ce maudit bolide... Je fus sans doute le premier à le voir. Dès son apparition, j'éprouvai une sorte d'angoisse. On eut dit que je pressentais les troubles qui devaient résulter de sa chute sur notre planète... En vérité, je lui en voulus tout d'abord de ce qu'il dérangea mon observation et me fit manquer de noter la seconde précise du dernier contact de l'éclipse... 

Mais je m'aperçois que j'ai omis de me présenter. Ceux qui liront ce manuscrit voudront bien me pardonner cette incorrection. Je ne suis pas écrivain. Il ne s'agit pas ici de faire œuvre littéraire, mais de renseigner mes contemporains sur les causes de ce que l'on a appelé « La Révolte des pierres »... Ce que j'ai appris, ce que j'ai déduit, ce que j'ai deviné, il faut que l'humanité toute entière en profite, y trouve les moyens de défense contre le retour d'un tel cataclysme... Toutefois, avant de continuer à mettre au clair les notes recueillies sur mon carnet, il sied que j'expose qui je suis – qui j'étais !...

On me nomme Armand Brissot... j'exerce – ou j'exerçais – la profession d'astronome-adjoint à l'observatoire de Paris. J'ai trente ans. Je ne suis pas beau. Mes amis prétendent que j'ai des yeux de poète ou d'enfant – ingénus ou clairs. Je crois que tous les astronomes ont ces yeux là. La contemplation du ciel, l'ignorance de tout ce qui est bas leur donnent la candeur du regard et la sérénité de l'âme... 

 

Et la dernière phrase de l'ouvrage : « Nous donnerons le nom de Robert au fils que nous espérons ... »

 

Le procès de Charles Maurras – compte rendu sténographique. Editions Albin Michel 1946

Audience du 24 janvier 1945

Le Président – Maurras, quels sont vos nom, prénoms, profession, où demeurez-vous, où êtes-vous né ?
Maurras – Je m'appelle Charles Marie Pothius Maurras. J'aurai soixante-dix)sept ans au mois d'avril prochain. Je suis écrivain français, membre de l'Académie Française : mon domicile actuel est chemin de Paradis, à Martigues (Bouches-du-Rhône) ; j'y suis né le 20 avril 1868.
M. Le Président, s'adressant à M. Pujo - Je vous pose la même question qu'à monsieur Maurras. 
M. Pujo – Pujo Marie Alexis, soixante-treize ans après-demain. Je suis co-directeur de l'Action Française. Mon domicile est 7, rue Pépinière à Paris. Né à Lorrez-le-Bocage (Seine-et-Marne) le 26 janvier 1872. 
M. Le Président – Soyez attentifs, vous allez entendre la lecture de l'exposé des motifs par M. le Greffier. 

Dernière phrase de l'ouvrage : « Pujo et Maurras ont été conduits, pour purger leur peine, à la prison de Riom ». 

 

La torture d'Alec Mellor. Editions Les Horizons Littéraires 1949 

 

Avant-Propos

La Torture a été abolie, en Occident, à la fin du XVIIIème siècle. Jusqu'à une époque toute récente, on pouvait tenir unanimement l'abolition pour définitive, et, en 1929 encore, le maître incontesté de la criminologie espagnole contemporaine, Q. Saldana, allait jusqu'à écrire que la Torture était tombée « dans l'abîme historique des éternelles disparitions ». 

Nous-même, qui n'avons jamais cru au mythe du Progrès humain, pensions dans notre jeunesse que sur ce point, du moins, il n'était pas un vain mot. Il était réservé à notre Âge de fer de donner à ces illusions le plus terrible des démentis. 

À quoi bon mentir ? 

Supprime-t-on un mal en le niant ? 

Il ne s'agit plus seulement de bourrades policières ni de pratiques brutales. 

Depuis les quelques secondes où le lecteur a ouvert ce livre, combien d'êtres humains on été liés aux sinistres instruments qui servent à « l'interrogatoire spécial » ?

La planète entière est devenue un bagne, et, ressortie de l'abîme, la Torture montre à nouveau aux hommes sa face hideuse. 

 

Et la dernière phrase de ce livre : « Puissent-ils conclure, avec ce livre, qu'il n'est point d'ordre humain construit sur l'avilissement de l'Homme, point de triomphe de classe sur les ruines du Spirituel, point de Justice bâtie sur le crime, fût-il policier»

 

Alice et la dame du lac, de Caroline Quine. Traduction d'Anne Joba pour La Bibliothèque verte, 1975 (éditions américaine 1972)

 

Chapitre Premier

Fâcheuse surprise !

« C'est beau !

- Qu'est-ce qui est beau ?
- C'est inquiétant !
- Qu'est-ce qui est inquiétant ?
- C'est amusant mais dangereux ! » termina Alice Roy avec un sourire moqueur à l'adresse de ses amies Bess Taylor et Marion Webb. 

Grande et mince, l'allure sportive, Marion prit la parole.

« Tu oublies certainement d'ajouter que c'est hanté. Mais qu'est-ce qui l'est et où est-ce ? »

- L'endroit où nous allons, répondit Alice. Car vous êtes cordialement invitées à vous joindre à moi. Vous acceptez, n'est-ce pas ? »

Devant la mine déconfite de ses amies, Alice eut pitié d'elles.

