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En belles lies

Claude Bulard, Pierre Fenals, En belles lies

Claude Bulard, compagnon d'études d'une de nos auteurs au Centre de formation professionnalle agricole de la Viti à Beaune, nous a envoyé une lettre que nous publions ici.

Lorsqu'on vante un roman, il parait qu'on parle de culture noble. Alors, lorsqu'on vante le produit d'une culture attentive de la vigne, pourquoi ce serait de la vulgaire publicité ? Cette question nous a poussés à reproduire la lettre de Claude ici, de la même manière que nous reproduirions celle d'un musicien qui nous fait part de son nouveau disque, ou d'un écrivain qui nous envoie une lettre sur le polar qu'il vient de sortir, fruit d'un long mûrissement.

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Alors voici :

 

 

Chers amis,

La soixantaine passée, et après une partie de vie déjà bien remplie, j’ai choisi de réaliser un de mes rêves et d’allier mes passions du travail de la terre et du bon vin. Un coup de bonne folie qui me donne aujourd’hui le plaisir de partager avec vous le produit de mon audace et de ma sueur (hi hi !).

Que j’vous en cause….

Septembre 2009, c’est pour moi et pour Pierre Fenals, un ami vinificateur, le début de la grande aventure avec la création d’une entreprise viticole

 

« EN BELLES LIES »

 

Trois jours avant les vendanges nous mettons en place notre cuverie à Saint-Aubin, au sud de Beaune et de la Côte d’Or, pour y recevoir les raisins sélectionnés et récoltés sur pied par nos soins.

Pendant quatre jours, j’assure la vendange alors que Pierre installe le matériel de vinification, au fur et à mesure qu’il arrive. Le soir et une partie de la nuit nous travaillons ensemble aux opérations de pressage des raisins blancs et d’encuvage des rouges. La tonnellerie se met rapidement en place et nos jus pressés trouvent les conditions adaptées à un élevage de qualité.

 

Notre philosophie du vin…

Notre démarche est orientée vers l’élevage naturel du vin, sans intrants et sans soufre afin de lui conserver toutes les caractéristiques de son terroir. Notre approche « bio » nécessite une pratique soignée et une attention constante, depuis la vendange jusqu’à la vente de la bouteille.

Depuis 2010, nous exploitons 2,5 ha de vignes ; sur les Hautes Côtes de Beaune et sur les Maranges. Nous y pratiquons une culture respectueuse de l’environnement, selon les principes de la biodynamie. Les terres sont labourées et les traitements effectués à base de produits naturels, avec pour objectif de produire le meilleur raisin pour le meilleur vin.

Mars 2011, après 18 mois d’élevage attentif en fûts, nos premiers vins 2009 sont prêts pour être mis en vente. Depuis, ils ont acquis une réputation certaine. Nous vous offrons aujourd’hui une gamme de produits déjà « goûtés » par les professionnels de la filière et appréciés pour leurs qualités.

Notre marché s’étend sur la France et à l’étranger. En France nous touchons les particuliers et les professionnels. A l’étranger, « En Belles Lies » est connue et reconnue au Japon et aux Pays Bas. L’Angleterre et les USA sont également fort intéressés.

 

Nous faire connaître…

Je vous propose de déguster ce que nous avons réalisé, de devenir nos meilleurs ambassadeurs en appréciant nos produits et en les faisant apprécier à vos amis, aux amis de vos amis ...

Notre cuverie vous est ouverte et je me ferai une joie de vous y accueillir. N’hésitez pas à me joindre, j’aurai plaisir à vous retrouver.

 

Notre gamme

Nous proposons une gamme de dix vins, cinq blancs et cinq rouges sous les appellations suivantes : Bourgogne Aligoté, Bourgogne, Monthelie, Puligny-Montrachet et Santenay pour les blancs ; Hautes Côtes de Beaune, Aloxe-Corton, Beaune Grèves 1er Cru, Maranges « Le Saugeot » et Maranges « Les Clos Roussots » 1er Cru pour les rouges.

 

Nous joindre

La Maison « En Belles Lies » et le détail de nos vins vous sont présentés sur le site internet www.en-belles-lies.com. Dites que vous venez de ma part.

Vous pouvez également me joindre personnellement :

Email : cl.bld.21@gmail.com

Tél. : 06 15 35 13 51

 

C’est promis, réponse garantie. Et si vous passez par chez moi, n’oubliez pas, appelez-moi, pour un tour de cave…

 

Bien amicalement

 

Claude BULARD

 

 

 

 

 

Les bonnes adresses pour déguster nos vins

 

13 - Saint Remi de Provence

  •  Le Ballon Rouge - 50, av. Ml. Juin - 13210 Saint Rémi de Provence

 

21 - Beaune

  •  Les Caves Madeleine - 8, fg. Madeleine - 21200 Beaune

 

21 - Dijon 

  • Ô Gré du Vin - 106, rue Monge - 21000 Dijon

  • Du Vin Au Vert - 6, bd. De la Trémouille - 21000 Dijon

  • L’Age De Raisin - 67, rue Berbisey - 21000 Dijon

  • Le Potimarron - 4, av. De l’Ouche - 21000 Dijon

 

67 - Hagueneau

  •  L’Essentiel - 2, place du marché aux bestiaux - 67500 Hagueneau

 

69 - Lyon

  • Vieilles Canailles - 14, rue Saint Jérôme - 69007 Lyon

 

69 - Villefranche sur Saône

  • Le Promenoir des Vins - 60, Av. de la Libération - 69400 Villefranche sur Saône

 

75 - Paris

  • Le Basilic - 2, rue Camille Périer - 75007 Paris

  • La Pulpéria - 11, rue Richard Lenoir - 75011 Paris

  • Les Fines Gueules - 43, rue Croix des Petits Champs - 75001 Paris

  • Le Bec Rouge - 1, rue d’Alençon - 75015 Paris

  • Tombé du Ciel - 7, rue d’Enghien - 75010 Paris

  • Le Tonneau des Halles - 28, rue Montorgueil - 75001 Paris

  • La Halle aux Vins - 47, Ter Bd. Saint Germain - 75005 Paris

  • Le Bistrot de l’Agape - 75, Ave .Niel - 75017 Paris

 

89 - Blannay

  • Naturellement Vin - 2, rue de la Tourelle - 89200 Blannay

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mardi, 21 août 2012 | Lien permanent | Commentaires (1)

Ainsi soit-il, ainsi pense-t-il

 

James Allen, As a man thinketh, 1902

AlmaSoror a entrepris la traduction depuis l'anglais du fameux opuscule publié en 1902,  As a man thinketh, de James Allen. James Allen est le grand inspirateur du développement personnel et des méthodes de "self-help", de travail autonome sur soi en vue de se créer une vie meilleure. On trouve peu d'informations sur lui sur la Toile francophone, ceux qui parlent anglais seront plus gâtés.

Nous proposons aujourd'hui le premier chapitre, l'opuscule complet étant lisible ici.

L'esprit est le pouvoir qui façonne et créée,
Et l'homme est esprit, et de plus en plus il s'empare de l'outil de la pensée ; et, modelant ce qu'il désire, suscite mille joies, mille maladies : - il pense en secret et la chose advient : le milieu qui l'entoure n'est que son miroir.

