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La grande cohorte des âmes qui attendent

 âmes du purgatoire, saint alphonse de liguori, saint thomas d'aquin, docteur angélique, bellarmin, sylvius, cardinal gotti, saint bonaventure

 

Ce billet est dédié à la mémoire d'une dame qui s'appelait Anne et que les enfants appelaient Mamé. Lorsqu'elle descendait les escaliers de la vieille maison glacée, les soirs d'hiver, apeurée par la tempête qui faisait claquer les volets, elle entendait des voix lointaines gémir : "priez pour nous... priez pour nous". C'étaient les âmes du Purgatoire, pour lesquelles elle égrenait des chapelets jusque très tard dans la nuit, à la lueur vacillante d'une lampe à pétrole.

Dans cette maison, il reste, poussiéreux sur une bibliothèque mangée par les mulots, un livre qui donne la clef de ce fait mystérieux.

Ce livre s'appelle Le Grand Moyen de la Prière.


Un extrait de l'ouvrage Le grand moyen de la prière,
de Saint Alphonse de Liguori (XVII° siècle) 

Autre sujet de controverse : Y a-t-il lieu de se recommander aux âmes du Purgatoire ?
Certains répondent qu'elles ne peuvent pas prier pour nous. Ils s' appuient sur l'autorité de saint Thomas pour qui ces âmes, se purifiant au milieu des souffrances, nous sont inférieures et, de ce fait, elles ne sont point « intercesseurs, mais bien plutôt des gens pour qui l'on prie ». Cependant beaucoup d'autres docteurs, tels que Bellarmin, Sylvius, le Cardinal Gotti, etc... affirment le contraire comme très probable : on doit pieusement croire que Dieu leur fait connaître nos prières afin que ces saintes âmes prient pour nous, en sorte qu'il se fasse entre elles et nous un bel échange de charité : nous prions pour elles et elles prient pour nous. Ce qu'a écrit le Docteur Angélique, à savoir qu'elles ne sont pas en situation de prier, n'est pas absolument contraire à cette dernière opinion, comme le font remarquer Sylvius et Gotti : autre chose, en effet, est de ne pas être à même de prier par situation et autre chose de ne pas pouvoir prier. Ces saintes âmes ne sont pas habilitées à prier de par leur situation, c'est vrai, parce que, comme dit saint Thomas, elles sont là en train de souffrir, elles sont inférieures à nous et elles ont besoin au plus vite de nos prières. Elles peuvent pourtant fort bien prier pour nous parce que ce sont des âmes amies de Dieu. Si un père qui aime tendrement son fils le tient enfermé pour le punir de quelque faute, ce fils n'est plus alors en situation de prier pour lui-même, mais pourquoi ne pourrait-il pas prier pour les autres et espérer obtenir ce qu'il demande en vertu de l'affection que lui porte son père ? De même les âmes du Purgatoire sont très aimées de Dieu et confirmées en grâce. Rien ne peut leur interdire de prier pour nous. L'Église, c'est vrai, n'a pas coutume de les invoquer et d'implorer leur intercession, parce qu'ordinairement elles ne connaissent pas nos demandes. Mais l'on peut croire pieusement (comme on l'a dit) que le Seigneur leur fait connaître nos prières. Alors, elles qui sont remplies de charité, ne manquent certainement pas de prier pour nous. Quand sainte Catherine de Bologne désirait quelque grâce, elle recourait aux âmes du Purgatoire, et elle se voyait vite exaucée. Elle certifiait que beaucoup de grâces qu'elle n'avait pas obtenues par l'intercession des saints, elle les avait ensuite reçues par l'intercession des âmes du Purgatoire. Que l'on me permette de faire une digression au bénéfice de ces saintes âmes. Si nous voulons obtenir le secours de leurs prières, il est bon que nous-mêmes nous nous efforcions de les secourir par nos prières et nos œuvres. J'ai dit : Il est bon, mais il faut ajouter que c'est là une obligation chrétienne : la charité nous demande, en effet, de secourir le prochain chaque fois qu' il a besoin d' être aidé et que nous pouvons le faire sans que cela nous pèse beaucoup.
Or, il est certain que les âmes du Purgatoire sont aussi notre prochain. Bien qu'elles ne soient plus en ce monde, elles continuent pourtant de faire partie de la communion des Saints. « Car les âmes des justes à la mort, dit saint Augustin, ne sont pas séparées de l'Église ». Saint Thomas le déclare encore plus clairement : la charité qui est due aux défunts passés à l'autre vie en état de grâce est une extension de cette charité que nous devons à notre prochain d'ici-bas : « Le lien de la charité qui unit entre eux les membres de l’Église, n'embrasse pas seulement les vivants, mais aussi les morts qui ont quitté ce monde en état de charité ». Nous devons donc secourir, dans toute la mesure du possible, ces saintes âmes : elles sont aussi notre prochain : et même leurs besoins étant encore plus grands que ceux de notre prochain d'ici-bas, il semble donc que, sous ce rapport, soit encore plus grand notre devoir de leur venir en aide. Or, en quelle nécessité se retrouvent ces saintes prisonnières ? Il est certain que leurs peines sont immenses. Le feu qui les consume, dit saint Augustin, est plus douloureux que toutes les souffrances qui nous puissent affliger en cette vie. « Plus douloureux est ce feu que tout ce que l'on peut avoir à souffrir en cette vie ». Saint Thomas est du même avis et il ajoute que ce feu est identique à celui de l' Enfer. « C' est par le même feu qu' est tourmenté le damné et purifié l'élu ».