« Allons, ne faites pas cette tête ! Je vais tout vous expliquer. Tante Cécile a loué une maison pour les vacances : le chalet de la Baie du Miroir ». 

Dernière phrase du livre : « Il lui rappellerait aussi la charmante Dame du Lac ». 

 

Aziyadé, de Pierre Loti. Collection Pourpre, 1946 (édition originale 1879)

 

I Salonique

16 mai 1876

… Une belle journée de mai, un beau soleil, un ciel pur... Quand les canots étrangers arrivèrent, les bourreaux, sur les quais, mettaient la dernière main à leur œuvre : six pendus exécutaient en présence de la foule l'horrible contorsion finale... Les fenêtres, les toits étaient encombrés de spectateurs ; sur un balcon voisin, les autorités turques souriaient à ce spectacle familier. 

Le gouvernement du sultan avait fait peu de frais pour l'appareil du supplice ; les potences étaient si basses que les pieds nus des condamnés touchaient la terre. Leurs ongles crispés grinçaient sur le sable. 

 

Dernière phrase d'Aziyadé : « Il a été inhumé parmi les braves défenseurs de l'Islam (que Mahomet protège!), aux pieds du Kizil-Tépé, dans les plaines de Karadjémir. »

 

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vendredi, 03 janvier 2014 | Lien permanent

Dictionnaire de la délivrance psychique (inachevé)

 Ce dictionnaire est élaboré sous la direction paresseuse de Conan Kernoël, depuis le premier novembre 2009. Conan n'a rédigé ni préface ni postface, mais une médioface que l'on trouve à la lettre N (la Nouvelle Religion).

Qu'entendez-vous par "délivrance psychique" ? Nous demanda une lectrice d'AlmaSoror.

La langue est un carcan parce que le sens des mots que nous employons et les liens que nous faisons instinctivement entre les mots sont guidés, dictés, prévus par les maîtres penseurs. Pour que la langue nous soit libératrice, il faut faire la généalogie de la tapisserie de la bien-pensance de notre temps ; après seulement, les mots déchargés de leur chaîne révèlent un arôme plus sauvage, plus poétique, et dans notre cerveau souffle un vent de fraîcheur.

 

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Administration :

L’administration est l’entreprise de l’Etat, dont l’objet est la réification de la langue, de la pensée, de la culture et des êtres humains.

De la naissance à la mort, du nom au genre, de la vie de famille à la vie professionnelle, de la santé à l’éducation des enfants, de la science aux arts, de la vie de la pensée à la vie corporelle, de l’organisation de la maison et du paysage à la religion, des langues parlées sur le sol qu’elle tient sous son emprise aux idées prononcées sur des supports par les gens qu’elle a sous sa domination, aucune parcelle de vie humaine n’échappe à sa discipline.

Ce pouvoir s’exerce de droit et de force. De droit, en vertu d’un contrat léonin qui la lie au nouveau né, contrat qui ne pourra être modifiée que par sa volonté à elle. De force, par l’emploi de la force physique et par l’impossibilité matérielle et psychique de subsister hors de sa surpuissance.

Citations

« Je sais maintenant que ma patrie est classée dans des dossiers, je l’ai vue sous les espèces de fonctionnaires habiles à effacer en moi les dernières traces de patriotisme. Où donc est ma patrie ? Ma patrie est là où je suis, où personne ne me dérange, où personne ne me demande qui je suis, d’où je viens et ce que je fais. »
(Le Vaisseau des morts)
B Traven

"Un homme dans un fichier est pour ainsi dire déjà un homme mort".
E Von Salomon

 

Roll1.édith&agnès-22.jpgAutoproclamé :  lorsqu'une personne n'a pas de diplôme, d'agrément étatique ou d'appartenance médiatique et qu'elle s'exprime sur un sujet qui ne concerne pas sa vie quotidienne, on dit qu'elle est autoproclamée. Ainsi, un homme tenant un blog d'informations sera "journaliste autoproclamé" ; une personne partageant un travail personnel sociologique sera appelé "sociologue autoproclamé".



CNC.jpgCNC : sigle du Centre National du Cinéma.
Organe étatique en charge du contrôle administratif, économique, politique et intellectuel de tout ce qui concerne le cinéma en France : production, diffusion, professions du cinéma. Le CNC habilite ou déshabilite les gens de métier et les entreprises, autorise la création d’œuvres, leur diffusion, et encourage un certain type de productions en donnant de l'argent à des projets chaque année.

Art étatique s'il en est, le cinéma français et ses professions sont encadrés à tous les stades de la chaîne d'un film par le CNC, en vue d'une idéologie qu'il sera intéressant d'étudier dans quelques décennies, au moyen notamment des statistiques et de l'étude des thèmes des œuvres subventionnées et de celles qui ne le sont pas.

 

couple.jpgCouple :

institution mouvante constituant l'unité de base de l'ordre sexuel, moral et économique.

Entité de deux personnes menant une vie commune. Se mettre en couple : s'agréger à quelqu'un pour former une entité acceptable socialement et invitable aux dîners des toutes petites, petites, moyennes et grandes bourgeoisies.  

Selon l'idéologie du milieu ambiant au couple, celui-ci peut être formé comme suit :

- de deux personnes de sexes différents et être indissoluble ;

- ou bien de deux personnes de sexes différents et être modifié à tout moment lors de la lassitude d'un partenaire, qui se détache alors de ce couple pour en former aussitôt un autre ;

- ou bien être formé de deux personnes de même sexe.