Sommaire

 

Avertissement

La pensée et le caractère

 

Avertissement

Ce petit volume (le résultat de la réflexion et de l'expérience) n'est pas conçu comme un traité exhaustif sur le très ressassé sujet du pouvoir de la pensée. Plus suggestif qu'explicatif, son intention est d'aider les hommes et les femmes à découvrir et percevoir cette vérité :

«Nous sommes nous-mêmes nos propres créateurs »...

… par les pensées que nous choisissons et encourageons. L'esprit est le maître-tisserand, de la toile interne de son caractère, comme de la toile externe des circonstances de sa vie. Et si nous avons jusqu'ici tissé dans l'ignorance et la douleur, nous pouvons maintenant tisser dans la lumière et le bonheur.

James Allen

Avenue du Grand Parc
Ilfracombe, Angleterre

 

Ainsi pense-t-il, ainsi soit-il

La pensée et le caractère

Cet aphorisme : « L'homme est comme les pensées de son âme» (Proverbes 23-7) ne concerne pas seulement l'être humain dans son intégralité, mais s’étend aux conditions et aux circonstances de sa vie. Un homme est littéralement ce qu'il pense ; sa personnalité résulte de la somme de toutes ses pensées.

De même que la plante vient de la graine et n'existerait pas sans elle, chaque acte d'un homme vient des graines secrètes de sa pensée et n'aurait pu avoir lieu sans elles. Ceci s'applique autant aux actes dits spontanés, ou non prémédités, qu'à ceux qu'on exécute délibérément.

L'action est la floraison de la pensée ; la joie et la souffrance en sont les fruits. Ainsi, l'homme recueille-t-il les fruits, doux et amers, de son jardinage.

(En notre esprit la pensée nous a conçus, ce que nous sommes fut forgé et édifié par la pensée.
Si l'esprit d'un homme contient des pensées diaboliques, la douleur vient sur lui comme la charrue derrière le bœuf.
S'il persiste dans la pureté de pensée, la joie le suivra comme son ombre – c'est certain).

L'homme n'est pas une création artificielle, il croît selon les lois de la nature, et le rapport entre la cause et l'effet est aussi absolu et implacable dans le royaume caché de la pensée qu'il l'est dans le monde des choses visibles et matérielles. Un caractère noble et divin n'est pas une faveur, ou une chance, mais le résultat naturel d'efforts continuels pour penser juste, la conséquence de la fréquentation assidue de divines pensées. En vertu du même processus, un tempérament ignoble et bestial ne résulte que de l'entretien continuel de pensées serviles.

L'homme se fait ou se défait lui-même. Dans l'arsenal de sa pensée, il forge les armes qui le détruiront ; il y façonne également les outils au moyen desquelles il se construira les célestes manoirs de joie, de force et de paix. Par ses choix justes, par la pertinence de sa pensée, l'homme s'élève à la perfection divine ; tandis que l'abus, le manque de diligence dans la pensée l'abaissent au niveau de la bête. Tous les échelons de la personnalité humaine se situent entre ces deux extrêmes, et chaque homme en est créateur et maître. Parmi les merveilleuses vérités se rapportant à l'âme humaine que notre époque a restaurées et amenées à la lumière, aucune n'est plus réjouissante que celle-ci – l'homme est le maître de ses pensées, le sculpteur de son caractère, le façonneur de ses conditions, de son environnement, de son destin.

Être de pouvoir, d'intelligence et d'amour, Seigneur de ses propres pensées, l'homme possède la clef de chaque situation, en lui se trouve l'organisme de transformation et de régénération qui lui permettra de devenir ce qu'il veut.

L'homme est toujours le maître, même dans son état le plus faible, le plus abandonné, le plus dissolu. Car dans sa faiblesse et sa dégradation, il est le maître insensé qui dirige sa maison de travers. Lorsqu'il se met à réfléchir sur sa condition, à rechercher diligemment la loi qui régit son être, il devient alors un maître sage, orientant ses énergies avec intelligence, façonnant ses pensées pour des aboutissements féconds. Ainsi agit le maître conscient. Et l'on ne devient ce maître conscient qu'en découvrant à l'intérieur de soi-même les lois de la pensée ; cette découverte est affaire d'application, d'autoanalyse et d'expérience.

Comment sont obtenus l'or et les diamants ? Par la recherche, par l'extraction en profondeur. Et les hommes peuvent trouver toute vérité raccordée à leur être s'ils creusent à fond la mine de leur âme. Ils éprouveront de manière infaillible qu'ils sont les maîtres de leurs caractères, les sculpteurs de leurs vies, les bâtisseurs de leurs destins, s'ils s'attachent à observer, à contrôler, à ajuster leurs pensées, en traquant les conséquences de ces pensées sur eux-mêmes et sur autrui, sur leur vie et sur les circonstances, en découvrant les liens entre les causes et les conséquences par la pratique et l'investigation, en utilisant chaque expérience, même la plus triviale, même la plus quotidienne, comme un moyen d'obtenir cette connaissance de soi qui est intelligence, sagesse et pouvoir. C'est dans cette direction, plus que dans aucune autre, que l'on retrouve la loi absolue : « Cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l'on vous ouvrira » (Évangile) ; c'est en effet par la patience, par la pratique, par l'incessante sollicitation que l'homme peut passer la Porte du Temple de la Connaissance.

 James Allen, 1902

James Allen

 Traduction d'édith de CL

 L'intégralité de la traduction est disponible sur cette page.

 

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jeudi, 15 mars 2012 | Lien permanent

Ultra-conservateurs et Ultra-libérés, vos enfants ne connaissent-ils pas la misère intérieure ?

 jumeaux.jpg

Un billet d'Hélène Lammermoor

 

Faut-il lire Sida mental, de Lionel Tran, en écoutant Miserere Nobis d'Henryk Gorecki ?

Imploration

 

Il est temps de s'intéresser aux enfants sacrifiés par la libération sexuelle. Nous connaissons les souffrances des écoles catholiques, les tortures mentales des curés, les sévérités extrêmes des parents rigides, les perversions hypocrites des éducations religieuses, nationalistes, rigoristes.

 

Mais dans le film Mai 68, mes parents et moi de Virginie Linhart comme dans le texte de Lionel Tran, c'est du saccage effectué par les libérés sexuels qu'il est question.

Dans le film, un fils de féministe raconte qu'il entendait les copines de la mère relater un viol et exulter à l'idée d'arracher les couilles à tous les mecs pour se venger. La nuit, ensuite, il ne dormait pas, les cheveux dressés sur la tête. Une fille se souvient de passer des journées et des soirées seule, à regarder la famille normale d'en face, les déjeuners et dîners des parents et enfants autour de la table, et rêvant de tels rassemblements. Jugement parental tranchant : tu ne veux tout de même pas être une ridicule petite bourgeoise ?

Parents imbus d'eux mêmes qui piétinent les émotions de leurs enfants au nom de leur idéologie ! Non, la libération sexuelle n'a pas libéré l'enfance de la toute-puissance parentale. Elle en a modifié les codes.