 

Ceci concerne la peine du sens, mais beaucoup plus grande encore est la peine du dam, c'est-à-dire la privation de la vue de Dieu pour ses saintes épouses. Non seulement l'amour naturel mais aussi l'amour surnaturel, dont elles brûlent pour Dieu, poussent ces âmes avec une grande force à vouloir s'unir à leur souverain bien. S'en voyant empêchées par leurs fautes, elles en éprouvent une douleur très amère. Si elles pouvaient mourir, elles en mourraient à chaque instant. Selon saint Jean Chrysostome, cette privation de Dieu les fait souffrir infiniment plus que la peine du sens : « Mille feux de l'enfer réunis ne feraient pas autant souffrir que la seule peine du dam ». Ces saintes épouses préféreraient donc endurer tout autre supplice plutôt que d'être privées, un seul instant, de cette union tant désirée avec Dieu. C'est pourquoi , dit le Docteur Angélique, la souffrance du Purgatoire surpasse toutes les douleurs de cette vie : « Il faut que la peine du Purgatoire excède toute peine de cette vie ». Denis le Chartreux rapporte qu'un défunt, ressuscité par l'intercession de saint Jérôme, dit à saint Cyrille de Jérusalem que tous les tourments de cette terre ne sont que soulagement et délices à côté de la plus petite peine du Purgatoire : « Si l'on compare tous les tourments du monde à la plus petite peine du Purgatoire, ce sont des consolations ». Et il ajoute : « Si quelqu'un avait éprouvé ces souffrances, il préférerait endurer plutôt toutes les peines du monde, subies ou à subir par les hommes jusqu'au jugement dernier, que d'être soumis un seul jour à la plus petite des peines du Purgatoire. Ce qui fait dire à saint Cyrille que ces peines sont les mêmes que celles de l'Enfer quant à leur intensité, la seule différence étant qu'elles ne sont pas éternelles. Les douleurs de ces âmes sont donc très grandes. D'autre part, elles ne peuvent pas se soulager elles-mêmes. Comme le dit Job : « Il les lie avec des chaînes, ils sont pris dans les liens de l'affliction » (Jb 36, 8). Ces saintes Reines sont déjà destinées à entrer dans le Royaume mais leur prise de possession est différée jusqu'au terme de leur purification. Elles ne peuvent pas réussir par elles-mêmes (au moins pleinement, si l'on veut accorder crédit à certains docteurs, selon qui ces âmes peuvent tout de même par leurs prières obtenir quelque soulagement) à se libérer de leurs chaînes, tant qu'elles n'ont pas pleinement satisfait à la justice divine. Un moine cistercien dit un jour, depuis le Purgatoire, au sacristain de son monastère : « Aidez-moi par vos prières, je vous en supplie, parce que de moi-même je ne peux rien obtenir ». Cela est conforme au mot de saint Bonaventure : « Leur état de mendicité les empêche de se libérer », c'est-à-dire que ces âmes sont si pauvres qu'elles n'ont pas de quoi acquitter leurs dettes. Par contre, il est certain et même de foi que nous pouvons soulager ces saintes âmes par nos suffrages personnels et surtout par les prières recommandées dans l'Eglise.. Je ne sais donc pas comment on peut excuser de péché celui qui néglige de les secourir tout au moins par ses prières. Si nous ne nous y décidons pas par devoir, que ce soit au moins à cause du plaisir que nous procurons à Jésus Christ : c'est avec joie qu'il nous voit nous appliquer à libérer ces chères âmes pour qu' il les ait avec lui en Paradis. Faisons-le aussi à cause des grands mérites que nous pouvons acquérir par notre acte de charité à leur égard ; en retour, elles nous sont très reconnaissantes et apprécient le grand bienfait que nous leur accordons, en les soulageant de leurs peines et en leur obtenant d'anticiper leur entrée dans la Gloire. Lorsqu'elles y seront parvenues, elles ne manqueront pas de prier pour nous. Si le Seigneur promet sa miséricorde à ceux qui se montrent miséricordieux envers leur prochain : « Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5, 7).Ils ont bonne raison d'espérer leur salut ceux qui s'appliquent à aider ces saintes âmes si affligées et si chères à Dieu. Jonathan, après avoir sauvé les Hébreux par sa victoire sur les ennemis fut condamné à mort par son père Saül pour avoir goûté du miel malgré sa défense, le peuple se présenta devant le roi et cria : « Est-ce que Jonathan va mourir, lui qui a opéré cette grande victoire en Israël ? » (1 S 14, 45). Ainsi devons-nous justement espérer que, si l'un d'entre nous obtient par ses prières qu'une âme sorte du Purgatoire et entre au Paradis, cette âme dira à Dieu : Seigneur, ne permettez pas que se perde celui qui m'a délivrée des tourments ! Et si Saül accorda la vie à Jonathan à cause des supplications du peuple, Dieu ne refusera pas le salut éternel à ce fidèle à cause des prières d'une âme, qui est son épouse. Bien plus, selon saint Augustin : Ceux qui auront, en cette vie, le plus secouru ces saintes âmes, Dieu fera en sorte, s'ils vont au Purgatoire, qu'ils soient davantage secourus par d'autres. Observons ici qu'en pratique c'est un puissant suffrage en faveur des âmes du Purgatoire que d'entendre la messe pour elles et de les y recommander à Dieu par les mérites de la passion de Jésus Christ : « Père éternel, je vous offre ce sacrifice du Corps et du Sang de Jésus Christ, avec toutes les souffrances qu'il a endurées durant sa vie et à sa mort ; et par les mérites de sa Passion, je vous recommande les âmes du Purgatoire, particulièrement etc... » Et c'est aussi un acte de grande charité que de recommander aussi en même temps les âmes de tous les agonisants.