Afin de n'être pas considéré comme un pervers potentiel, un homme qui n'est pas en couple, à partir de trente ans, doit afficher une vie sexuelle avouable - c'est à dire être un homme à femmes ou bien un homosexuel à partenaires variables, selon l'idéologie du milieu ambiant.

Afin de n'être pas considérée comme quelqu'un de profondément déficiente, non épanouie, ayant raté sa vie, une femme qui n'est pas en couple, à partir de trente ans, doit afficher une vie sexuelle de "femme libérée", multipliant les partenaires amoureux (et pas seulement sexuels, ce qui la plongerait dans la case des "putes").

Cas des enfants : Le couple parental s'étant dissout, la vie des enfants est tributaire des nouvelles mises en couples parentales. Il est considéré que leur bien être ne saurait gêner les vies amoureuses des parents. Il est de bon ton de ne pas évoquer les mésententes, sentiments de rejet, d'abandon et d'intrusion éventuellement ressentis par les enfants vis à vis de leurs "beaux-parents". Par ailleurs, penser que la vie amoureuse des parents serait compliquée pour un enfant constitue en soit une forme de "fascisme" néfaste pour la société. Un parent ne se remettant pas en couple dans les cinq ans est considéré comme faisant peser son mal-être sur les enfants, nuisant ainsi à leur développement harmonieux.

 

dérapage.jpgDérapage :

phrase n’ayant pas plu à un groupe se croyant minoritaire, discriminé et victime. Lorsqu’une personne est accusée par d’autres de dérapage, elle doit présenter des excuses. 

 

 

 

 

devoir de mémoire.jpg

Devoir de mémoire :

 

processus d'effacement de la mémoire du devoir.

 

 

 

 

 

 

fonctionnaire.jpg

Fonctionnaire :

 

nom commun hermaphrodite. Rouage de l’État. Fonctionne entre l'obtention du concours et la mise à la retraite.

 

 

 

 

Roll1_édith+Mathilde-32.jpgNauséabond :


Une personne est nauséabonde lorsqu'elle a des idées non validées par la Pensée Bienfaisante pour l'Humanité. Les gens nauséabonds sont dangereux : leurs idées se répandent comme une maladie et infectent les esprits de toute la population, qui devient "facho". L’État doit en permanence lutter contre les nauséabonderies intellectuelles par la diffusion d'idées saines, via l'école, mais aussi via les panneaux d'affichage publics, les programmes télévisuels, et tous les supports de communication possibles.

 

 

 

nouvelle religion.jpgLa nouvelle religion : (médioface de Conan Kernoël)

 

Le politiquement-correct et la sacralisation de l'humanisme, devenu non plus seulement une volonté positiviste, mais une croyance, mènent à l'idolâtrie.

 

De cela surgit le rétablissement du blasphème, l'interdiction de la pensée iconoclaste.

Puisqu'il y a blasphème lorsqu'on remet en question une certaine idée de l'homme, de l'humanité,  le nouvel humaniste ne peut pas être considéré comme un athée, bien qu'il ne croit pas en Dieu. Car l'athéisme ne reconnait pas de blasphème.

Nous voyons donc l'éclosion d'un humanisme religieux.

Toute religion suppose un culte. Le culte de cet humanisme religieux est d'abord un culte linguistique. Toute parole exprimant le recul vis à vis de cet humanisme est assimilé à son objet. C'est à dire que la parole d'une personne est assimilée à une croyance : dire une idée, c'est y être assimilée.

Ceci implique le retour des imprécations magiques : on ne peut prononcer des idées en désaccord avec l'humanisme religieux sans précautions oratoires. Ces précautions oratoires visent à éloigner de soi l'essence de l'idée qu'on va relater. Avec force répétitions, on exprime des imprécations et condamnations des idées qu'on mentionne, pour s'assurer la bienveillance du clergé. Le clergé, c'est toute la société.

La peur de la déviance crée un retour de l'exorcisme. L'exorcisme a lieu comme un lavage  de cerveau, par une rhétorique accompagnée de supports visuels insérés partout, dans les lieux et les documents publics et semi-publics.

Nous sommes revenus à l'interdit verbal. Toutes les idées ne sont pas prononçables, ou alors elles doivent être accompagnées d'imprécations.

Le politiquement-correct et la sacralisation de l'humanisme, devenus non plus seulement une volonté positiviste, mais une croyance, mènent à l'idolâtrie.
C'est pourquoi notre société renoue depuis quelques années avec le blasphème, le culte, les imprécations, l'exorcisme et l’innommable.