 

De même que l'ex-Mao Claire Brière-Blanchet (dans Voyage au bout de la révolution) regrette la mort de sa fille qu'elle attribue à son engagement de libérée (je suis une sale bourgeoise et je dois me faire baiser par des ouvriers aux réunions politiques, je ne dois pas m'occuper petit-bourgeoisement de mes enfants, mais au contraire les abandonner à la maison pour aller faire la révolution), de même, Rudyard Kipling dessoûlé d'un coup de ses propres nectars mystico-guerriers, regretta la mort d'un fils qu'il avait poussé à s'engager sur le front avant même l'âge requis tandis que lui restait à écrire chez lui.

 

Sacrifier son enfant à Dieu ou au sexe, à la patrie ou à la révolution, à la droite ou à la gauche, à la norme ou à la transgression, c'est tout comme.

 

Les enfants, dans les deux scénarios, ne sont pas des êtres de chair et d'os mais des témoins d'un engagement.

 

Faire dix gosses, affubler les fillettes de longues jupes et raser les garçons, les embrigader dans des camps où soumission et confession détruisent la liberté, ou bien changer de partenaire tous les deux ans, pondre des gamins de temps en temps avec diverses personnes, et leur laisser entendre qu'on baise avec un pote dans la pièce à côté, c'est tout comme.

 

Même déconnexion totale entre les idées éducatives et la réalité du cœur et du corps des petits êtres qui poussent. Même oubli qu'un homme est un mammifère et un poète, avec des besoins collectifs et des désirs individuels qui n'appartiennent pas au monde des idées, religieuses ou politiques, mais au cœur de l'expérience quotidienne.

 

Être l'enfant d'un parent qui trouve consternant l'image d'une famille tranquillement assise autour de la table pour déjeuner ; être l'enfant d'une mère contente de faire enfin subir à son fils ce que des filles ont longtemps subi par leurs pères (l'humiliation, le mépris sexuel, la haine sournoise, la pitié assassine) ; être l'enfant de parents qui trouvent merveilleux de baiser devant leurs gosses, d'embrasser des inconnus dans la rue pendant qu'il attend à côté, seul dans l'immensité de son désespoir.

Et surtout, être l'enfant de parents fiers de leur révoltes, qui considèrent que leurs rejetons sont de petits bourgeois à tendance conservatrice. Comment, enfant de sperme inconnu, tu souhaites savoir qui es ton père ? Bourgeois ! Minable ! Ben quoi ? Ça te déplaît que j'ai payé 250 000 euros une mère porteuse pour te confectionner ? Nullard ! Bigot ! Crachouillis d'un autre siècle !

 

Il y a tant de points communs entre les familles chrétiennes et musulmanes traditionalistes et entre les enfants des libérés sexuels ! C'est presque la même éducation sauf que c'est l'inverse. Écraser son enfant sous le poids de son propre plaisir, le punir de ses propres frustrations, c'est ce que font les parents ultrareligieux et les parents ultralibérés.

 

Agenouille-toi ! Dans un cas ; Baise ! Dans l'autre. Avec la même certitude d'être génial, et que si le gosse rechigne, c'est qu'il n'a pas sa place au paradis/dans la société.

 

rêve postbain.jpg

 

 (post scriptum épuisé :

Mais le plus douloureux, c'est de voir que, vieillissants, nos parents trahissent eux-mêmes les idées pour lesquelles ils nous ont tant fait souffrir.

La fille de Mai 68 qui passait ses soirées seule à six ans... voit ses parents emmener leurs petits-enfants au Square et trouver cela délicieux.

Le fils fracassé, rendu impuissant par la peur de la damnation... découvre que son père qui tenait la cravache morale couchait avec sa belle-soeur.

Et cette fille qui a assisté l'année dernière au remariage de son père. Il y avait des petits coeurs sur les assiettes. Ne l'avait-elle pas entendu, à des âges très tendres, ricaner sur l'ordre bourgeois et lui raconter, avec force détails, mots crus, délectation vulgaire, dans quelles positions humiliantes il b... ses collègues féminines, dans ses locaux professionnels ?)

Hélène Lammermoor

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samedi, 26 novembre 2011 | Lien permanent

Les oiseaux de passage

Nuages sur la mer.jpg

Sables d'Olonne, par Sara

Un poème de Jean Richepin, sur la domesticité et la liberté.
On peut l'écouter chanté par Georges Brassens. 
On peut aussi lire
Le chien et le loup, de Jean de La Fontaine, qui évoque le même thème. 

Les oiseaux de passage

C'est une cour carrée et qui n'a rien d'étrange :
Sur les flancs, l'écurie et l'étable au toit bas ;
Ici près, la maison ; là-bas, au fond, la grange
Sous son chapeau de chaume et sa jupe en plâtras.

Le bac, où les chevaux au retour viendront boire,
Dans sa berge de bois est immobile et dort.
Tout plaqué de soleil, le purin à l'eau noire
Luit le long du fumier gras et pailleté d'or.

Loin de l'endroit humide où gît la couche grasse,
Au milieu de la cour, où le crottin plus sec
Riche de grains d'avoine en poussière s'entasse,
La poule l'éparpille à coups d'ongle et de bec.

Plus haut, entre les deux brancards d'une charrette,
Un gros coq satisfait, gavé d'aise, assoupi,
Hérissé, l'œil mi-clos recouvert par la crête,
Ainsi qu'une couveuse en boule est accroupi.

Des canards hébétés voguent, l'oeil en extase.
On dirait des rêveurs, quand, soudain s'arrêtant,
Pour chercher leur pâture au plus vert de la vase
Ils crèvent d'un plongeon les moires de l'étang.

Sur le faîte du toit, dont les grises ardoises
Montrent dans le soleil leurs écailles d'argent,
Des pigeons violets aux reflets de turquoises
De roucoulements sourds gonflent leur col changeant.

Leur ventre bien lustré, dont la plume est plus sombre,
Fait tantôt de l'ébène et tantôt de l'émail,
Et leurs pattes, qui sont rouges parmi cette ombre,
Semblent sur du velours des branches de corail.

Au bout du clos, bien loin, on voit paître les oies,
Et vaguer les dindons noirs comme des huissiers.
Oh ! qui pourra chanter vos bonheurs et vos joies,
Rentiers, faiseurs de lards, philistins, épiciers ?

Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne
Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;
Ca lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.

Ce dindon a toujours béni sa destinée.
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs : " C'est là que je suis née ;
Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir. "

Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncque 
Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.

Elle ne sentit pas lui courir sous la plume
De ces grands souffles fous qu'on a dans le sommeil,
pour aller voir la nuit comment le ciel s'allume
Et mourir au matin sur le coeur du soleil.

Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie
Toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux
Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie
Ou de n'en plus avoir ou bien d'en avoir deux.

Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !
Qu'ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,
Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,
De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !

N'avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,
Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans !

Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l'espace,
Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol
En forme de triangle arrive, plane et passe.
Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !

Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte
Qui brise les soupirs de leur col redressé,
Et sautent dans le vide avec une culbute.
Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.

Les poules picorant ont relevé la tête.
Le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant,
Clignant de l'œil en l'air et secouant la crête,
Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.

Qu'est-ce que vous avez, bourgeois ? soyez donc calmes.
Pourquoi les appeler, sot ? Ils n'entendront pas.
Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes,
Crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas ?

Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
L'air qu'ils boivent feraient éclater vos poumons.

Regardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère,
Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,
Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,
Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.

Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
Ils pouvaient devenir volaille comme vous.
Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,
Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.

Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe !
Là-haut chante pour eux un mystère profond.
A l'haleine du vent inconnu qui les porte
Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.