 Saint Alphonse de Liguori, IN Le grand moyen de la prière

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lundi, 28 octobre 2013 | Lien permanent | Commentaires (2)

Une enfance littéraire française : Invitation au voyage I

 Jeudi 24 octobre 2013

Édith de Cornulier-Lucinière

edouard vuillard, intérieur

 Édouard Vuillard - Intérieur

 

Voici la synthèse de la conférence que j'ai donnée ce matin à mes étudiants - la première de l'année. Elle s'intitule L'invitation au voyage, parce que j'aime ce poème de Charles Baudelaire et parce c'est le jour où j'ouvre les portes sur les salles que nous arpenterons ensemble, plus en profondeur, au cours des conférences à venir.

C'est la troisième année que j'avance ainsi, face à ces étudiants étrangers, de toutes origines, et dont l'accès au subtil français est inégal encore.

J'avais déjà, sur AlmaSoror, donné l'essence de celle de mes conférences intitulée L'enfance, la civilisation et le monde sauvage.

Quant au blog de mon cours, encore en construction, il se consulte à cette adresse...

 

L'esprit de ces conférences

Je voudrais vous inviter à voyager dans le monde littéraire enfantin de France. Je ne ferai pas une histoire exhaustive de la littérature enfantine, ni de l'édition à destination de la jeunesse. Ce n'est pas, non plus, une conférence historique ni sociologique, ni d'histoire de l'art, même si nous voyagerons dans l'histoire et dans la société française, même si nous découvrirons de grands artistes – peintres, musiciens, écrivains, graveurs, cinéastes...

Mon projet est de vous ouvrir des portes sur l'univers littéraire enfantin, de vous faire découvrir quelques œuvres emblématiques, quelques auteurs intéressants, quelques personnages bien-aimés des enfants.