La difficulté de cerner cette nouvelle religion vient du fait qu'elle ne se reconnaît pas comme une religion, ni comme une théologie, mais comme la vérité morale indépassable.


sociologue.jpgSociologue :

nom commun hermaphrodite ; fonctionnaire de la pensée spécialisé dans l’étude de la misère humaine

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vendredi, 16 août 2013 | Lien permanent

Soliloques de l’errance

I le van,
II la route

III la ligne

 

chevrolet .jpg

 

I Le van

 

Nous écoutons la radio dans le van
Le vent s’engouffre par les vitres baissées
Et j’ai pris le volant, je conduis vite
A droite comme à gauche le paysage est mystérieux
Magnifique
Etrangement coloré
Nous voyageons avec une femme enceinte
Elle dort dans le van
Je vais passer le volant à quelqu’un
A l’homme qui se tait
Qui rit de temps en temps
L’autre femme est âgée
C’est la plus belle
Elle a quelque chose de différent
Son pull-over tombe, on voit toujours un peu ses seins
Ses cheveux longs et doux flottent dans la lumière

D’immenses champs de blé mûr
De très grands oiseaux bleus
Telles sont les images qui nous entourent
J’ai arrêté le van
Nous sommes seuls sur la route
La route abandonnée
La belle femme différente ôte ses boucles d’oreilles
Elle s’approche de moi
Son pull-over tombe, on voit ses seins comme d’habitude
Ses cheveux longs et doux volent dans la lumière
Son souffle est effrayant
Elle veut souvent montrer qu’elle peut choquer,
Qu’à son âge elle aime encore rigoler
Elle nous emmène si loin
Elle va nous entraîner au-delà des champs de blé
Le ciel bleu-rose s’étend sans fin
Où serons-nous demain ?
Le vent détruit les pensées
La femme enceinte s’est éveillée
Lorsque je voulais être quelqu’un
Avant de quitter mon pays
Je ne savais pas que je mentais
Après ma fuite j’ai rencontré des vrais amis
Et j’ai pu contemplé des visages authentiques

Les paysages splendides
Dans lesquels nous évoluons
Ont brisé les idées, brûlé la raison
Et la vie est devenue dense
Et la vie devient une danse

Un grand soleil multicolore caresse les blés ondulants
Quelqu’un a éteint la radio
Je sors les bières du van
J’en propose à l’homme silencieux
A la belle différente
Au garçon aux yeux verts
J’aime la belle différente
La bière coule dans ma gorge
Et cela pique un peu
Et cela désaltère
On remonte dans le van
Le van va partir
Le van va repartir
Ce voyage finira-t-il un jour ?
J’attends une réponse…

 

II La route

 

La route est étroite, la saab roule lentement. La chienne est inquiète, elle ne dort plus.

Le soir se pose, arriverons-nous quelque part avant que le soleil ne disparaisse totalement ?

Peut-être avons-nous fait une erreur en partant si loin. C’est toi qui as voulu, tu te sentais bien.
Mais voilà que ton ventre te fait mal, il ne faudrait pas que le bébé arrive avant deux ou trois jours.
Les hautes montagnes s’étendent à l’horizon. La route devient vraiment dangereuse. Les derniers rayons de soleil se dissipent. Tu me demandes si nous allons mourir.

Donne à manger à la petite chienne, s’il te plait, elle semble avoir faim. Il reste de l’eau et de la bière. Je ne vois aucun village à l’horizon.

Les cimes des montagnes couvertes de soleil rose s’assombrissent et la route est presque impraticable. Nous allons dormir ici, près du gros rocher. Pourvu que ton bébé n’arrive pas cette nuit… J’arrête la voiture.
Allume ton briquet. Il y a des couvertures dans le coffre. S’il y a des dangers, ma chienne aboiera. Donne-lui à boire, et toi aussi, sers toi.
Je n’aurais pas dû te suivre depuis le début. J’aurais dû m’éloigner quand je t’ai rencontrée. Tu suis ton destin, c’est ce que tu dis. Tu devrais plutôt suivre les conseils de tes docteurs. Un voile sombre enveloppe le paysage aride ; on distingue un lac au creux des montagnes. Ne vois-tu pas des poissons sauter hors de l’eau ?
Tu dis que je dois t’aider à sortir ton bébé. Que sommes-nous venues chercher, loin de toute habitation ? Tu devras me dire un jour la vérité. Nous devons survivre pour ton bébé, et pour ma petite chienne qui respire ton ventre.


Il fait complètement noir, maintenant. Les étoiles scintillent comme s’il neigeait dans le ciel. Tu frissonnes et tu souris, tu sembles heureuse.
Sans la chienne, je n’y serais pas arrivée. La chienne est près de toi, elle souffle sur le bébé, et le bébé s’endort, je crois qu’il n’a pas froid. Entre mes mains, je l’ai tenu quelques instants. Entre mes mains, j’ai senti sa vie.
Sans la chienne, je n’y serais pas arrivée. Elle m’ordonnait avec ses yeux. Elle savait exactement les gestes qu’il fallait. Elle a tiré avec sa gueule. Elle a soufflé sur le petit corps. Elle a mordu pour faire crier. Elle a coupé l’amarre. Elle a léché pour nettoyer. Et je t’ai donné ton bébé. Tu l’as installé dans tes bras.
Le briquet ne s’allume plus. Il nous faut attendre le matin. Le vent souffle dans les montagnes et je retiens les couvertures.
Je ne crois pas à ton destin. Je ne sais pas pourquoi je t’accompagne.