La bise contre leur poitrail siffle avec rage.
L'averse les inonde et pèse sur leur dos.
Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage.
Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.

Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace.
Là-bas, ils trouveront de l'amour, du nouveau.
Là-bas, un bon soleil chauffera leur carcasse
Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.

Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,
C'est l'horizon perdu par delà les sommets,
C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève
Où votre espoir banal n'abordera jamais.

Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !
Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux.
Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.
Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.

 

Jean Richepin

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vendredi, 08 octobre 2010 | Lien permanent | Commentaires (2)

Voltaire, Saint-Simon et le Roi-Soleil

 

gare de Dijon, chez Paul

 

Nous livrons un extrait de Saint-Simon, par Gaston Boissier, publié en 1892 dans la collections "Les grands écrivains français". Boissier relate comment Voltaire adula le siècle de Louis XIV autant que Saint-Simon l'execra.

Voltaire

Voltaire

 

Si nous voulions nous donner le plaisir de voir comment les mêmes faits peuvent changer d’aspect suivant le côté d’où on les regarde, nous n’aurions qu’à comparer les Mémoires de Saint-Simon au Siècle de Louis XIV de Voltaire. Quoiqu’ils aient travaillé souvent sur les mêmes documents et consulté les mêmes personnages, rien ne diffère plus que la façon dont ils jugent le Roi. Ce qui indigne l’un est justement ce qui cause à l’autre l’admiration la plus vive. Cette tendance à égaler toutes les classes de la nation sous l’autorité royale, Voltaire l’aperçoit comme Saint-Simon, mais au lieu de la blâmer, il y applaudit. Je ne sais s’il en a bien aperçu les conséquences politiques ; elles l’auraient peut-être effrayé, car, en politique comme en littérature, il était conservateur ; mais il est charmé des effets qu’elle a produits pour la vie sociale en France : c’est de ce relâchement des règles de l’ancienne hiérarchie, de ce mélanges des diverses conditions qu’est sortie la société française du XVIIIème siècle. Voltaire, dont elle est le milieu véritable, en a fait un tableau séduisant qui est une des belles pages de son livre. Autrefois, dit-il, chacun était enfermé dans son état, et chaque état se reconnaissait à ses défauts. « Les militaires avaient une vivacité emportée, les gens de justice une gravité rebutante, à quoi ne contribuait pas peu l’usage d’aller toujours en robe, même à la cour. Il en était de même des universités et des médecins ». Tout est changé ; en renonçant au costume, il semble qu’on ait quitté l’esprit particulier de sa profession. Tout le monde se rapproche ; les qualités des hautes classes se communiquent aux autres ; la politesse qui était le privilège de quelques hôtels pénètre jusqu’au fond des boutiques. « L’extrême facilité introduite dans le commerce du monde, l’affabilité, la simplicité, la culture de l’esprit, ont fait de Paris une ville qui, pour la douceur de la vie, l’emporte probablement de beaucoup sur Rome et sur Athènes dans le temps de leur splendeur ». Voilà pourquoi les étrangers y affluent ; ils viennent y goûter les agréments d’une vie livre, aisée, dont ils n’avaient pas l’idée ; ils sont heureux de fréquenter ces sociétés où les rangs sont mêlés, où personne n’apporte les préjugés de sa condition, où chacun ne vaut que par son mérite ; et ils s’en retournent dans leur pays avec l’éblouissement de ce monde qu’ils ont entrevu et dont ils essaient d’introduire chez eux une image fort imparfaite. C’est ainsi que la France est devenue le modèle de toutes les autres nations.

 

Saint-Simon, Louis de Rouvroy, Ferté-Vidame

Saint-Simon

 

 

Saint-Simon, on le comprend, parle d’un autre ton. Tout ce que Voltaire célèbre lui déplait et l’irrite. L’affluence des étrangers, dont on est si fier, ne le flatte guère : « Quel bon pays, dit-il, est la France, à tous les escrocs, les aventuriers et les fripons ! » Il a remarqué, lui aussi, comme un indice grave, que chacun renonce au costume de sa profession. L’exemple vient des ministres qui ont quitté le manteau, le rabat, l’habit noir, l’uni, le simple, le modeste, et se sont habillés comme les gens de qualité. Il est suivi par les conseillers d’Etat, les intendants de finance, les magistrats qui se permettent de porter le velours, « puis il gagne les avocats, les médecins, les notaires, les marchands, les apothicaires, et jusqu’aux gros procureurs ». C’est le signe extérieur d’une horrible confusion qui le désole ; il la regarde « comme une image de l’enfer, où nul ordre ne règne ». En 1712, lorsqu’il écrivait dans le silence ses Projets de rétablissement du royaume de France, il espérait encore qu’on pourrait guérir « ces légers Français de cette lèpre d’usurpation et d’égalité », mais au moment où il rédige ses Mémoires, il ne se fait plus aucune illusion ; il se sent vaincu ; il se regarde comme un homme du passé, « il se répute mort et sa dignité éteinte ». S’il continue, par désoeuvrement, par habitude, à faire des recherches sur les grandes maisons de France, et à s’occuper des privilèges des ducs et pairs, il sait bien que personne ne le lira, et qu’il « écrit pour la beurrière ». Mais en reconnaissant sa défaite, il ne s’y résigne pas ; il se retourne avec colère contre celui dont tout le mal lui semble venir (Louis XIV). Les années qui se sont écoulées depuis qu’il est mort n’ont rien diminué de son ressentiment. Outre que ce n’est pas son habitude d’oublier et de pardonner, le spectacle, qu’il a chaque jour sous ses yeux, de ce monde où tous les rangs sont mêlés, « où personne ne se connaît plus », ce spectacle qui fait la joie de Voltaire, ranime sans cesse sa haine et l’entretient dans sa fraîcheur. Voilà ce qui explique qu’il ait traité si durement Louis XIV.

 

Gaston Boissier

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jeudi, 27 janvier 2011 | Lien permanent

Université d’antan, amis de demain

 

 

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Je me souviens de l’université et de ses déchirantes disputes qui nous tenaient éveillés jusque tard dans les bars de la nuit de Genève. Français, Allemands et Suisses Allemands, quelques Belges, nous formions un groupe européen ambitieux et arrogant. Nous pensions pourtant que nous étions humbles et généreux.
 

A cette époque, je croyais en l’avenir, sans doute parce que la jeunesse me tenait éveillé tard dans les bars de la Nuit de Genève, que la maison familiale zurichoise paraissait lointaine et que les filles qui se criaient les plus féministes se pendaient à mes bras méchants sans retenue. Depuis j’ai connu la vérité de l’arrogance – sa face cachée, laide – et la vérité de l’amour vrai. Alors ma jeunesse m’apparaît comme une fougue chargée d’erreurs. 
 

Nous étions de gauche comme les jeunes de demain seront de droite : avec la certitude d’être l’apogée de la pensée et d’avoir raison pour les siècles des siècles. Hélas, la raison, la certitude et le mépris passent moins vite que les idées qu’ils véhiculent. 
 