C'est souvent le plus difficile pour un adulte qui arrive dans un pays étranger : il peut vite apprendre la culture adulte, mais que sait-il des aspects enfantins ? Et pourtant, quel univers mieux que celui de l'enfance peut refléter, irradier, nourrir une société ? Voici une initiation... Elle a vocation à lever le rideau sur un monde fourmillant d’œuvres. Celui qui s'intéresse à ce monde devra poursuivre le voyage seul, ou en d'autres compagnies...

Comme le sujet de notre séminaire nous y invite, nous verrons ensemble beaucoup d'images, de films. Nous aurons aussi l'occasion d'écouter des compositions musicales, des chansons, et de lire des extraits de textes.

 

Le Moyen-Âge

Le moyen-âge, qu'est-ce que c'est ? Un chapelet de siècles qui se ressemblent si peu les uns aux autres. Quelle obscurité d'esprit ont eu ceux qui ont inventé cette expression, pour parler d'un monde qui naît lorsque meurt l'empire romain d'Occident, en 476, et meurt avec la fin de la douloureuse et meurtrière guerre de 100 ans, alors que Gutemberg invente l'imprimerie, que les Espagnols se libèrent du joug musulman, et que l'Europe affrète ses vaisseaux vers un Nouveau-Monde qui ne l'attend pas. Si le mot de moyen-âge paraît faible ou faux, l'adjectif médiéval ne manque pas de charme. Il évoque les cathédrales, les jongleurs et les troubadours, le temps où la France était en train d'éclore. La « langue française » n'existait pas mais elle se créait peu à peu.

La littérature enfantine française prend sa source dans ce moyen-âge. La littérature enfantine, vraiment ? Existait-elle déjà ?

Dans les sociétés traditionnelles, les adultes et les enfants écoutent ensemble les mêmes histoires : chacun comprend l'histoire selon son âge. Ainsi la Bible, le Roman de Renart, les contes d'Europe comme d'ailleurs ne visaient pas un public restreint, mais toute la société, les adultes et les enfants. La littérature spécialisée pour les enfants est tardive.

Mais si les romans et les contes de jadis n'étaient pas spécifiquement destinés aux enfants, ces derniers y avaient accès au même titre que les adultes. Ainsi, contrairement à la « littérature générale » d'aujourd'hui, qui s'adresse exclusivement aux adultes, ces œuvres se voulaient universelles.


Au VIII° siècle...

Au VIII° siècle, Alcuin, moine anglais, sort de son monastère pour un voyage européen. Il rencontre l'empereur Charlemagne, devient l'un de ses conseillers. Il est l'auteur des premiers livres diffusés en direction des élèves de tout l'empire, dont la Gaule formait une grande partie.

Charlemagne, subjugué par sa culture, lui demande en effet de réformer et d'organiser l'instruction dans le royaume carolingien. Alcuin se rend à la cour d'Aix la Chapelle (aujourd'hui en Allemagne), instruit le roi, les jeunes aristocrates de la cour, mais rédige également des manuels scolaires à l'usage de tout l'Occident. Ces élèves pouvaient être des adultes, mais étaient le plus souvent de jeunes enfants confiés aux monastères, lieux d'enseignement et de culture.

Ce sont les premiers "manuels scolaires" rédigés à l'intention des enfants qui ont circulé dans ce qu'on appelle aujourd'hui la France. Ils sont en langue latine.

Il s'est efforcé de plaire aux jeunes, comme on le voit dans cet exercice de mathématique :

"Un escargot est invité à un repas par un roseau qui est situé à une lieue. Toutefois, en un jour, il ne peut parcourir qu’une seule once de pied.

Dis-moi, qui le désire, combien de temps sera nécessaire à l’escargot avant de prendre un repas".

Si vous voulez persévérez dans ce cours de mathématique qui circulait dans l'Europe des VIII et IX°siècle, allez donc voir sur ce site.

alcuin

 

Aux XII et XIII°siècles...

Au XII et XIII°siècles, de nombreux auteurs, la plupart anonymes, composent Le Roman de Renart, premier vrai roman en langue française (écrit en ancien français). Ce corpus d'histoires était raconté par des jongleurs, des trouvères, des ménestrels, à un public des villes, des campagnes et des châteaux qui ne savait pas lire. Plusieurs auteurs l'ont écrit, sur deux siècles environ, dans l'ancêtre de notre langue, qu'il faut étudier aujourd'hui telle une langue étrangère pour être en mesure de lire ce roman dans le texte.