 

Nous roulons vite sous le soleil. La route s’est élargie. La route s’est aplanie. Tu souris, tu nourris ta petite fille. La chienne vous contemple d’un œil sage. Je n’ai pas dormi cette nuit.
Que veux-tu donc trouver en haut de la montagne ? Vas-tu m’abandonner en haut de la montagne ? Je comprends vaguement que tu voulais quelqu’un pour t’emmener…

Nous serons ce soir au sommet de la montagne. Les rayons de soleil chargés de vent, le vent chargé de rayons de soleil, le lac tout en bas qui s’éloigne, tout est calme.
Je sais que ce soir, tu nous diras adieu, à ma chienne et à moi, et nous redescendrons. J’ai peur que tu me laisses ton bébé.
Que vas-tu chercher en haut de la montagne ? Tu nous diras adieu, à la chienne et à moi. J’ai peur que tu nous laisses ton bébé…

 

III La ligne

 

Il fut un temps où je vivais dans une ville.

Je travaillais et j’avais planifié ma vie.

Comme c’est drôle d’y penser aujourd’hui :

J’avais planifié ma vie.

 

Un certain temps que je demeure sans bouger

Sur ce transat, sur cette place ensoleillée.

C’est l’été, il a la mer au bout de la rue.

Ce pays est vraiment beau.

 

Je bois des verres de jus de fruits frais étranges,

Des gens traversent la place, jamais pressés.

Ici, j’ai une chambre dans le seul hôtel.

Que j’aime être de passage.

 

Je songe à l’enfance lointaine quelquefois,

Enfance contrainte, enfance triste, enfance malade,

J’ai abandonné tout ce qu’on voulait m’apprendre.

J’ai cessé d’être quelqu’un.

 

Ma vie est une étrange suite de sensations,

Des sensations douces, subtiles, corporelles.

J’aime les gens que je croise et qui m’accompagnent.

Parfois, je fais des rencontres.

 

Dans des motels ou sur des routes ou sur des plages,

Des rencontres, parfois de vagues amitiés,

On fait un peu de route ensemble, on fait l’amour,

On m’invite dans des familles.

 

Ma vie est-elle un long détour ou un destin ?

Ces longues promenades sur des plages vides.

Ces voyages dans des trains ou dans des bateaux.

Y a-t-il une ligne ésotérique ?

 

Ce jus de fruits frais et moelleux m’emplit de paix.

Parfois, j’envoie des lettres aux gens du temps passé.

C’est l’été, la mer m’appelle au bout de la rue.

Ici, j’ai une chambre d’hôtel.

 

Après mon bain, dans la mer tiède, ce matin,

Je suis allée dans une grande bibliothèque

Me renseigner sur le passé de cette ville.

Les maisons sont belles ici.

 

Je suis arrivée hier par le dernier train.

Je remonte le pays, je suis toujours la cote.

Je compose dans les motels pendant la nuit

Pour gagner de l’argent.

 

Je compose des musiques pour des films incertains.

Une très vieille femme hier soir dans le train

A tiré les cartes et lu les lignes de ma main,

Mais je n’ai pas très bien compris.

 

J’avais des habitudes et quelques certitudes,

Et puis un jour d’hiver, j’ai compris tout à coup.

La viande était moins cuite, l’assiette pleine de sang,

J’étais une criminelle.

 

J’ai hurlé, tout le monde a ri, je suis partie.

J’ai voulu oublier la pensée, les idées,

J’ai voyagé et je n’ai plus voulu rentrer.

Et puis, j’ai vendu ma musique.

 

Sur la plage de sable fin, au petit matin,

Au cours de la balade j’ai rencontré quelqu’un.

Nous avons bu des boissons fraîches sous le soleil,

Nous nous sommes caressées.

 

Elle est descendue elle aussi dans le motel.

On va rester un mois pour boire de cette ville.

Cette femme avait des secrets et des mystères.

Ai-je des secrets ?

Ai-je des secrets,

Ai-je des secrets…

 

Edith de CL, 1999-2003

 

 

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mercredi, 25 août 2010 | Lien permanent

René Lalou : les témoignages sur la Guerre IV

 

J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946, L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages. 
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".


Le chapitre « les témoignages sur la guerre » est émouvant, guirlande des traumatisés de 14-18 (cette guerre votée par des députés qui ne la firent point, mais continuèrent leur tranquille vie tandis que la jeunesse masculine française était envoyée à la boucherie).
Des soldats revenants, beaucoup écrirent, sans espoir.

 

 

La guerre de 14-18 a brisé beaucoup d’œuvres de jeunes écrivains qui commençaient, comme Alain-Fournier et son Grand Meaulnes ; elle a ensuite donné des raisons d’écrire à ceux qui n’en auraient pas eu l’idée sans elle.

 

Les premiers fragments de ce chapitre, publiés sur ce blog :

 

I Henri Barbusse, le Feu

II Georges Duhamel, la Vie des martyrs

III Roland Dorgelès, les Croix de bois

 

 

foot tesson.jpg

 

 

 

IV Voix d’hommes meurtris et panorama pêle-mêle d’après-guerre.


… "une attitude originale de l’homme façonné par la guerre".

 

Après ces œuvres maîtresses, le lecteur accueillant ne refusera pas d’entendre d’autres témoignages. La Flamme au poing d’Henry Malherbe lui apportera les notes d’un combattant cultivé groupées autour de trois thèmes : Souvenir, Amour et Mort.
Dans Nach Paris, Louis Dumur, auparavant connu pour d’amusantes peintures du calvinisme genevois, a dressé un réquisitoire contre les atrocités allemandes.