Je ne me rappelle pas avoir beaucoup réfléchi à la mort. Je ne m’imaginais pas malade, encore moins mourant. J’avais de temps en temps peur d’un accident de motocyclette et quand je croisais quelqu’un qui me semblait, en âge et en style, proche de moi, en fauteuil roulant, aveugle, handicapé, je détournai les yeux, traversé d’un doute effrayant. Mais ce doute se noyait l’instant suivant dans une occupation ou une pensée vivante. 
 

Ces gens d’alors, je ne les revois plus beaucoup. 
 

 

Puis j’ai enseigné à la faculté. Ma carrière s’annonçait bien, quoique je précise à tout un chacun que j’étais bien trop intègre, audacieux et rebelle pour faire carrière. Puis je suis tombé malade. Alors le rideau de fumée qui s’installait toujours entre moi et la vie s’est déchiré. Je me suis trouvé seul face à moi-même. La confrontation fut rude. Nous fûmes tous les deux déçus : l’Axel social et l’Axel profond. Le premier découvrait un monde de sentiments et de paradoxes qu’il aurait voulu ignorer. Le second comprit qu’il n’y avait rien à tirer du premier et qu’il faudrait s’en sortir avec ses seules forces vitales, animales, ancestrales. Alors je rencontrai de vrais amis.
 

D’abord, Esther. Esther, ma plus belle ennemie. Elle était seule, en longue robe, au fond d’un grand salon de Genève quand je la rencontrai. Je venais d’apprendre ma maladie. Elle ressemblait à la fois à un rêve de jeunesse et à un ange de mort. Elle trônait seule, reine méprisée de cette soirée faussement élégante. Elle seule était élégante, c’est sans doute pour cela que personne ne lui parlait. Quel événement nous attira l’un vers l’autre ? Je l’ai oublié. Nous parlâmes et j’adorai le son de sa voix. Ses mots sonnaient étranges. C’était la première rencontre entre un intellectuel militant d’extrême gauche et une catholique traditionaliste de droite en déshérence. 
 

Esther m’accompagna mois après mois, le long de ce parcours de malade en état perpétuel d’aggravation. Je rêvai bien sûr assez vite à une histoire, mais Esther ne se détourne que très rarement de sa vie spirituelle, et lorsque cela lui arrive les heureux élus sont des femmes et des transsexuels. Elle qui, raide et intransigeante, défend sans cesse la famille traditionnelle, l’ordre moral et religieux, la patrie et la fidélité aux cultures européennes, préfère sombrer dans les bras de dépravées des bas fonds de la banlieue parisienne ou bien dans les bras d’autres échouées du catholicisme tridentin. Mais je lui pardonnai le dépit que ces préférences étranges me procurèrent et Esther, encore aujourd’hui, est l’Amie de mon cœur. 
 

Ensuite, Edith. Je la rencontrai par Esther, qui m’en parlait beaucoup. Elle, entre chien et loup, entre gauche et droite, entre religion et athéisme, entre spiritualité et matérialisme, entre confort et misère, entre mondanité et solitude, sut parcourir les quelques ponts qui séparaient Esther et moi et nous accompagner, à travers disputes et incompréhensions, sur les chemins de l’amitié. Longs et incertains, ces chemins n’en sont pas moins les plus beaux. 
 

Enfin, Mayeul. Encore un Français, mais lui a une mère suisse allemande. Nous conversons toujours en allemand.  Mayeul est contrebassiste. Il a perdu son père anarchiste dans une manifestation violente quand il avait treize ans. Il visite sa sœur en prison chaque semaine. Il me visite à l’hôpital chaque semaine aussi. Mayeul a sa musique qui l’a tenu loin des drames et qu’il joue pour nous, ses amis et ses proches cassés. Mayeul, tu sais que tu auras compté plus que tout dans ma vie. Si j’ai vécu d’une belle façon, c’est grâce à toi. Je te dois les conseils du temps de Julie, le soutien et des reproches durs mais bons après notre séparation, et cet accompagnement fidèle, incorruptible depuis la maladie. Mayeul, il est difficile de te souhaiter de belles aventures dans la vie car trop de gens autour de toi sont morts vivants, ou si blessés. Mais sache que tu es notre arbre de vie. J’espère qu’un jour, nous partis, tu vivras enfin heureux, entouré de gens sages et attentifs. La vie que tu méritais et qui ne t’as pas été donnée. 
 

Ces souvenirs des arrogances universitaires, de la fracture entre mes deux vies, de la naissance des vraies amitiés, toujours la présence de mon fantôme adoré Julie… J’ai écrit tout cela avant que naisse l’aube, ne dormant pas. Je le poste maintenant sur mon journal en ligne, je l’envoie par ma fenêtre de la Toile, et qui sait peut-être d’autres dépités trouveront dans ces souvenirs si particuliers et si communs l’image de leur propre route, regrettable et nostalgique. 
 

Ah, vieillir. 

 

AXEL Randers

 

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lundi, 17 août 2009 | Lien permanent

Ces bêtes qu’on abat : Déjeuner dans une crêperie du Morbihan

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Déjeuner dans une crêperie du Morbihan

 

Après ma deuxième visite d’abattoir de la journée, nous approchons de l’heure du déjeuner.

 

Je pars donc à la recherche d’une crêperie, de quelque chose de typique. J’avais en effet besoin d’un cadre agréable qui me dépayserait, qui me ferait oublier les atrocités que j’avais vues dans les abattoirs du matin. J’entre dans un petit bourg où je suis certain d’en trouver une : il y a toujours une crêperie quelque part en Bretagne. Bien joué ! Je gare ma voiture juste devant et je sors mon chien pour le promener un peu. Mon fidèle compagnon, toujours avec moi lors de mes déplacements, aura sa part de crêpes.

 

Nous entrons dans la crêperie, la gérante nous accueille en chaussons et vêtue d’un tablier de cuisine. Le cadre est un peu vieillot, mais suffisamment agréable pour ma petite personne. Ça sent bon les crêpes, mon appétit vient. Je m’installe à une table qui comprend deux places, je n’ai invité personne, je serai donc tout seul.

 

La patronne me tend la carte. Mon choix est vite fait, je prends une galette aux champignons, j’adore les champignons. Et surtout pas de viande, j’en ai assez vu durant la matinée, et de toute façon je ne la digère pas bien ! Ma place est au milieu de la salle sur une petite table, de laquelle je peux observer tout ce qui se passe. Les cartes présentent encore le double affichage en euros et en francs. Quatorze francs la galette aux champignons… qui dit mieux ? et au blé noir, bien sûr. Les photos des petits-enfants de la famille sont accrochées sur les murs.

 

Les clients attendent longtemps avant d’être servis, ces pauvres dames ne sont que deux pour la cuisine et le service. Elles sont débordées, ne laissent pas paraître leur stress et pourtant elles courent beaucoup. Ça y est, la patronne me sert ma galette et ma bouteille de cidre brut. Bon sang qu’elle est bonne, je me régale ! J’ai vraiment besoin de me détendre, mais dans ma tête je repasse les visites des deux abattoirs. Pire, je prends des notes qui me serviront à établir les comptes rendus. Mes voisins de table se demandent ce que je peux bien écrire, ça me donne un air important. Le cidre brut, au bout de quelques bolées, me faisait tourner la tête.