Le mot ROMAN vient de langue romane, synonyme de langue française. Le Roman de Renart est un des premiers textes écrits en français. Mais ce français nous est moins accessible aujourd'hui que l'espagnol ou l'italien ! Le roman, encore appelé ancien français, ancêtre de notre langue, reste une langue étrangère pour le locuteur francophone de l'époque des ordinateurs et des drones. 

On peut voir le texte originel et sa traduction en français moderne sur ce site. Le Roman n’a pas été écrit pour les enfants : la littérature spécialisée pour les enfants est apparue tardivement. Mais aujourd’hui les éditions sont réservées soit aux érudits, soit aux enfants. En effet, l'homme moderne a estimé que la présence de personnage appartenant à d'autres espèces animales que la nôtre ne saurait intéresser que de jeunes humains, pas encore au faîte de leur éminence dans toute la création.

Pourtant, le Roman constitue véritablement une satire sociale, pleine de violence et d'amour, de séduction et de tromperie, destinée à décrire les tares des êtres et des institutions de l'époque.

La BNF (Bibliothèque Nationale de France), a composé un très beau site internet sur le Roman de Renart. Il y a eu beaucoup d'interprétations et d'adaptations.

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Au début du XX ème siècle, en 1909, l'illustrateur Benjamin Rabier a réalisé une adaptation connue. Vous connaissez tous au moins une image de Benjamin Rabier, celle de la vache qui rit. Et n'est-ce pas intéressant de savoir que parmi les premiers grands succès de "l'album illustré" figurait une interprétation de notre plus vieux roman national ? Quand au premier long métrage d'animation français, c'est encore une adaptation de ce vieux Roman rusé comme un renard, qui sait hanter les esprits créateurs aux grands tournants de l'histoire artistique. Ladislas Starewitch, russe d'origine polonaise immigré en France, assisté de sa fille Irène réalisèrent ce film, dans leur pavillon de banlieue parisienne, pendant les premières années de la seconde guerre mondiale (1939-45). Ils avaient confectionné eux mêmes les marionnettes et les décors.

 

 

Le Grand Siècle et le Siècle des Lumières

Ce long moyen-âge, obscur surtout par notre ignorance de ces lumières, nous l'avons traversé en quelques minutes, nous arrêtant sur un grand clerc de Charlemagne, vers l'an 800, puis sautant ensuite jusqu'au XII°siècle pour rencontrer Maître Renart et ses compagnons, le loup Ysengrin et son épouse, la louve Hersant, le coq Chantecler, le lion Noble, le chat Tibert...

Détournons-nous de ces médiéveries qui nous rappellent douloureusement, nostalgiquement, que nous ne sommes pas tous jeunes. Traversons les siècles à la vitesse de l'éclair, pour atterrir dans le plus glorieux que nous ayons connu, notre Grand Siècle : celui du Roi-Soleil, Louis XIV, et de sa fastueuse cour de Versailles. C'est le siècle de la fondation de l'Académie française, celui de la querelle des Anciens et des Modernes.

C'est le siècle de Fénelon, qui enseignait au petit-fils du roi. Pour son auguste élève, il rédigea Les aventures de Télémaque. Inspiré par le personnage de l'Odyssée d'Homère, Télémaque fils d'Ulysse le roi d'Ithaque, Fénelon en profite pour glisser dans la morale de ces aventures palpitantes quelques idées sur la modération dont devraient faire preuve les monarques dans l'exercice de leur toute-puissance. Dès lors, le manuel scolaire princier valut à son auteur la disgrâce. Le Roi-Soleil trouva que le précepteur du petit allait trop loin.

Cette époque de haute dictature fut d'une prodigieuse fécondité artistique. La querelle des Anciens et des Modernes battait son plein.

Tous s'accordent sur l'importance de l'édification d'une littérature nationale, en langue française. Richelieu créée l'Académie. Mais cette éminente littérature française, d'où la tirer ? Comment la créer ?

Les Anciens veulent imiter la littérature grecque et latine. Nos modèles sont les écrivains de l'Antiquité : il faut donc les imiter pour avoir des chances d'atteindre un niveau littéraire équivalent. Mais les modernes ne sont pas d'accord : les Anciens vivaient en Grèce et à Rome, au sein de peuples qui parlaient grec et romain ; comment des Français du XVII°siècle pourraient créer une littérature nationale en imitant des gens éloignés dans le temps et dans l'espace ? Il faut bien, plutôt, puiser aux sources populaires de la langue, dans les campagnes, une essence brute et authentique que les écrivains poliront à leur guise ensuite.