Jean des Vignes Rouges a voulu, dans André Rieu, officier de France, exposer le point de vue des chefs, tandis que Raymond Lefebvre et Paul Vaillant-Couturier, auteurs de la Guerre des soldats, renchérissaient sur l’antimilitarisme de Barbusse.
Adrien Bertrand, dans les récits et conversations de l’Appel du sol ainsi que dans les dialogues de l’Orage sur le jardin de Candide a livré les confidences d’un agrégé de philosophie, disciple d’Anatole France, qui se sent « une cellule de la nation », entend « l’appel de la terre française » et meurt en héros « pour que la France continue ».
Paul Reboux, dont l’inspiration versatile s’était tournée successivement vers Paris, Naples, la Bretagne et l’Espagne, composa en deux volumes les Drapeaux, œuvre de propagande antimilitariste qui tente d’annexer au roman la science des statistiques : peut-être y apporta-t-il à piper les dès un peu de cette adresse qui le fit baptiser « roman nègre » son Romulus Coucou, dont le héros est un mulâtre.
Dans Indice 33, Alexandre Arnoux a construit un récit dramatique ; sa verve de conteur s’atteste aussi bien dans les histoires militaires du Cabaret que dans La Nuit de Saint-Barnabé, alerte document sur l’imagination des gosses parisiens de 1920.
Marcel Berger, dont l’Homme enchaîné avait traité gauchement mais loyalement un problème complexe, raconta dans Jean Darboise la vie en grisaille des hommes du service auxiliaire ; avec les Dieux tremblent, il essaya de matérialiser la haine vengeresse d’un blessé pour ceux que la tourmente a épargnés mais noya cette idée intéressante sous des péripéties mélodramatiques.



Paul Géraldy avec cet art de ramener tout haut sujet à un dialogue de salon dont ses Noces d’argent font la démonstration, décrivit dans
la Guerre, Madame
, une journée à Paris pendant l’automne 1915, suggérant la grandeur des événements, représentant avec une fidèle facilité le snobisme de certains milieux ; il n’épuisa point son sujet puisque Maurice Level put écrire Mado ou la Guerre à Paris, qui tient ce que promet son titre.
On aurait pu attendre de l’expédition à Salonique un renouveau d’orientalisme : À Salonique, sous l’œil des Dieux, de J.-J. Frappa ne nous leurre d’aucun mirage poétique. Quant au passage des Anglo-Saxons en France, Marcel Prévost prit soin qu’il en demeurât au moins un souvenir comique : Mon cher Tommy leur légua une image de jeune fille française à leur usage, en n’omettant point, il est vrai, de leur apprendre qu’en de certaines épreuves « on a besoin de faire appel à toute sa fermeté britannique pour se raidir contre l’arrêt de sa volonté divine ».
Benjamin Vallotton est le créateur de Potterat, commissaire de police en retraite, porte-parole du bon sens vaudois, de sa révolte contre la violation de la neutralité belge et contre la consigne de neutralité suisse. Outre À tâtons, roman sur les aveugles de guerre, il a décrit, dans Ceux de Barivier, l’histoire tragique d’un village savoyard pendant la lutte. On retrouve l’humeur narquoise de Ce qu’en pense Potterat dans son Achille et Cie, satire d’une famille de nouveaux riches installés dans un château historique avec leur singe symbolique. Les ouvrages de Vallotton sont des articles d’exportation.



Il y a dans ces derniers livres beaucoup de littérature, parfois assez inutile. On en rendra donc mieux justice au sobre réalisme du caporal Georges Gaudy dans l’Agonie du Mont-Renaud, au mélange aimable d’humour et d’esprit des Silences du Colonel Bramble, et Discours du Docteur O’Grady par André Maurois, à la verve savoureuse de Pierre Chaine, auteur des Mémoires d’un rat et des Commentaires de Ferdinand, et aux ironiques récits de la vie dans un dépôt que Jean Gaultier-Boissière, l’un des rédacteurs du Crapouillot, a réunis dans Loin de la Rifflette.


Parmi les récits de combattants, signalons encore Ma Pièce de Paul Lintier et Sous Verdun de Maurice Genevoix ; on pourra ajouter, pour les territoriaux, les Pépères la Victoire du critique Jean Valmy-Baysse et l’Héroïque pastorale de Louis Vuillemin, variations d’un musicien au grand air de la guerre.
La vie populaire pendant la guerre a été peinte dans la Maison à l’abri par Marcel Martinet qui est aussi un poète véhément et l’apôtre d’un « art prolétarien » ; les problèmes moraux de l’immédiate après-guerre ont été évoqués avec une rare loyauté par Jean Schlumberger dans le Camarade infidèle. Mais il faut tirer hors de pair cet extraordinaire manuel d’attention morale qu’est le Guerrier appliqué de Jean Paulhan : devant ce livre où le décor de la guerre apparaît renouvelé par une totale absence d’interprétation, par une exacte vision de ce qui fut, non colorée d’enthousiasme ou de découragement, plus d’un lecteur confessera que son esprit, esclave de trop de préoccupations étrangère, a véritablement manqué la guerre et sentira se réveiller en lui la faculté d’observer précise que tous possèdent et que nul n’a su exercer avec cette infaillible maîtrise.