 

Je commande à présent une crêpe sucrée aux pommes. La gérante m’apporte ma crêpe, me fait croire qu’elle n’a plus de pommes et qu’elle est obligée de les remplacer par de la compote, alors que de toute façon, sur la carte, il est indiqué « crêpe compote » ! Elle aussi s’imagine que je suis quelqu’un de sûrement important à mon allure, et puis j’écris pendant que je mange. Elle voit bien que je ne suis pas d’ici. L’ambiance de cette crêperie me paraît irréelle, décalée dans le temps.

 

Tiens, la patronne s’est trompée, elle vient d’apporter une bouteille de cidre à moitié pleine à des clients singuliers. À d’autres qu’elle connaît, elle lance : « Alors Bernard qu’est-ce que je te sers ? ». Une choucroute répond-il. Et là, je pensais que c’était une plaisanterie, un peu parano, je me demandais comment ils pouvaient savoir que j’étais alsacien ? Mais en fait, je n’y étais pas, la choucroute est bien inscrite au menu de ce jour. Eh oui ! Mais que l’on se rassure, servie avec du lard et des saucisses bien de Bretagne, sûrement extraits des cochons provenant d’élevages intensifs que j’avais vu se faire tuer le matin même.

 

L’endroit est passablement enfumé. Cette fumée épaisse, grasse et lourde, ne provenait pas des cigarettes. Elle nous arrivait de la cuisine dont la porte était grande ouverte. Les allées et venues de la patronne et de la cuisinière entre la cuisine et la salle de restauration, contribuaient à répandre ce brouillard lourd de graisse et de cuisson dont personne ne semblait être importuné. Tout le monde paraissait s’en accommoder. On peut voir que les clients sont des habitués du repas de midi, ils connaissent la maison. Mais, s’ils sont habitués, qui suis-je au milieu d’eux ?

 

D’ailleurs, les tables sont prêtes d’avance. Sur chaque table, les bouteilles sont disposées de manière particulière, tel un rituel. Elles sont même déjà ouvertes, et parfois même entamées. Si leur déjeuner est ainsi toujours programmé, comment leur vie doit-elle être?

 

Le cidre que je bois est brut, un peu comme le gens du coin qui sont durs comme le granit (mais chaleureux lorsqu’on prend la peine de les connaître). Il semble que le climat et la rusticité de la vie d’ici y sont pour quelque chose. Nous sommes en centre Bretagne, en l’an deux mille un. C’est la dernière crêperie du coin, m’a-t-on dit. Les anciens forcenés de la crêpe terminent leur longue vie professionnelle en fermant leur boutique. Les jeunes, même du coin, ne veulent pas reprendre, ni continuer.

 

Tiens, des gens qui se donnent de l’importance, ils ont même une cravate. C’est certain, il faut les prendre en considération, ils doivent travailler dans des bureaux et bien gagner leur vie. Peut-être travaillent-ils dans les bureaux des abattoirs que j’avais visités ? Des gens importants quoi ! Peut-être des commerciaux venus de grandes agglomérations, j’en ai souvent rencontrés. Allons, à quoi bon se pavaner comme cela ! Pourquoi en mettre plein la vue ? C’est aussi pour cela que les jeunes partent et quittent leur campagne. On leur fait croire qu’il y a mieux ailleurs, qu’on peut faire mieux ailleurs, qu’il faut quitter son habit des champs pour l’habit des villes. Allez, venez dans nos grandes villes, vous serez plus chics, plus urbains. Laissez tomber vos sabots pleins de crottin, apprenez le français en suivant l’exemple des bourgeois parisiens de l’époque, car parler le breton cela faisait plouc.

 

L’influence des grandes villes vient entacher ma crêperie authentique. Tout change, tout bouge, et la patronne un jour ne mettra plus ses chaussons pour accueillir des clients égarés comme moi… Mais qui sait, peut-être qu’un restaurant végétarien prendra le relais lorsque les consommateurs seront prêts !

 

 

 

 

 

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dimanche, 13 janvier 2013 | Lien permanent

Mélanie des Vosges

 

Deuxième atelier avec Patrick Goujon, le 11 mai, dans le cadre de sa belle résidence : deuxième aventure incertaine, transformation intérieure subtile.

Nous, auteurs, devions écrire à partir d'éléments biographiques d'un lycéen du micro-lycée de Sénart.

 

Mélanie des Vosges

1

Le dimanche, elle se levait avec l'aube et marchait vers les hauteurs de Cornimont. Sous la ligne bleue des Vosges, elle respirait l'air pur, regardait avec envie les chalets des riches, et c'était beau, mais ce qui était immense, c'était d'imaginer qu'un jour elle serait le premier être humain à la peau presque noire à recevoir la médaille Fields. Les mathématiques ? Le sport dont elle deviendrait la championne – et sa mère aux yeux verts serait vengée du mépris.

 

2

Huit ans et des bottines usées aux pierres des sentiers, huit ans et le pompon blanc du bonnet de laine fondu dans les étendues de neige, huit ans et la peur de ne plus retrouver la route pour retourner à Cornimont.

Les parents, la mère si douce, le père silencieux, attendaient sans comprendre. Toutes les fillettes du village regardaient la télévision, toutes sauf la leur.

La marche, l'angoisse, la fatigue ; soudain un enclos au bout du chemin.

Un petit poney la regardait venir, intrigué, rassurant. Il s'appelait Sauveur, mais elle ne le savait pas encore.

 

3

Chaque anniversaire, sa mère devinait ses besoins et lui offrait toute la chaleur du monde. Le père revenait de l'hypermarché avec un cadeau à moins de cinq euros. Plusieurs années de suite, une petite boite de jeux à gratter.

Dire merci et penser : « non merci ».

 

4

Nouveau venu à la maison : un chaton joueur. Comme un frère animal pour transformer les mercredis de solitude. Le premier vrai regard qu'elle connut, car celui de sa mère était noyé dans la douceur moite et celui de son père, luisant d'alcool.

Le chaton ronronnait sur son ventre tandis qu'elle s'abîmait dans les factorisations mathématiques.

Bref. Une enfance d'ouate et de volonté muette, à regarder la neige sale par la vitre embuée de givre.

 

5

Un jour en colonie, la si la sol, un jour en colonie la si la sol infamie.

L'animateur était un homme transgenre. Né femme, il avait fini par rejoindre son sexe d'élection en ingérant des dosettes de testostérone. Ce brutal alcoolique voulait tellement prouver qu'il était un vrai mâle, qu'il tabassa Anne-Lise, une camarade un peu lente à la comprenette.

Bref. Une adolescence à regarder les autres vivre et souffrir à travers un esprit embué d'algèbre.

 

6

Quinze ans.

Après la colonie, peut-être, la vie devint plus compliquée. Trop de douceur maternelle, trop de lourdeur paternelle, trop de fractions dans son esprit, trop de narquoises lueurs dans les regards au lycée.

Le chat, le chat était le seul ami.

Pourquoi manger ? Ne plus manger.

Et les psychiatres. Et ce psychiatre, beau et laid, souriant, irascible, qui lui demanda si elle souffrait d'être noire et si elle avait déjà vu ses parents faire l'amour et si elle croyait vraiment qu'elle avait les moyens de devenir mathématicienne et si elle voulait bien se rapprocher pour qu'il l'ausculte de plus près. Ce psychiatre, la pire rencontre de sa vie.

 

7

Mais Elle, Elle enfin qui prend le train, Elle qui revient. Sa grand-mère, la plus belle rencontre de sa vie.