Deux auteurs participent à la querelle. Vous connaissez déjà leurs noms ? Jean de La Fontaine et Charles Perrault. Le premier, un Ancien, verse dans l'imitation du poète grec Ésope. A la manière des fables d'Esope, il écrit les fables de La Fontaine. Le second, résolument moderne, parcourt la France, écoutant les histoires auprès du foyer, dans les humbles chaumières. Il récolte une série d'histoires populaire qu'on se raconte d'âge en âge, et les met par écrit, dans un style soigné : voilà les contes de Perrault.

Comme il est intéressant de noter que, d'une telle querelle, deux hommes des clans ennemis restent comme deux emblèmes, comme deux soleils, égaux dans les cœurs de ceux qui apprirent par cœur, sur l'estrade Le Corbeau et le Renard de Jean de La Fontaine et tremblèrent, avant de s'endormir, en écoutant l'adulte faire sa voix caverneuse pour imiter l’ogre du petit poucet de Charles Perrault.

Notons pour clore ce chapitre du Grand Siècles, qu'à l'instar du roman de Renart, ni les contes de Perrault, ni les Fables de La Fontaine n'étaient dévolus à un public enfantin. L'homme moderne, ne voyant dans tous ces écrits, qu'animaux et bons enfants, s'est dit qu'il devait s'agit de choses pour les enfants. A l'époque, pourtant, c'était bien  l'usage de tous que La Fontaine et Perrault travaillaient, comme en témoignent les sujets des contes comme des fables, qui traitent de toute la vie humaine dans sa complexité infinie, si trouble.

 

On appelle Siècle des Lumières, le XVIII°siècle : Les penseurs, appelés « encyclopédistes », militent pour la liberté de penser, la primauté de la raison, la délivrance vis-à-vis d'un pouvoir religieux qui interdit certaines idées. Le XVIII° siècle commence sous l'absolutisme de Louis XIV et finit après la Révolution française...

L'importance de l'enfance dans la constitution d'une personnalité, est soulignée par le philosophe Jean-Jacques Rousseau.
Son influence va bouleverser l'éducation que l'on donne aux enfants, et donc influencer la littérature enfantine. En particulier, Rousseau dans son autobiographie consacre de longs passages à son enfance, aux émotions et découvertes de l'enfance.C'est une grande première dans l'histoire de la littérature française moderne.
(Au XIII°siècle, le moine Guibert de Nogent avait longuement écrit sur son enfance, pour se plaindre de la dureté de celle-ci et demander à la société de réfléchir à l'éducation des enfants).

Pourtant, hors Jean-Jacques Rousseau, les penseurs axés sur la raison toute-puissante, ne s'intéressent pas trop à l'enfance, en ceci qu'elle n'a pas encore développé toute sa raison. Aussi c'est une femme, une enseignante, qui nous lègue, de cette époque, la principale œuvre enfantine.

Elle s'appelle Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Elle n'invente rien : elle reprend un roman datant de 1704, d'une autre femme, Madame de Villeneuve, qui connut un grand succès avant de sombrer dans l'oubli. Du roman compliqué, à rebondissements, de madame de Villeneuve, Leprince de Beaumont cueille la rose odorante et écrit un conte ramassé, intense : La belle et la bête.

Ah, la Belle et la Bête... Leurs amours ont inspiré le musicien Maurice Ravel, qui a composé des Entretiens sur la Belle et la Bête...

Leurs amours ont encore inspiré Jean Cocteau, qui a inventé pour les servir, des dialogues d'une beauté époustouflante pour son film La belle et la bête (1946).

La bête dit à la belle :

« Si j’étais un homme, sans doute je ferais ce que vous me dites, mais les pauvres bêtes qui veulent prouver leur amour, ne savent que se coucher par terre et mourir ».

Je conseille à tous de voir le film de Cocteau et celui de Walt Disney, un dessin animé de 1991. Regardez et comparez ces deux mêmes scènes, celle où la belle sauve la bête par un baiser et où la bête aussitôt se métamorphose en un jeune homme magnifique : vous aurez l'essence de Cocteau, l'essence de Walt Disney, la folie du gouffre qui sépare ces deux visions. La même scène, deux univers qui se dissemblent jusqu'à la moelle.

 

C'était la première partie de la conférence du 24 octobre. La suite se lit par ici.

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jeudi, 24 octobre 2013 | Lien permanent | Commentaires (1)

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