Au surplus, pendant les années qui suivirent, les échos de la guerre n’ont pas cessé de retentir dans la sensibilité contemporaine, témoin le Sel de la terre, de Raymond Escholier, carnet de route féroce et mystique sous la morne lumière de Verdun, ou cet implacable cauchemar,
Ils étaient quatre
, d’Henry Poulaille. Avant les reportages romancés et précis des Captifs et des Cœurs purs, Joseph Kessel avait prêté, dans l’Equipage, un intense relief dramatique au roman de l’aviation.
Joseph Jolinon a conduit ainsi un héros qui fut d’abord un jeune athlète à travers l’enfer, évoqué dans l’atmosphère de cauchemar sarcastique du Valet de gloire, jusqu’aux vilenies de l’après-guerre stigmatisées dans la Tête brûlée. Les nouveaux problèmes ont encore inspiré à Léon Bocquet son émouvant Fardeau des jours, reprise de la vie dans un village des Flandres, à André Lamandé la grande fresque des Enfants du siècle et Ton pays sera le mien qui peint avec une généreuse loyauté, dans une demeure familiale du haut Quercy, le poignant débat d’un cœur allemand et de l’esprit français.

 

Thierry Sandre a été lui aussi marqué par la tourmente : heureux traducteur ou renouveleur d’ouvrages injustement oubliés, éditeur de l’anthologie des écrivains morts à la guerre, il a conté avec une sobre sincérité ses souvenirs de prisonnier dans le Purgatoire. Surtout, il a réussi à démêler et exprimer dans Mienne, confession d’un être en qui les ressorts de la volonté sont brisés, et dans le Chèvrefeuille, douloureux monologues sur la fragilité de l’amour, une attitude originale de l’homme façonné par la guerre.

 

 

RENÉ LALOU

 

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mercredi, 24 février 2010 | Lien permanent

Apéro-dînatoire chez les voisins

lavabo-1.jpg

12 novembre 2005, Paris 17
(Réunion de voisins rue Rennequin)

 

 

Chère Bathilde,

 

Tu as du te demander quelles étaient les raisons de ce silence des derniers jours. Ah ! Elles tiennent simplement à une petite baisse de moral, une sorte de dépression qui suivit un dîner chez mes voisins Evène. Les Evène, tu sais, dont je t’ai souvent parlé. Ils fêtaient l’autre soir l’obtention du doctorat de physique par leur fille S.. S., tu t’en souviens ? S., qui eut une histoire d’amour avec un garçon extrêmement étrange, que son père brisa comme on brise un bâton, par la force, S. qui se maria peu après avec un garçon niais et névrosé, un grand dadais beaucoup trop sérieux et raide pour on âge, S., qui aujourd’hui est enceinte et qui nous accueillait, froide et courtoise, il y a trois soirs de cela, dans la grande maison de ses parents. 

Je m’ennuyais beaucoup, n’ayant rien à dire à personne. La plupart des gens n’étaient pas encore arrivés, et les quelques membres de la famille présents étaient absorbés par l’organisation de cette petite sauterie. Je m’ennuyais, et, habillée, maquillée, je souriais agréablement au vide. Le père, Philippe, au chômage depuis peu – personne n’est censé le savoir, chacun le sait – s’occupait de mettre des disques de sa jeunesse, et battait la mesure opiniâtrement, pour ne pas parler à son gendre, ce fameux Pierre. Celui ce se tourna donc vers moi et m’interrogea sur ce que je fais cette année. Je sais, bien sûr, parfaitement comment répondre à cette question. Je sais toujours, tout le temps, partout, comment répondre à cette fameuse, à cette inévitable, à cette imperturbable, à cette épouvantable, à cette fatigante, à cette éprouvante, à cette fatidique question. D’ailleurs, chaque fois que je sors, je relis avant ma leçon : dans mon ordinateur j’ai créé un document au doux titre interrogatif : « qui je suis ? » et qui répond implacablement à la question éternelle. J’ai des réponses pour les bourgeois, j’ai des réponses pour les étudiants, j’ai des réponses pour les émigrés et d’autres pour les immigrés. J’ai des réponses pour les gens d’orientations politiques diverses. J’ai des réponses pour les militants antiracistes et des réponses pour les gens relevant des minorités identitaires vindicatives. 

Je me répète ma leçon sur la route, et toute la soirée je récite patiemment, sagement ma réponse, deux, dix ou trente fois, aux gens qui m’interrogent. 

Ne me trouvais-je pas, ce soir là, en face d’un bourgeois bon teint, au teint jaunâtre, raide et méprisant, bien pensant, orgueilleux de ses études ? Je lui répondis donc que n’ayant pas obtenu d’allocation de recherche pour achever mes études universitaires aux frais de l’Etat, je me lançais dans des activités d’écriture – de scénarios, de documentaires – pour gagner ma vie, tandis que je cherchais, parallèlement, une université où faire ma thèse l’année prochaine. 

Ses lunettes me scrutèrent inhabituellement. 

Et, euh… Tu ne cherches pas à partir ? Tu n’as pas envie de partir ? Tu es certaine qu’il ne serait pas intéressant de partir ? 