Cette promenade, dans les jardins autour de l'hôpital : parler des animaux, cueillir des fleurs. Ce cadeau : un carnet de notes pour écrire des poèmes, un carnet de croquis pour peindre.

Sa grand-mère, seul être humain digne d'amour autant que le chaton et que le poulain du chemin perdu, sa grand-mère était revenue la sauver.

Peindre, écrire, oui, ma vieille grand-mère, et dire les mots qu'il faut, faire les gestes qu'ils attendent, pour sortir d'ici.

Manger à nouveau, puisque c'est ta vieille main ridée qui a cuisiné cette tarte, apporté ce pain.

 

8

En attendant la médaille Fields, il y avait la vie à réapprendre. Sa plus grande réussite, c'était d'avoir appris à apprécier les petites réussites qui font le sel du quotidien.

Le bonheur dort dans l'équation résolue, dans la ratatouille mijotée, dans les jeux de pelote de laine avec le chat, dans les chapelets égrenés au fond de l'église de Cornimont.

Le bonheur surgit dans le chant qu'elle entonne à l'enterrement de sa grand-mère, dans la traversée de son village au crépuscule un samedi soir, sans honte ni haine.

En attendant la médaille Fields, elle a déjà commencé à réussir sa vie.

Elle, née il y a presque vingt ans d'un père togolais au chômage et d'une mère lorraine au chômage, par un soir glacé de novembre, au fond d'une cour de Cornimont.

 

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samedi, 21 mai 2016 | Lien permanent

Textos d'un dimanche après-midi

« Il y a des soirs si beaux, en cette saison, dans ce pays, qu'ils vous tordent le cœur comme une serpillière. Et l'on ne sait pas si c'est à cause de tout ce qu'ils offrent, ou bien de tout ce qui nous manque à travers eux. Nous n'avons pas la jeunesse, nous n'avons pas l'amour, nous n'avons pas la gloire, nous n'avons pas l'argent, la vie bat mille fois plus fort ailleurs, avec ses corps exposés, ses désirs satisfaits peut-être, ses grandes affaires, ses rires, sa nervosité, ses grandes idées. Ici nous traversons la campagne dans le silence parfait du soir, parmi l'été déjà sur son déclin. De grandes maisons coites, sur des crêtes offertes, boivent l'immensité du ciel et la lumière apaisée, de toutes leurs hautes fenêtres grandes ouvertes. Est-ce que c'est vivre ? Est-ce que c'est être mort ? La voiture glisse si légèrement qu'on pourrait s'envoler avec elle. Déchirantes déchirées, on croirait s'enfoncer dans les limbes.

À la radio, Michel Dalberto, pour tout arranger, joue merveilleusement deux des dernières sonates de Schubert. »

Renaud Camus, IN Derniers jours, Journal de l'année 1997

 

Il y a quelques jours, un dimanche, un échange de textos entre un homme au repos dans le quartier de l'Opéra et une femme lézardant au soleil d'un dernier étage plus au Nord :

Bénédicte : Aimes-tu la ville de Marseille ?

Alexis : Beaucoup. Je me vois y vivre assez facilement.

Bénédicte : Moi aussi, de plus en plus. Même si c'est assez sale, pour ne pas dire cradissime. Mais le soleil, la chaleur et le relief qui descend sur la mer...

Alexis : Voilà. Et puis la saleté c'est aussi la vie, en un sens. On peut même y voir une forme d'esthétique. Naples est un peu sale mais je ne l'imagine pas plus belle si elle était récurée de fond en comble.

Bénédicte : La saleté comme preuve de vie, je ne sais pas. Jean-Nathanaël me disait la semaine dernière que Belleville était le dernier quartier vivant de Paris avec la Goutte d'Or. Or ce sont surtout les derniers quartiers crades. Le silence, la pureté, la grâce, l'évanescence, la symétrie, l'harmonie, ne sont en rien selon moi des synonymes de mort. Au contraire, ils sont ce qui me fait aimer la vie. La nature sauvage n'est ni sale ni toujours bruyante ou bigarrée. La vie palpite aussi dans le calme.

Alexis : Ne confonds-tu pas la vie cérébrale et la vie humaine ? Je fais souvent cette erreur aussi. L'humain ne vit ni dans une forêt sauvage, ni dans une oeuvre d'art. Mais peut-être ne sommes-nous pas de très bons humains toi et moi.

Bénédicte : Non, mais je me sens justement un animal et je trouve que certains membres de notre espèce se laissent aller à la crasse comme des animaux de ferme qui macèrent dans leur foin. Je préfère les chiens bien léchés de canapés ou les chevaux sauvages. J'avoue que Barbès me paraît constituer une nullité civilisationnelle que je ne confonds ni avec la pauvreté (un village péruvien très pauvre, c'est propre) ni avec l'urbanisme (Copenhague est propre) mais avec un laisser-aller culturel, langagier, physique et moral qui me déplait.

Alexis : Je comprends. Ce Quartier où vit Fabrice est ma limite aussi. C'est vraiment too much.

Bénédicte : Et puis le cerveau est tout aussi naturel que des selles. Pourquoi une rue remplie de crachats serait-elle plus vivante qu'une salle du château de Chantilly ?

Alexis : Parce qu'elle l'est. Déjà c'est une rue de Paris, pas une salle de musée. Je suis certain que tu peux trouver meilleur parallèle à ton propos. Le caractère vivant, au sens de la concentration d'humains dans un lieu, n'est pas incompatible avec la propreté mais c'est souvent le fait d'un contrôle extrême : Disneyland par exemple. Entre la vie de la foule de Disneyland et celle de Barbès, je préfère tout de même Barbès. Moins de contrôle, plus de liberté et donc de licence de saleté, etc.
Mais je ne vivrais ni dans l'un ni dans l'autre, je suis trop comme toi. Mon quartier de l'Opéra est vivant par exemple et pas trop sale mais c'est une foule de touristes et d'acheteurs. C'est une vie étrange, moins imprévisible et poétique que celle de Belleville, de Marseille ou de Naples. Parfois j'ai l'impression que c'est une fausse vie. Scénarisée.

Bénédicte : J'ai l'impression que tu confonds la vie et la multitude. Mon parallèle n'était certes pas bon. Mais le monde est-il plus vivant aujourd'hui que lorsque'il ne comptait que 20 millions d'habitants sur la planète ? Une cage de souris surpeuplée est-elle plus vivante qu'un terrier de mulots dans un champ ?
Oui, remarque, quantitativement il y a plus de vivants. Mais la surpopulation réduit aussi beaucoup l'envergure d'une vie.
La vie scénarisée est pour moi la vraie vie. C'est pourquoi j'aime les rites antiques. Notre beauté animale à nous, tient dans les rites et notre nullité, dans l'agglutinement informe.

Alexis : Pour moi la vie c'est la concentration humaine en effet. Le reste c'est une idée intellectualisée de la vie, quand je regarde une forêt ou l'océan je sais bien qu'ils sont pleins de vie au sens biologique du terme mais je ne me sens pas partie de cela dans ma chair. Quand je suis au milieu de mes semblables, même s'ils sont très différents de moi culturellement ou sociologiquement, je me sens dans la vie. La vie humaine. La vie des foules qui dorment sur elles-mêmes, Tokyo, Calcutta, Paris, Manhattan, quand tu n'es qu'une forme parmi la fourmilière, que tu es à la fois très seul et plein des autres. Que leur vie déborde sur toi, qu'elle te choque et t'agrippe parfois à contre-courant. Je sens alors la vie des hommes et des femmes.
C'est intéressant ce que tu dis sur la vie scénarisée et le rite.

Bénédicte : Incroyable ! Moi je ne me sens pleinement en vie que seule et en silence face à la ligne bleue des Vosges ou à l'océan Atlantique. Ou dans une église romane perdue dans la campagne. Sinon j'ai l'impression d'être dans une queue chez Carrefour. Seul le rite esthétique me permet de supporter la promiscuité car je peux encore rêver d'éternité. Dans la foule, je me sens sans âme, sans identité. Mon corps n'est plus qu'un bout de viande avec un numéro de sécurité sociale.

Alexis : C'est ça. Et pourtant quand tu es seule face à l'océan, tu es juste seule. Comme on le sera au tombeau.

Bénédicte : Une poule en batterie n'est pas seule dans un tombeau.

Alexis : Par définition. Je ne mange que de la volaille de Bresse.

Bénédicte : En fait, peut-être que tout dépend de la manière dont on se sent en relation avec les autres et avec le monde.

Alexis : Exactement. C'était où je voulais en venir.

Bénédicte : Faudrait savoir d'où ça vient.

Alexis : Comme toujours, des névroses personnelles et des expériences. Je pense.

Bénédicte : Oui. Voire des premiers jours passés sur cette terre, des premiers bruits, des premières visions.

Alexis : Et de cette chose étrange qu'on appelle les traits de caractère qui font que deux personnes qui ont vécu les mêmes choses n'y réagissent pas pareil.

Bénédicte : C'est vrai. Les traits de caractère qui sont uniques, comme les traits du visage.

 

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mardi, 27 février 2018 | Lien permanent

Massa

Le jardin de l'hôtel de Massa est si beau que je reste encore longtemps après la fin du Comité, dans cet après-midi frais et doux, à contempler l'immobilité des arbres et la magnificence de l'automne.

Un certain silence calme mon cœur. Au premier plan sonore, mon acouphène et les cris épars des oiseaux. Au second plan, le ronronnement inégal des voitures.

La pierre de l'hôtel dort sagement, elle représente un statu quo éternel ; il est donc difficile de concevoir cette vérité que le bâtiment, auparavant situé sur les Champs Élysées, a été démonté pour être ensuite entièrement rebâti ici.

Les formes baroques des branches des arbres émaillent mon repos de fantaisie. Je sais que de l'autre côté du mur, dans les jardins de l'Observatoire, vivent de nombreux chats, nourris par les savants fous qui hantent ces lieux si proches, toujours inconnus. 

En une ou deux semaines, à mes (très nombreuses) heures perdues, j'ai lu l'intégralité des articles du blog de Didier Lestrade et j'en garde deux interrogations : qu'écrire, et comment écrire, quand on ne s'est pas identifié à une communauté ciblée, pourvue d'une culture spécifique, et vouée à une cause ? (Par exemple, les gays, la musique House, le sida, mais cela pourrait être, les basques, la langue et la pelote basques, l'indépendance du pays, ou encore les catholiques traditionnels, la messe selon saint Pie V, la lutte contre le droit à l'avortement). La deuxième interrogation, c'est de me demander quel serait l'intérêt et la profondeur de ce blog lestradien si on l'amputait des merveilleux articles sur l'entretien du jardin, qui forment un contrepoint mélodique majestueux et intemporel à la ligne éditoriale militante et communautaire ?

Hélas, quand je me reconnais dans une communauté, elle me dégoûte aussitôt au point de me rendre malade, et quand je m'investis dans une cause, ses défenseurs et leurs stratégies m’apparaissent aussitôt extrêmement discutables, critiquables, presque détestables. Même la cause animale, la plus criante, la plus muette, celle qui contient toutes les autres puisqu'il s'agit du respect intégral de l'être vivant, capable d'éprouver des sensations et des émotions.

De toutes manières, si nous étions vraiment concernés par la moindre injustice, il ne serait pas possible de rentrer chez soi le soir en longeant des corps dormant à même le macadam. Il nous serait impossible d'accepter un seul jour que les citoyens qui "travaillent" soient liés par un lien de subordination à d'autres citoyens, il nous serait impossible de valider l'existence de trois états hiérarchiques (catégories A, B et C dans la fonction publique, cadre-employé-ouvrier dans l'entreprise privée).

Nous ne pourrions pas non plus supporter que des gens soient enfermés dans des prisons quand ils n'ont pas usé de violence envers leurs semblables, ou que les enfants de l'assistance publique, c'est-à-dire dont la seule famille est la société toute entière, soient en grande partie voués à la rue, à la prostitution, à la prison, après avoir subi, en plus de l'atone organisation des services publics, de nombreux sévices commis par les agents sociaux.

Aussi, plutôt que d'embrasser une cause, un mode de vie cohérent avec nos pensées paraît une solution plus discrète, certes, mais beaucoup plus difficile à tenir : refuser de participer à ce que l'on réprouve, restreindre ses achats à un mode de production que l'on contrôle et valide, se détourner des médias subventionnés ou appartenant à des groupes côtés en bourse, et s'engager localement, à échelle d'une vie personnelle, sur tous les sujets : l'architecture autour de ma maison, les transports, le lieu et le mode de travail, l'état de santé physique et économique des personnes de mon quartier, la bien-traitance des animaux du coin, la vie des végétaux des alentours, l'état du ciel au-dessus de ma tête et du patrimoine qui m'entoure.

Nous devons venir à la gestion commune et égalitaire des zones où nous sommes. Aucun expert, aucun fonctionnaire, aucun patron, aucune entreprise spécialisée ne devrait nous priver de cette voix, de cette présence quotidienne sur tous les fronts de la vie.

Évidemment, l'après-midi a passé, voilà que le soir surgit comme une ombre immense, qui surgit de nulle-part et se couche partout, affaiblissant la lumière. Entre chien et loup, je prends une inspiration plus grande que les autres, et laisse mon souffle se vider complètement.

Les feuilles mortes jonchent les graviers et la pelouse, quel bonheur qu'on ne les ait pas aspirées. Qui a peur des feuilles mortes ? Presque tout le monde, en tout cas le monde décisionnaire et propriétaire : jardins des institutions et des particuliers, rues, places, squares, sont aspirés comme si la beauté fantastique de la mort automnale était trop symbolique pour nos vies assurées chez Axa.

Ici, à Massa, les feuilles mortes crânent, elles impulsent leur rousseur immanente, juste le temps de rappeler que tout est éphémère, et que demain peut-être est ton dernier hiver.

Mais "des yeux sans nombre ont vu l'aurore et le soleil se lève encore". Voici le soir et la paix du cœur. Voici l'automne et la mort des arbres, lente et pleine d'une douceur qui tiédit, qui froidit, en attendant le premier jour de gel.

Assise sur un banc, j'ai 37 ans, je vois des formes passer derrière les arbres et je vis intensément ce bel instant. Je n'ai pas peur. Demain n'existe pas.

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vendredi, 06 novembre 2015 | Lien permanent | Commentaires (2)

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