Il avait l’air terrifié à l’idée que je ne parte pas. La vie que je mène, sans doute, ici, lui paraît, justement, ne pas mériter ce mot : vie. Je n’ai pas de vie. Cela me rappela la conversation entendue au café Chez Mimi, rue Rennequin, entre deux jeunes filles surmaquillées et surcoiffées, qui s’apprêtaient sans doute à embrasser, l’une la profession d’assistante publiciste, et l’autre, celle de secrétaire bilingue, et qui parlaient d’une troisième, sans doute moins maquillée, et à la coupe démodée. « Elle n’a pas de mec, elle n’a pas de vie. » 

Enfin, après quelques habiles phrases me laissant entendre qu’il faudrait peut-être que je parte habiter ailleurs, il me dit, convaincu :

il faudrait peut-être que tu trouves une thèse à faire, parce que tu ne vas tout de même pas écrire des scénarios toute ta vie. 

Euh, eh bien… C'est-à-dire… Certes.

Je m’étais rendu compte que mon métier lui paraissait plus que ridicule. Evidemment. Qu’y a-t-il de mieux, de toutes façons, qu’être ingénieur-gestionnaire chez Renault ? Comment peut-on avoir l’idée absurde et dégénérée de vivre de l’écriture de scénarios quand on peut être ingénieur-gestionnaire chez Renault ? Il était gonflé de mépris, rempli de pitié, un mépris, une pitié, qui fort heureusement se tournèrent vire en désintérêt total : des ingénieurs, des gestionnaires et des spécialistes du marketing, assortis de quelques chercheurs dans des disciplines scientifiques sérieuses, venaient d’arriver. 

Je demeurai coite, moite, hébétée, dépitée, amusée et terrifiée, tandis qu’il se balançait avec des airs de secrétaire de sénateur vers l’entrée pour aller accueillir ses joyeuses relations. 

Plus tard, je me remettais tranquillement, tandis qu’on s’affairait autour d’S. pour la féliciter. Elle a obtenu son doctorat brillamment, au terme de trois ans d’un travail sérieux et endurant. De surcroît, elle est enceinte, ce qui, comme chacun sait, est admirable, surtout quand on est mariée. Certes le mari n’est pas polytechnicien. Mais il est tout de même ingénieur-gestionnaire chez Renault. 

La mère d’S. (Christa, mais si, tu te souviens, qui boit un tout petit peu trop, parfois), oui, elle, qui sait que je n’ai pas reçu mes allocations de recherche, sembla l’oublier pour quelques instants, puisqu’elle interrompit le concert de félicitations qui de toutes façons faiblissait, pour se tourner vers moi et me crier à la cantonade, si je puis dire :

ben alors et toi !!! quand esketunoulafè, cette thèse ? 

Un grand silence suivit. Je m’accrochai à mon verre de vin pour ne pas tomber. Les gens s’étaient tous tournés vers moi, et eux et moi restions interdits.

Ben alors, et toi alors ? Hein ? cria-t-elle, déchirant le silence récent. 

Eh bien, moi, je n’ai pas obtenu mon allocation de recherche, commençai-je.

AH ! cria-t-elle d’un ton triomphant.

Eh oui, comme tu le sais. Je cherche donc à…

Mais elle s’était détournée de moi, et parcourait l’assistance d’un sourire satisfait. 

Un peu écrasée par les évènements, j’entrepris de finir méthodiquement, par gorgées égales, sirotées à intervalles égaux, mon verre de vin rouge. 

Je me souvins alors qu’il y a quelques jours – je ne suis pas censée le savoir, mais, vois-tu, tout le monde le sait -, lors d’une réunion de famille, entre les frère et sœurs, elle se disputait avec sa sœur Marie (si, je t’en ai parlé, la juriste, professeur à l’université chic d’une banlieue bien fréquentée), elle lui jeta à la figure :

Va te faire soigner à Sainte-Anne !

Nul ne dit rien. La conversation reprit sur autre chose. 

Le fils de Marie avait été interné la veille, à Sainte-Anne, aux urgences psychiatriques, ramassé dans la rue par la police alors qu’il divaguait. 

J’achevai mon verre et me remis à sourire au vide.

Plus tard, Pierre se tourna à nouveau vers moi, terrifié. De nouvelles personnes – un couple- venaient d’arriver. Il semblait affolé.

Je ne les connais pas, je ne les connais pas, me répéta-t-il plusieurs fois. J’eus soudainement l’impression que nous faisions partie du même clan. Il ne me donne pas très souvent cette impression. J’eus la tentation de lui faire un clin d’œil. Je n’y cédai pas.

Eh bien, lui dis-je, voyant que sa belle-famille s’affairait avec plaisir autour des nouveaux venus, un homme simple et fort d’apparence, plutôt sympathique, et une très jolie femme, tous les deux entre quarante-cinq et cinquante ans, eh bien, je pense que ce sont des amis de tes beaux-parents.

Je ne les connais pas, je ne les connais pas, répéta-t-il, buté.

Je compris alors ce qui se passait. L’homme était en jean et pull over. Il ressemblait à un travailleur manuel. Quant à la jolie femme, très charmante, elle semblait une femme d’origine populaire, intelligente et très courtoise. Pauvre Pierre. Il allait devoir leur serrer la main !

Je ne pus m’empêcher de lui mettre la main sur l’épaule, pour l’encourager. Mais alors il eut un mouvement nerveux de cette épaule là, que j’avais eu l’idée incongrue de toucher. Il eut quelques petits sursauts, et ses lunettes me scrutèrent de travers. Nous n’étions plus du même clan. 

 

Nadège Steene

 

 

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vendredi, 29 mai 2009 | Lien permanent

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